La crise financière, qui a pris son essor au mois d’août 2007, conduit à d’étranges distorsions entre théorie et réalité, du fait que la théorie libérale ne peut expliquer cette réalité. La crise apporte un démenti total de cette appréhension du monde, et manifeste une nouvelle fois qu’elle est une idéologie, non pas un guide pour l’action. Ce qui ne l’empêche pas de rester la référence essentielle.
BusinessWeek, daté du 3 septembre, titre : « En une ère de crédit facile (easy money) les professionnels ont oublié que la partie ne pouvait durer éternellement » ; et en gros caractères, sous un courtier doté d’un nez rouge de clown : « Not so smart ! » (pas si intelligent). Les intervenants sur les marchés financiers sont accusés d’arrogance parce qu’ils ont continué à spéculer sur les subprimes, ces prêts à taux élevés concédés aux ménages
américains les moins aisés pour l’achat de leur logement, sans vouloir prendre en compte les signaux indiquant un retournement du marché. Ils n’ont pas voulu l’analyser, prétend la revue des milieux d’affaires américains, et n’ont donc pas vu arriver la chute. Encore faudrait-il mettre en cause les modèles de prévision sur lesquels les financiers s’appuient pour orienter leurs placements...
Eric Le Boucher, dans Le Monde daté des 9 et 10 septembre, titrait son article : « Crise financière ou scandale bancaire ? », et écrivait que si la Banque Centrale Européenne (BCE) [1] avait renoncé à augmenter ses taux, c’était « pour porter secours à des institutions financières qu’elle sait coupables d’inimaginables légèretés. Bien à contrecoeur, elle accorde l’impunité à des profiteurs, des voleurs, des spéculateurs et des imbéciles ». Diable ! Et d’ajouter : « La crise n’est pas due à une néfaste « financiarisation » de l’économie. La finance moderne, libéralisée, globalisée a des vertus immenses ». Manière de défendre la structuration actuelle du processus de mondialisation qui fait de l’ouverture des frontières, du libre échange international, le nec plus ultra des politiques économiques. Le libéralisme se trouve ainsi préservé. Il ne serait en rien lié aux formes de la crise actuelle, qui est uniquement imputable à des voyous ou à des imbéciles. Mais comment ont-ils fait pour s’enrichir ?
La faute ne serait donc pas à chercher dans le système, dans les lois de fonctionnement de l’économie, mais dans la nature de l’homme, de l’individu, léger, insouciant, imbécile ou voleur... Et le contexte n’aurait pas d’incidence sur la possibilité de devenir spéculateur, le désir de vouloir gagner facilement beaucoup d’argent.
Eric Le Boucher et BusinessWeek se trouvent bien obligés de souligner des effets de système. La naissance de nouveaux acteurs sur les marchés financiers internationalisés : les hedge funds, des fonds uniquement spéculatifs à l’affût de tout ce qui peut rapporter un bénéfice à court terme, les fonds d’investissement, les fonds de pension ou les fonds de fonds (le capital est constitué de titres émis par d’autres fonds)... Mais ceux-ci sont bien inscrits dans les mécanismes de ces marchés, qu’ils font fonctionner. En dehors des crises, aucun gouvernement n’a voulu les réguler, malgré les appels de certains économistes sensibilisés aux risques qu’ils font courir à l’ensemble de l’économie.
Plus grave encore : les banques multiplient les opérations dites « hors bilan ». Il s’agit d’opérations de caution ou d’assurances de firmes qui émettent des titres, ou veulent placer des titres, « hors bilan », dans la mesure où la banque n’engage pas de dépenses visibles, n’augmente pas son chiffre d’affaires mais réalise des bénéfices conséquents sans
transparence. Autant de bombes à retardement qui aggraveront la baisse des titres lorsqu’ils commenceront à baisser. Le prêteur principal ne pouvant faire face à ses engagements, ce sont les banques caution qui passent en première ligne et subissent les effets de ce défaut de
paiement. Avec la possibilité de faillite. La déréglementation financière a élargi les risques théoriques, puisque la Banque centrale (la Banque de France par exemple) n’est plus le « prêteur en dernier ressort », qui distribue des crédits pour éviter aux banques d’être mises en faillite...
Comment s’est construite cette internationalisation des marchés financiers ?
Cette déréglementation date de la grande vague libérale des années 1980. Les Etats capitalistes des pays développés – en premier lieu la Grande-Bretagne de Thatcher, sans doute l’idéologue libérale la plus dogmatique, et les Etats-Unis de Reagan, ce dernier beaucoup plus
pragmatique – ont décidé de supprimer toute la réglementation précédemment existante, au moins depuis la fin de l’après Seconde Guerre mondiale, et qui avait construit la période dite des « 30 glorieuses » (1944-1945/1974-1975). Le gouvernement français, sous la présidence
de François Mitterrand et avec Pierre Bérégovoy pour ministre de l’économie et des finances, a suivi ce mouvement et l’a mise en oeuvre en 1986, juste avant le retour de la droite. La construction pyramidale du crédit, du financement de l’économie, s’est complètement métamorphosée. Jusqu’en 1986, la Banque de France était le prêteur en dernier ressort. Toutes les banques disposaient d’une ligne de crédit leur permettant de répondre à toute éventuelle panique bancaire. La finance était considérée comme au service de l’économie, de l’accumulation du capital comme de la hausse du marché final en favorisant la consommation des ménages. Dans ces conditions, le déficit budgétaire était financé, pour l’essentiel, par la création monétaire, l’ouverture de lignes de crédit de l’Etat à la Banque de France. L’endettement était quasi inexistant. Ce système passait par l’intermédiation, ce qui signifie
que la banque était l’intermédiaire financier obligé pour toute opération de crédit. La banque prêtait des capitaux et se préoccupait ensuite de trouver des dépôts. Ainsi elle créait de la monnaie, ce qui alimentait l’inflation permanente, pour financer le crédit à la production qui,
à son tour, créait davantage de richesses.
La déréglementation financière a eu pour conséquence principale la désintermédiation. La banque, sauf pour les ménages, les particuliers, n’est plus l’intermédiaire financier obligé. Les entreprises peuvent s’adresser directement aux marchés financiers, soit pour trouver des
capitaux, soit pour placer leurs capitaux oisifs. D’où la nécessité de disposer d’un moyen pour ce faire : ce sera l’émission de titres, la titrisation, qui ouvre les vannes au gonflement de la sphère financière.
Il faut ajouter un élément d’incertitude qui lui remonte à août 1971, date de la décision du président Nixon de déclarer l’inconvertibilité du dollar en or. A partir de ce moment, le système monétaire international créé à Bretton Woods en juillet 1944, qui reposait sur la convertibilité du dollar en or (sur la nase de 35 dollars = une once d’or) et la convertibilité de
toutes les autres monnaies en dollars (en fonction de leur « parité »), était moribond. Le dollar devenait monnaie internationale et monnaie de réserve, sans référence officielle à l’or. L’or reste une valeur de référence sensible dans les périodes de crise. Son taux est un révélateur de celles-ci. Ainsi l’once d’or en ce mois de septembre a atteint des sommets : 700 dollars l’once d’or. Avec les accords de la Jamaïque de janvier 1976, toutes les nations capitalistes développées ont accepté ce flottement généralisé. Dans cet univers de titrisation et d’incertitude, et sur la parité du dollar et sur les taux d’intérêt, problèmes clés pour les entreprises et pour les capitalistes, il fallait trouver des produits financiers d’assurances
permettant de réduire l’incertitude. Les marchés à terme – dits aussi « dérivés » parce qu’ils sont liés à une opération d’échange – ont créé des contrats à terme, en anglais, plus clair que le français, des futures. Une entreprise qui veut s’assurer du cours du dollar, ou d’un taux de
l’intérêt, à une échéance donnée signera un contrat avec un spéculateur, celui-ci s’engageant à lui fournir les sommes nécessaires au cours du dollar fixé ou à un taux de l’intérêt fixé à une échéance fixée dans les clauses du contrat. Ainsi l’entreprise sera assurée. En contrepartie elle
paiera une sorte de prime, mais n’est pas obligée de respecter le contrat. Si, à l’échéance, elle trouve des conditions plus intéressantes, le contrat meurt de lui-même. Ces instruments sont devenus plus sophistiqués avec la création d’options sur des contrats à terme, mais le principe reste identique.
Résultat de cette titrisation tous azimuts : le gonflement de la sphère financière. Un calcul nécessairement approximatif donne une idée de cette croissance (les économistes américains qui aiment bien les images parlent de « bulle ») : pour un dollar de création de richesses et sur cette base, la sphère financière crée 50 dollars de titres divers. Il s’agit d’une création
monétaire qui n’apparaît pas dans les indices des prix à la consommation – forme habituelle de calcul de l’inflation –, mais dans l’augmentation du prix des actifs, qu’ils soient financiers ou immobiliers, tous les secteurs faisant l’objet à un moment donné d’une spéculation, d’un achat pour la revente immédiate sans qu’il y ait augmentation des richesses produites. Ce sont des opérations improductives qui désorganisent l’ensemble des économies.
Cette puissance de la sphère financière, cette internationalisation se traduisent par la liberté totale des mouvements de capitaux [2] qui conduit à une montée nouvelle de l’incertitude. Les produits d’assurance sont cotés sur le marché, ce qui renforce la spéculation et donc les risques d’éclatement de la bulle. Plus important encore : la hiérarchie entre l’industrie et la finance est inversée. Désormais, l’industrie est au service de la finance. Cette dernière détermine les critères de l’ensemble de l’économie. Il s’agit de critères de profitabilité à court terme.
La tyrannie de l’actionnaire découle de la présence des fonds (de pension, d’investissement...) dans le capital de tous les grands groupes transnationaux. Si les dirigeants (les managers) ne respectent pas les critères des marchés financiers, issus en droite ligne de l’idéologie libérale, les actionnaires se retirent, et ce massivement. Ces fonds
représentant 40% du capital, le cours des actions ne peut que baisser... Une arme de chantage pesant sur les managers, obligés de respecter ces critères et de verser aux actionnaires, ce qu’ils réclament, 15% du capital – les dividendes – faute de quoi, là encore, ils désertent l’entreprise. Il faut donc nécessairement que la profitabilité à courte terme de l’entreprise augmente en respectant les données principales imposées par la théorie libérale.
Les restructurations, du coup, deviennent permanentes et sont autant de gages donnés aux marchés financiers. Ces grands groupes industriels sont aussi devenus financiers, et, par-là même plus encore dépendants de ces marchés. Là se trouve l’explication de la stagnation de
l’investissement lorsque le profit augmente : cette hausse sert à spéculer sur les marchés financiers, à racheter les actions de l’entreprise pour les détruire, et ainsi faire augmenter les cours tout en haussant le dividende... La hausse des cours des actions d’une firme donne à
celle-ci davantage de pouvoir, davantage de capacités de négociation, lui permet de s’endetter à moindre coût par la baisse du taux d’intérêt via les trois A nécessaire des agences de notation. Ces agences privées, payées par les entreprises qu’elles doivent noter, jouent également un rôle dans le développement de la crise, en refusant de déprécier les entreprises de crédit hypothécaires qu’elles savaient en mauvaise posture. Elles avaient déjà été mises sur la sellette lors de la faillite d’Enron, entreprise qui avait bénéficié de la privatisation de la
distribution du gaz en Californie et qui avait fourni de faux bilans pour continuer à financer ses pertes... Un scandale en conformité avec les critères des marchés financiers [3].
Déréglementation et nouveau régime d’accumulation
Ces nouvelles institutions, les fonds, les hedge funds, ne sont pas en dehors du système, mais constituent la partie immergée de l’iceberg appelé sphère financière, de ces marchés financiers internationalisés.
De cette déréglementation et de cette croissance de la finance est né un nouveau régime d’accumulation, un mode spécifique de création de richesses. Celui des 30 glorieuses, appelé « fordiste », s’est évanoui. Il a laissé des traces. Du passé, il est difficile de faire table rase, mais les règles fondamentales ont changé. Désormais, il faut parler, pour faire court, d’un régime d’accumulation (ou d’un ordre productif) à dominante financière. L’objectif essentiel est de répondre aux préoccupations des marchés financiers, ce sont eux qui imposent leurs règles, au détriment de l’investissement productif. La norme de production se doit de répondre
en termes d’augmentation rapide et à court terme de la productivité du travail, ce qui passe par l’intensification du travail, pour baisser le coût du travail et augmenter la profitabilité. La hausse du marché final est devenue secondaire et la forme sociale de l’Etat est fondamentalement remise en cause. Là se trouve l’explication de la volonté de transformer la forme de l’Etat, de sociale à autoritaire.
Ce régime d’accumulation est nécessairement instable.
La faillite de LTCM en 1998 avait déjà attiré l’attention sur ces fonds d’investissement spéculatif. Il avait été question, lorsque la crise financière et la crise économique avaient durement touché, en 1997-1998, les pays d’Asie du Sud-Est – la Thaïlande et, surtout, la
Corée du Sud – ainsi que les grands pays latino-américains – le Mexique d’abord en décembre 1994, puis le Brésil et l’Argentine plus tard mais plus profondément – de réglementer ces marchés financiers, de limiter les interventions des capitaux spéculatifs. Le G7 s’était même réuni en urgence, mais n’avait pas pris de décisions : la crise s’étant limitée aux pays appelés émergents et la crise financière internationale ayant été évitée, les mesures ne s’imposaient pas.
La crise suivante était donc programmée...
Oubli des expériences précédentes et insistance sur les causes spécifiques de cette dernière crise
L’éclatement de la bulle Internet à partir de mars 2000, qui avait déclenché une crise financière de grande ampleur, indiquait la fin de la croissance sans frein des marchés financiers, du capital risque, de ces entreprises qui pouvaient se financer en émettant des actions nouvelles alors qu’elles affichaient des pertes.
Les expériences ne servent pas. Le présent est toujours différent. Les modèles économétriques, à la base de toutes les prévisions des intervenants sur les marchés financiers, n’incluent pas jusqu’à aujourd’hui (le changement est en cours) la possibilité de la crise, de la chute. Ils justifient « scientifiquement » la poursuite de la spéculation. Pour ces modèles, la crise systémique est impossible !
Quelles sont les causes de la crise actuelle ? C’est une crise qui démarre des entreprises de crédit hypothécaire aux Etats-Unis, et s’élargit, à l’ensemble du monde pour toute la sphère financière dans un premier temps.
Le point de départ : des prêts aux ménages américains les moins aisés pour l’achat de leur logement, à des taux très supérieurs à ceux pratiqués jusque là. Pour les sociétés de crédit, le taux d’intérêt est inversement proportionnel aux revenus : plus le revenu du ménage est élevé,
plus le taux d’intérêt est faible, plus le revenu est faible et plus le taux d’intérêt est élevé. La hauteur du taux dépend de la solvabilité de l’agent économique. Résultat : ces créances rapportent un bénéfice élevé, même si elles sont risquées. C’est le même mécanisme que les junk bonds - aujourd’hui interdits après les scandales révélés aux Etats-Unis -, ces obligations « pourries » qui avaient permis à des sociétés considérées comme non solvables de s’endetter à des taux d’intérêt usuraires. La chute est encore plus grande...
Pour diffuser les risques, ces créances sont devenues des titres rachetés par les hedge funds – et certains fonds d’investissement et, peut-être, de pension – ce qui permet aux sociétés de crédit hypothécaire de trouver de nouveaux capitaux pour continuer à prêter et émettre de
nouveaux titres... Ces titres, à leur tour, sont côtés sur les marchés financiers et font l’objet d’une spéculation, d’autant plus intense que les taux d’intérêt sont élevés. Les hedge funds ont mélangé ces titres à d’autres en leur possession – une manière de fonctionner qui n’a rien
d’illégal –, et les banques les ont proposés, sous forme de produits financiers, à leurs clients, qui ignorent que derrière certaines SICAV monétaires [4] se trouvaient ces titres émis par les sociétés de crédit hypothécaires. Les banques les nomment des SIV, pour structural investment vehicles. Ils ne font pas partie des bilans des banques puisque émis par d’autres que par les banques, celles-ci n’opérant que comme caution ou assurance de ces opérations.
L’effet de domino était attendu. A partir du moment où le marché immobilier aux Etats-Unis se retournait, où les ménages les moins aisés se trouvaient en situation de cessation de paiement, toute cette construction devait s’écrouler. Les premiers signes sont enregistrés en
2005, mais furent sont très grandement sous-estimés. Tout s’accélère en avril-mai 2007 lorsque des sociétés de crédit hypothécaire font faillite à leur tour, se trouvant dans l’incapacité de faire face à leur propre service de la dette faute de rentrées suffisantes d’argent. La faillite provient de l’impossibilité de payer ses créanciers au moment de l’échéance [5]. En découle la baisse prononcée du marché de l’immobilier - baisse des prix, mais surtout blocage des nouvelles mises en chantier - qui joue un rôle dépressif sur la croissance et diminue la fortune virtuelle des propriétaires de logement.
Les titres de ces crédits deviennent douteux. Ils sont massivement vendus, faisant baisser le cours de tous les titres sur les marchés financiers. C’est la chute du début du mois d’août. Chute rapide, brutale. Avec son lot de faillites supplémentaires.
Il est impossible de savoir – c’est la beauté du « hors-bilan » - le nombre de ces titres détenus par les banques. La crise de confiance en résulte. Le crédit interbancaire se tarit : les banques n’ont plus confiance les unes dans les autres. Or, une des conditions de la poursuite de l’activité bancaire, c’est bien la confiance ! Le crédit appelle le crédit. Pour faire face à leur besoin de financement à court terme, les banques, comme tous les opérateurs financiers, ont besoin de pouvoir se refinancer. Faute de quoi, elles pourraient faire faillite. Une vague de faillites ! Ce qui entraînerait d’autres opérateurs financiers et des sociétés industrielles... Un remake de la crise de 1929, en plus grand...
Dans le même temps - c’est le propre de l’éclatement de ces « bulles financières » qui ont gonflé trop vite -, les opérateurs ont pris conscience que les cours des actions (des titres en général) des entreprises avaient trop progressé par rapport aux capacités de profit de ces sociétés. La baisse s’en trouve généralisée.
Lorsque les banques centrales oublient les préceptes du libéralisme...
Pour éviter ces enchaînements récessionistes, ouvrant la possibilité à la fois d’une crise financière mondiale et d’une dépression économique, les banques centrales ont réagi. De deux façons.
La FED, la banque de réserve fédérale américaine, et la BCE, contre toute attente idéologique - le libéralisme oblige à lutter plutôt contre le crédit pour vaincre l’inflation – ont ouvert en grand les vannes du crédit. La seule BCE a injecté, le 11 août, en une seule journée, 95 milliards d’euros, prêtés à un taux de 4% aux banques pour que ces dernières puissent se refinancer [6]. La FED a utilisé le même procédé, même si elle a injecté, pour cette journée,
moins de liquidités. Elles ont récidivé les jours suivant, et à chaque fois que menaçait la crise de liquidité : le credit crunch. Des milliards d’euros et de dollars ont donc été émis par ces deux banques centrales. Elles ont créé de la monnaie pour alimenter la sphère financière et éviter la faillite de tout le système, alimentant ainsi un processus inflationniste qui ne se
mesure pas par l’intermédiaire des indices des prix...
Le deuxième type d’intervention porte sur les taux de l’intérêt. Ben Bernanke, le président de la FED, a décidé, le 17 août, de baisser de 0,5 point son taux d’escompte afin de donner le signal d’une baisse des taux et permettre aux marchés financiers, celui des actions en particulier, de repartir à la hausse. Ce qui se réalisa. Provisoirement. La crise est trop ancrée pour que ce geste soit suffisant. Il est donc question de poursuivre la baisse pour favoriser la croissance aux Etats-Unis, croissance menacée par la diminution vraisemblable de la consommation de ménages déjà fortement endettés, à hauteur de 127% de leur revenu
disponible brut [7]. La BCE, en revanche, plus engoncée dans l’idéologie libérale, s’est refusé à faire de même, au moins jusqu’au début septembre. Les pressions seront trop fortes pour que, cette fois, elle soit à même de résister...
Cette baisse des taux, pour nécessaire qu’elle soit du point de vue des contraintes du régime d’accumulation, ne sera pas suffisante. La crise ne peut que se diffuser parce que les risques se sont élargis à un ensemble d’institutions. Les hedge funds liés au marché immobilier américain devrait faire faillite, entraînant dans leur chute des banques. Les gouvernements devront alors intervenir pour sauver le système financier, comme ils l’ont toujours fait... Mais, personne ne sait si, cette fois, ce sera suffisant.
D’autant que la récession menace aux Etats-Unis. La baisse de la consommation des ménages américains devrait résulter d’un double mouvement. D’abord la crise immobilière elle-même : les ménages, virtuellement moins riches, ne pourront pas s’endetter davantage et devront rembourser une partie de leur endettement, faisant chuter d’autant le marché final [8]. Or, jusqu’à présent, c’est surtout la consommation de ces ménages qui avait tiré la croissance...
Ensuite, les créations d’emploi sont moins importantes que récédemment, le pouvoir d’achat global devrait donc lui aussi diminuer...
Les firmes sont tributaires des marchés financiers via leurs actifs. Les cours de leurs actions déterminent la valeur de l’entreprise et ses capacités de trouver de nouveaux capitaux, la possession d’actifs (actions ou titres d’autres firmes) indiquant leur richesse. En cas de chute des cours, leur endettement devient la question essentielle. Elles peuvent donc faire faillite. Dans tous les cas de figure, elles restructurent, suppriment des emplois, intensifient le travail...
Cet ensemble devrait donc se traduire par une crise à la fois financière et économique. L’économie américaine étant l’économie dominante, sa crise sera aussi la crise de tous les pays. Seuls les imbéciles maniant le libéralisme comme une méthode Coué peuvent ignorer ces dimensions. Le président Sarkozy avec ses « Je veux 3% de croissance » fait partie de
cette cohorte. Il est en bonne compagnie. Le FMI de son côté minimise la crise, expliquant que la Chine permettra à l’économie mondiale de ne pas subir le ralentissement américain – pour le moins, les prévisions les plus optimistes font état d’une croissance de 1,6% pour 2008 aux Etats-Unis contre 4% pour l’année 2006 – ce qui est censé ouvrir à la Chine la possibilité de développer son marché intérieur et de moins dépendre des exportations vers les Etats-Unis. Comme si cette transformation pouvait se réaliser du jour au lendemain et comme si les Etats-Unis, de leur côté, n’étaient pas dépendants de la Chine pour les placements de capitaux qui financent leurs déficits jumeaux, celui du budget et du commerce extérieur... La Chine, les derniers scandales le montrent (sur les jouets, sur la nourriture), est loin d’être un pays développé. Elle n’est pas au même niveau économique que les Etats-Unis. Une évidence que les experts du FMI n’ont pas l’air de partager...
Le monde capitaliste entre dans une crise qui devrait donner naissance à une mutation. La question est de savoir quand. Si aucune intervention de régulation n’est réalisée, une fois encore le spectre de la crise de 1929 pourrait resurgir. Quant à la rupture complète avec le libéralisme pour définir un autre monde, elle à l’ordre du jour. La responsabilité des
organisations politiques de gauche et des organisations syndicales est d’assumer le défi, faute de quoi le libéralisme pourra encore triompher...
N.B.