D’où vient-elle ? Où nous mène-t-elle ?

, par GUESSOU Xavier

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Tout le monde parle de « la Crise » mais de quoi parle-t-on exactement ? A-t-elle commencé en août 2007 avec les turbulences dans le système du crédit et avec les subprimes ? On aurait donc affaire à une crise essentiellement financière. Pourtant, la « vraie » crise, celle vécue par la masse des travailleurs, ce sont les licenciements, les réorganisations et les perspectives de blocage prolongé des salaires.

Somme toute : une simple accélération de ce que l’on connaît depuis 30 ans, depuis le début de la contre-offensive « néolibérale » de la classe dirigeante ?
D’autres ajouteraient que de toute façon le capitalisme est instable, qu’il produit des crises et qu’il mérite d’être renversé. Somme toute : rien de nouveau sous le soleil ?
La crise actuelle est l’aboutissement d’une période prolongée de stagnation du système capitaliste qui exprime son incapacité génétique à assurer un développement harmonieux. Elle est le résultat de l’échec des méthodes déployées depuis trente ans par la classe dirigeante pour le redresser.

Les origines de la crise actuelle : le « long déclin »

Le système capitaliste a connu une baisse de régime générale depuis les années soixante-dix. La réaction de la classe dirigeante, ou plus généralement la manière dont le système s’est redressé, s’est déployée principalement sur trois plans.
Le système capitaliste a connu une baisse de régime générale depuis les années soixante-dix. La réaction de la classe dirigeante, ou plus généralement la manière dont le système s’est redressé, s’est déployée principalement sur trois plans.
Le redéploiement mondial du capitalisme et la naissance du pôle asiatique
L’une des « bouées de sauvetage » du système fut un redéploiement géographique vers l’Asie. Le Japon s’était déjà peu à peu affirmé comme une puissance de premier plan à partir des années soixante. Dès le milieu des années soixante-dix était amorcé en Chine le tournant vers l’insertion dans le marché mondial. Aujourd’hui, en termes de taux de plus-value, de rendement, ce sont toujours les Etats-Unis qui sont la principale puissance mondiale. Mais d’après F. Chesnais, « en termes de masse plutôt que de taux, la partie la plus importante de plus-value qui permet au capital de se reproduire vient maintenant d’Asie et notamment de Chine » [1].
Le « long déclin » du capitalisme, comme le nomme Robert Brenner [2], est aussi celui de la puissance qui a été le principal architecte du système capitaliste tel que nous le connaissons, les Etats-Unis. Leur suprématie politique est toujours là malgré une assise économique significativement plus faible que par le passé. Sur un plan militaire, les dépenses militaires étasuniennes équivalent à la somme de celles de tous les autres pays du monde. Au niveau monétaire, la domination du dollar est toujours là, même si elle est beaucoup moins assurée que par le passé.
Le développement du pôle asiatique a offert une nouvelle zone d’opération au capital. Il n’est pas vrai, que depuis trente ans, comme des économistes le prétendent, les « investissements productifs ont cessé » et que seuls les spéculations financières ont eu cours. Une bonne partie des excédents dégagés depuis les années soixante-dix ont été investis dans cette région du monde et dans les autres puissances émergentes (Brésil, Inde, Russie…), et ont fourni une nouvelle source de profits.
L’intégration de la Chine et de l’Inde au marché mondial a occasionné un doublement de l’offre de main-d’œuvre dans le monde, donnant une impulsion formidable à la concurrence entre travailleurs d’un continent et d’un pays à l’autre. C’est l’une des principales sources de pression à la baisse des salaires à l’échelle mondiale depuis au moins dix ans.
Cependant, le développement de nouvelles puissances industrielles produit de nouveaux problèmes. Les industries nouvellement développées correspondent aux mêmes branches d’activité (automobile, électronique, métallurgie, sidérurgie, informatique…) qu’en Occident, mais avec un coût de la main-d’œeuvre qui permet de produire moins cher. Ces industries ne sont pas complémentaires de celles des économies occidentales mais en concurrence avec elles, ce qui tire vers le bas les taux de profit !
De plus, cette émergence de la Chine s’est effectuée dans une étroite dépendance du capital étranger, et « sur la base d’une forte dépendance des marchés extérieurs, donc selon une configuration aux antipodes du chemin suivi par les Etats-Unis au XIXe siècle. » [3]
L’autre contradiction est liée à l’avenir de la Chine. Jusqu’à maintenant, la Chine a connu une croissance « extensive », mais il faudrait d’un point de vue capitaliste une croissance désormais plus « intensive », fondée sur une croissance importante du marché intérieur, une capacité d’absorption des produits manufacturés chinois par les consommateurs chinois. Ce qui suppose plus de « fluidité » dans les rapports entre les classes : l’instauration de syndicats indépendants accompagnerait inévitablement une hausse des salaires des travailleurs chinois si on veut faire de leur pouvoir d’achat un débouché significatif. Une protection sociale efficace libérerait les sommes immobilisées par l’épargne des centaines de millions de paysans chinois qui mettent presque tout leur argent de côté pour faire face aux aléas de la vie. Le régime est-il capable de conduire une telle mutation sans pour autant libérer des forces sociales qu’il ne contrôlerait pas ? Les débats actuels dans le PC Chinois sont le reflet des désaccords au sein du régime sur la voie à adopter. L’explosion sociale est inévitable, elle a déjà commencé : une multitude de soulèvements a lieu chaque année. L’enjeu est leur centralisation. Une bonne partie de l’avenir du système capitaliste se joue dans les villes et dans les campagnes chinoises.

Une évolution dans la structure du capital qui explique la montée en puissance de la finance

Face à la baisse du taux de profit, estimée à -20 % entre 1968 et 1973 aux Etats-Unis [4], le capital étasunien a réagi en s’engageant dans une vaste vague de fusions-acquisitions. C’est le premier acte de ce qu’on a appelé plus tard la « mondialisation ». Ce n’était pas la première vague de mise sur pied d’entreprises géantes. Dès la fin du XIXe siècle, la constitution de « trusts », entreprises géantes résultant de fusions horizontales, regroupant la plupart des entreprises d’un secteur : c’est la constitution des « monopoles » caractéristiques de l’impérialisme à son âge classique. Dans la période précédant la crise de 1929, ce sont les fusions « verticales » (acquisitions de clients et/ou de fournisseurs) qui dominent, donnant naissance à de nouveaux géants. Mais ces deux premières vagues de restructuration du capital exprimaient une montée en puissance des USA, celle de 1965-1969 exprime plutôt un certain pessimisme : les plus grosses entreprises US se lancent alors dans une politique d’acquisition agressive de firmes peu ou pas liés dans leur activité avec celle de la « maison-mère ». Le résultat de cette vague de fusions acquisitions a été la constitution d’un nouveau type de « business », de plus en plus spécialisé : celui de l’achat et de la vente d’entreprises. Les stratégies de développement des multinationales furent de moins en moins déterminées par des perspectives de profit à moyen terme et de plus en plus dictées par le profit financier : d’après D. North, en 1980, seulement 6 % des profits US étaient réalisées dans le secteur financier, pour 40 % en 2005. On assiste au retournement du rapport de forces entre capital industriel et capital financier, celui-ci prenant le dessus sur celui-là. Le secteur des banques d’investissement a connu une mutation significative : alors que presqu’aucune n’avait de département spécialisé dans les opérations financières liées aux acquisitions/fusions, ces activités se sont imposées comme les plus lucratives. Le volume d’actions échangées à Wall Street illustrent cette évolution : toujours d’après North, le volume des échanges d’actions y passe d’environ un demi-milliard au début des années cinquante, à 1,5 milliard en 1965, 27,5 milliards en 1985 et 625 milliards en 2006…
Entre temps, deux autres grandes vagues de fusions ont eu lieu ; l’une dans les années quatre-vingts, l’autre entre le début des années quatre-vingt-dix et… 2008, qui a été plus internationale dans sa portée, et qui par le volume démentiel des transactions et l’absence fréquente de « logique industrielle » ont préparé le terrain à la crise actuelle.

Un « nouveau modèle de croissance »… qui mène à la catastrophe

Le pendant de cette croissance du secteur financier, c’est un nouveau « modèle » de croissance [5]. L’un des piliers des « Trente Glorieuses » furent les hauts salaires et un système de protection sociale qui garantissait un « amortisseur » aux crises. On constate au contraire depuis le début des années quatre-vingt aux USA, une croissance portée par la consommation des ménages les plus riches, dont le taux d’épargne est devenu quasiment nul depuis le début des années 2000. Les taux d’intérêt n’ont cessé de baisser pour pousser à la consommation cette mince couche de privilégiés et pour favoriser les opérations spéculatives.
En caricaturant, on pourrait dire que les Etats-Unis, principale puissance économique (au moins jusqu’à la dernière période) ont connu une croissance à crédit. Le déficit extérieur US a été financé par l’épargne mondiale, en particulier la Chine devenue premier créancier des USA depuis septembre 2008 (mais ces flux financiers viennent aussi du Japon, de l’UE et dans une moindre mesure des monarchies pétrolières). Une relation de double dépendance Chine/USA s’est mise en place : tu tires mon économie en absorbant mes exportations de produits manufacturés, et en échange je te prête de quoi financer ton déficit. Les Etats-Unis ont continué à jouer le rôle de locomotive de l’économie mondiale mais au prix de déséquilibres de plus en plus profonds.
Ce qui met le feu à la mèche, c’est un mécanisme financier : la création des subprime, produit financiers dérivés de crédits hypothécaires de ménages pauvres (autrement dit, chercher à transformer des dettes de pauvres en or !) fut à l’évidence une extension irrationnelle de la logique d’une croissance financiarisée. Mais à la racine du retournement de tendance la crise de surproduction qu’on cherche à conjurer depuis des années refait surface : ce qui provoque l’effondrement des subprimes, c’est la baisse du prix des logements aux USA, pour la première fois depuis 1945, à cause d’une surproduction par rapport à la demande solvable [6].
Le système capitaliste a connu sa plus longue « phase d’accumulation sans rupture », sans guerre mondiale, ni crise catastrophique, ni révolution frappant au cœur du système. À travers cette phase, le capital financier, valorisé en extériorité de la production, n’a cessé de croître. Les subprimes ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan de « finances pourries ». Cette financiarisation exprime à la fois un agrandissement de l’échelle du système et une difficulté à maintenir un haut niveau de profit. La croissance du capital financier n’est pas le produit d’une volonté maléfique de spéculation. Le développement du crédit est essentiel à l’agrandissement des sommes mises à disposition des capitalistes. Plus les sommes engagées sont gigantesques, plus le temps entre le moment de l’emprunt et celui de la vente du produit fini est long, plus les prix peuvent varier entre le moment de l’emprunt et celui de la vente, et plus les possibilités de spéculer existent.
Mais tout avait fini par se passer comme si la principale source d’enrichissement était ce type d’opérations financières. Les « investisseurs institutionnels » ont imposé dans le cours des années quatre-vingt-dix des normes de rendements comprenant la hausse du cours en bourse des actions de l’entreprise… Le point de référence pour juger une entreprise n’était plus principalement sa capacité à produire des profits à partir de l’extraction de plus-value issue de l’exploitation des travailleurs mais ses performances boursières.
C’était oublier que les flux financiers ont leur origine dans l’extraction de plus-value. Une entreprise ne peut avoir des cours bourses mirobolants très longtemps si ses profits s’effondrent. Le système a rebondi de bulle en bulle et de crise financière en crise financière, de plus en plus graves… des crises qui n’étaient que les symptômes de la crise de surproduction que le développement maladif de la finance ne peut plus désormais repousser [7]. La crise financière est somme toute plutôt une conséquence qu’une cause de la crise de surproduction.

L’offensive contre les travailleurs

Il est communément admis que depuis trente ans, la classe dirigeante conduit une offensive de plus en plus violente. Dernièrement, on a eu tendance à la réduire au blocage des salaires, et à expliquer la crise par la théorie de la « sous-consommation ». Comme si à force de payer des salaires de misère, les salariés ne pouvaient plus rien acheter. Mais les salariés ne sont pas les seuls clients des capitalistes : les capitalistes s’achètent entre eux pas mal de choses, notamment des moyens de production (usines, bâtiments, machines, énergie…). Si le « pouvoir d’achat » des capitalistes ne se porte pas bien, plus rien ne va. Le taux de profit est le baromètre du système capitaliste, pas le niveau de consommation des salariés : c’est un bon taux de profit qui permet aussi bien de produire, de payer les fournisseurs, les salaires, d’emprunter… Et la base du profit, c’est l’exploitation. La sous-consommation des salariés est une condition du profit, crise ou pas [8] : chaque capitaliste a intérêt à ce que ses salariés soient le moins payé possible… La sous-consommation des salariés est plutôt une constante du système qu’une cause de la crise.
L’offensive de la bourgeoisie a en réalité pris dès le départ une tournure politique, l’assaut s’est peu à peu déployé sur tous les terrains. Chacun sent plus ou moins confusément que le monde capitaliste d’aujourd’hui est dans une sorte d’impasse, et qu’à la fois tout est en train de changer, qu’il y a une tentative de remodelage d’ensemble.

La théorie des « ondes longues » : comprendre que la sortie de crise ne peut qu’être violente et globale

Les crises périodiques font partie du fonctionnement normal du capitalisme

Le capitalisme a connu vingt-cinq crises de surproduction depuis 1826. Le développement économique connaît des cycles : reprise-boom-krach-crise-dépression-reprise. Chaque cycle économique est d’une durée de 7 à 10 ans, ce qui est lié au renouvellement périodique de l’équipement de base des entreprises. La crise consiste en une surproduction de capital et de marchandises : les capitalistes ne savent pas s’arrêter, poussés par la concurrence et par l’intensification de l’exploitation. Ils vont toujours trop loin, ils produisent trop par rapport à la demande solvable. La crise a une fonction : elle dévalorise massivement le capital, détruit des masses de matériel et de force de travail jusqu’à rétablir les conditions de rentabilité.
Les marxistes considèrent cependant que l’évolution de l’économie capitaliste, laissée à elle-même, conduit à un grippage du système, à une tendance à la baisse du taux de profit, à une perte de dynamique inéluctable du système sur le long terme, qui le conduit à des crises de plus en plus violentes (voir l’article de G. Lafleur). C’est ce qui rend son renversement possible.

Des « tournants » dans l’histoire du capitalisme

Mais d’un autre côté, à certaines périodes, certains facteurs se conjuguent pour contrecarrer la baisse tendancielle du taux de profit. Le système capitaliste, après des périodes de dépressions prolongées, a su se redresser et connaître des périodes de croissance prolongée. 1848-1873 : essor du capitalisme de « libre concurrence », 1874-1896 : Grande dépression, 1896-1913 : essor, âge de l’ « impérialisme classique », 1913-1940 : crise qui mène à la première guerre mondiale, révolution russe, crise de 1929, fascisme, guerre, 1940/1948-1972 : « 30 glorieuses », 1973- ? : période du « long déclin ». Ces mouvements à long terme du taux de profit (périodes de hausse prolongée, puis de baisse prolongée) n’annulent pas les mouvements du cycle économique : pendant la phase expansive, les dépressions sont courtes et limitées et les booms sont prononcés et vice-versa.
Ces « ondes longues du développement capitaliste » [9] correspondent à des périodes historiques réelles, elles se ressentent dans tous les domaines de la vie, y compris idéologique : l’optimisme, la foi dans la science prévalaient pendant les Trente Glorieuses, quelques années seulement après Hiroshima et Auschwitz… et depuis l’entrée dans le « long déclin », le pessimisme, le mysticisme, l’individualisme refont surface. Ces modifications dans l’ « esprit du temps » ne sont pas les causes de la croissance ou de la stagnation du système mais l’inverse. Etudier les « ondes longues », c’est comprendre la dynamique d’ensemble du système à une période donnée.

Un bouleversement de la « technique d’ensemble »

Les ondes longues expansives se manifestent par le déploiement de révolutions technologiques : progrès scientifiques décisifs. À chaque grande période de développement du capitalisme correspond un type de moteur, un type d’énergie : moteur à vapeur produit artisanalement pour la Révolution Industrielle, moteur à vapeur produit industriellement à partir de 1848, énergie électrique/moteur électrique à partir de 1893, énergie nucléaire/électronique à partir de l’après-guerre… Chaque onde longue expansive se caractérise par un renouvellement de la « technique d’ensemble », des investissements massifs pour construire des nouveaux types de machines, d’usines, de nouveaux modes de transport et de communication... Cependant, ce n’est pas à proprement parler la marche en avant de la science qui détermine mécaniquement le déclenchement d’une croissance prolongée, la science n’est pas la bouée de sauvetage infaillible du capital. Les inventions et découvertes scientifiques « basiques » peuvent avoir été faites depuis longtemps et ne pas déclencher en elles-mêmes le passage à une onde longue expansive. Pour cela, il faut une modification profonde le l’« environnement social » du capital : les découvertes scientifiques qui ont permis l’essor des Trente Glorieuses (énergie nucléaire, électronique…) avaient été faites bien des années avant. Il a fallu les destructions causées par le fascisme et la Deuxième guerre mondiale, et l’affaiblissement profond de la classe ouvrière qu’ils ont occasionnés pour rendre possible et rentable leur application, la mise en place d’un nouveau type d’organisation du travail.

Chocs systémiques

La possibilité de déploiement d’un « nouvel ordre productif » s’appuie également sur la domination du système capitaliste mondial par une puissance capable d’impose des règles du jeu, de mettre en place un système monétaire international stable. L’affrontement entre plusieurs puissances correspond aux crises prolongées, à un affaiblissement du système. Mais le ressort le plus important est l’articulation entre le « cycle » économique et le « cycle » de la lutte des classes. L’essentiel est de comprendre que le retournement de la montée à la dépression est explicable par le seul jeu des lois économiques, alors que le retournement inverse ne l’est pas. Il y a besoin d’un choc systémique, tel que les guerres, les révolutions… ou les contre-révolutions.

Sur quoi peut déboucher la crise actuelle ?

Le « néolibéralisme » a représenté un rétablissement partiel du système, mais la crise qui a commencé dans les années soixante-dix continue. L’intégration de l’ex-URSS, de la Chine et de l’Inde (et autres pays émergents) à l’économie mondiale n’a pas permis d’annuler la crise, elle a même fini par aiguiser les problèmes. Le « boomerang » est en train de nous retourner en pleine tête : la crise est là. Pour en sortir, il faudra un « choc systémique » d’une ampleur comparable à ceux du passé, qui débouchera soit sur une catastrophe sociale et écologique, soit à une victoire mondiale des travailleurs. A l’heure de l’armement nucléaire global, du réchauffement climatique, des nouvelles technologies, de la multiplication des guerres… mais aussi de la remontée des luttes depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, à quoi pourrait bien ressembler l’avenir de notre monde, marqué par cette dépression prolongée ?
En termes d’élargissement du champ d’opération du capital, toutes les privatisations possibles n’ont pas encore été menées à bien, l’intégration des économies chinoises et indiennes au marché mondial n’est pas achevée. Il y a encore de la marge. Mais là où le bât blesse, c’est qu’en termes de nouvelles branches capables de porter une croissance durable, on ne perçoit rien de comparable à l’automobile ou à la construction de maisons avec des marchés induits larges et diversifiés… L’informatique par exemple ne peut remplir ce rôle de « locomotive ».
La place de la Chine devient centrale : la situation comporte beaucoup d’inconnues, mais vont se jouer des batailles à coup sûr décisives.
Sur le front scientifique, les techniques de production de l’énergie par fusion nucléaire semble faire du surplace, il n’y a pas de miracle scientifique qui entraînerait une nouvelle donne.
Le capitalisme vert semble une tentative bien faible en termes de perspectives de profits massifs et durables. La crise écologique est une menace qui pèse sur l’existence de l’espèce humaine, pas une bonne occasion de faire du business au même niveau que les branches porteuses de la dernière grande phase d’expansion.
L’augmentation du nombre de guerres, le militarisme, l’état d’exception permanent sont une réalité palpable. La concurrence entre grandes puissances s’aiguise mais on voit mal une 3e guerre mondiale se déclencher à court terme. Les gouvernements ont instauré notamment depuis le 11 Septembre 2001 un « état d’exception permanent », une suspension d’une bonne partie des droits démocratiques. L’opposition au militarisme et à la guerre fait partie intégrante d’une politique de résistance, et à plus long terme, une accélération des contradictions USA/Chine n’est pas à exclure. Il est impossible de s’opposer à la politique intérieure de la bourgeoisie sans s’opposer à sa politique extérieure.
L’offensive contre le monde du travail n’a pas produit de défaite historique comparable à celle des années trente et quarante. La classe dirigeante cherche à réorganiser de fond en comble les modes d’organisation du travail et de maîtrise de la force de travail, dans et en dehors du lieu de travail. Les travailleurs ont beau être affaiblis, ils sont toujours capables de mener des combats d’envergure. C’est le front décisif, encore et toujours.
La crise est en fin de compte celle d’une civilisation entière. Il y a à la fois une dynamique de décomposition, de dégradation à tous les niveaux (y compris culturel…) et à la fois des éléments d’explosivité et d’alternative. La bourgeoisie mène l’offensive sur l’ensemble des plans mais on voit bien qu’il n’y a pas de solution miracle pour refaire partir le système à la hausse. Il n’y a pas de modèle cohérent de rechange tout trouvé, mais nos ennemis continuent à marquer des points dans des domaines importants. Les forces propulsives, l’aspect civilisateur du capitalisme s’amenuisent, les aspects barbares et anarchiques l’emportent de plus en plus : d’époque en époque il est plus difficile et plus douloureux de secouer le système pour le faire repartir à la hausse. Le vieux mode de fonctionnement dépérit et il n’y a rien de solide et cohérent pour le remplacer : c’est cela la crise.
Impossible pour la classe adverse de sortir du « long déclin » sans infliger une défaite de dimension historique à la classe ouvrière par l’instauration brutale ou progressive de régimes ultra-autoritaires et la destruction de l’essentiel des droits sociaux et démocratique conquis lors des dernières décennies. Il est impossible pour nous de résoudre les problèmes actuels sans ouvrir une brèche vers le socialisme.

Notes

[1« Sur la portée et le cheminement de la crise financière », n° 1 de La Brèche-Carré Rouge, décembre 2007.

[2Robert Brenner, « L’économie d’un monde en panne », entretien publié dans Inprecor, mai-juin 2009.

[3François Chesnais, « Pas de limites pour le sauvetage des banques… », Carré Rouge, n° 40, avril 2009.

[4David North, “The capitalist crisis and the return of history”, mars 2009.

[5Isaac Joshua, La grande crise du 21e siècle, 2009, La Découverte et Michel Husson, « Etats-Unis : la fin d’un modèle », La Brèche, n° 3, juin-juillet-aoüt 2008.

[6Gabriel Lafleur, article dans le n°3 d’Actualité(s) de la révolution.

[7Michel Zerbato, « L’instabilité financière, forme de la crise du capitalisme financiarisé » dans Crises structurelles et financières du capitalisme du XXe siècle, Syllepse, 2001.

[8Louis Gill, « À l’origine des crises, surproduction ou sous-consommation ? » n° 40 de Carré Rouge.

[9Ernest Mandel, Long waves of capitalist development, 1978, 2e édition 1995, Verso (la traduction française n’est pas encore disponible) et Le troisième âge du capitalisme, 1972, chapitre IV, 3e édition 1995, Editions de la Passion.

Source

Actualité de la Révolution, n° 4, automne 2009. URL : http://actualite.revolution.free.fr/spip.php?article59

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