La dernière tribune

Changement et continuité

, par Tendance R !

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La tendance Révolution ! a décidé d’interrompre la publication de sa tribune hebdomadaire dans Rouge. Elle en explique ici les raisons.

La tendance Révolution ! (TR !) s’est constituée comme tendance publique en janvier 1997. Notre appréciation était alors que la dynamique de l’orientation développée par la majorité de la LCR pouvait conduire, si elle se poursuivait et s’approfondissait, à la disparition de la LCR comme organisation révolutionnaire indépendante.

Retour en arrière

Cette estimation peut paraître aujourd’hui excessive. Nous pensons pourtant qu’elle était justifiée. Faut-il rappeler que lors des législatives de 1997, la LCR s’est adressée à l’ensemble des partis de la gauche institutionnelle (PS, PC, MDC, Verts) pour constituer des listes unitaires, sur la base de 10 propositions que la LCR soumettait à la discussion ? La même démarche était adoptée lors des élections régionales alors que la gauche plurielle était au gouvernement. Et si cette orientation ne s’est pas appliquée, ce n’est pas parce que la direction de la LCR aurait mis des garde-fous ou des conditions, mais surtout parce que l’ensemble des partis de la gauche plurielle n’avait aucun intérêt à s’embarrasser de la LCR et à la prendre dans ses bagages. D’ailleurs, dans le seul cas où la gauche plurielle a proposé à la LCR de figurer sur sa liste aux élections régionales, ce sont les militants de Seine-Saint-Denis qui ont empêché cette aventure, contre l’avis de la direction de la LCR.
Dans le même temps, les propositions que notre tendance défendait, tant aux législatives qu’aux régionales, de présenter des listes unitaires avec Lutte ouvrière et avec d’autres forces anticapitalistes, se heurtaient à une hostilité féroce de toutes les composantes de la majorité de la Ligue.
Rappelons également que sous prétexte de sondages de popularité et d’une prétendue impossibilité de dégager une opposition franche à la politique du gouvernement, la direction de la LCR se refusait à toute critique radicale de la politique gouvernementale. Elle est même allée jusqu’à apprécier positivement les emplois-jeunes et à affirmer que la première loi Aubry représentait un levier pour développer la mobilisation sur les 35 heures. On sait ce qu’il en est advenu. Les emplois-jeunes servent à masquer les suppressions d’emplois stables et qualifiés dans les services publics. Quant aux deux lois Aubry, si elles ont servi de levier à quelqu’un, c’est au patronat, pour généraliser la flexibilité et imposer l’annualisation du temps de travail.
La préoccupation essentielle de la LCR était alors d’essayer de faire bouger les lignes de clivage au sein de la gauche traditionnelle et des écologistes, et l’orientation défendue par la Ligue ressemblait alors plus à ce qu’auraient pu défendre des courants oppositionnels de gauche au sein des partis de la gauche plurielle. Evidemment, dans un tel cadre, la question de l’unité de l’extrême gauche dans les mobilisations et dans les échéances électorales était un sujet tabou, et la capacité de la LCR à intervenir en tant que telle était totalement sous-estimée.

Et pourtant elle tourne

Rétrospectivement, nous ne regrettons aucune des batailles politiques que nous avons menées alors, pas plus que notre constitution en tendance publique pour le faire dans les meilleures conditions possibles.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la même situation. La direction de la LCR a effectué un tournant suite aux résultats des élections régionales. Qu’au départ cette réorientation ait pu être déterminée par un certain réalisme à connotation électoraliste, et de manière très pragmatique, est incontestable. Mais cette réorientation s’est consolidée lors de la campagne pour les élections européennes, dont le contenu ­ opposition franche et radicale au gouvernement Jospin et à la politique de la gauche plurielle, défense de revendications anticapitalistes, de mesures d’urgence remettant en cause le fonctionnement du système capitaliste­ marque une rupture avec l’orientation précédente. C’est ainsi que la tendance Révolution ! a participé, lors de la conférence nationale de janvier 1999, à la constitution de fait d’une nouvelle majorité, sur la base de l’orientation qui sera mise en oeuvre lors de la campagne des européennes. Nous nous posions alors une question : cette orientation serait-elle une simple parenthèse, le temps d’une campagne électorale, ou allait-elle se poursuivre après les élections ?
Les résolutions votées lors des deux sessions du comité central qui ont suivi les élections européennes ont réaffirmé la nécessité de maintenir une orientation qui a permis de faire exister, dans la campagne des européennes, un pôle politique dessinant les contours d’une alternative anticapitaliste à la gauche gouvernementale.
Certes, cette orientation a bien de la peine à se concrétiser. Les raisons en sont diverses. La situation politique et sociale est marquée par la faiblesse des luttes, des grèves. D’autre part, les blocages de la direction de Lutte ouvrière empêchent d’avancer dans ce sens et de répondre positivement : refus d’un meeting commun LO-LCR à la rentrée, refus d’une affiche commune sur les licenciements à Michelin, refus de plusieurs banderoles communes lors de la manifestation du 16 octobre, refus enfin d’une candidature commune pour l’élection législative partielle dans la 21e circonscription de Paris. Enfin, la LCR montre des hésitations et des difficultés à défendre publiquement des propositions, et à prendre elle-même des initiatives permettant d’affirmer le pôle politique qui s’est constitué lors de la campagne des européennes.
Mais ces bémols ne changent rien au fait qu’une partie de la majorité du dernier congrès affirme sa volonté de maintenir et d’approfondir l’orientation mise alors en oeuvre.

Le débat a changé

À partir de ce constat, nous estimons que les débats que nous avons et que nous aurons au sein de la Ligue, notamment dans le cadre du prochain congrès national, ne sont plus de même nature, et qu’il faut avoir comme objectif de constituer une nouvelle majorité dont nous serions partie prenante, sur la base de l’orientation des dernières européennes et de son approfondissement. Dans ce cadre, nous avons décidé de mettre un terme à notre tribune hebdomadaire permanente dans Rouge. La situation antérieure, où les désaccords étaient si profonds qu’ils débouchaient quasi systématiquement sur des orientations contradictoires, est modifiée. Nous notons au passage que le fait que notre tendance ait pu s’exprimer depuis plus de deux ans, chaque semaine, dans Rouge (sans notes ou commentaires de la direction de la LCR, même quand la polémique était vive) est un réel acquis, et illustre le fonctionnement et la culture démocratiques de la LCR.

Divergences

L’abandon de notre tribune signifie-t-il que tous les problèmes sont résolus, que toutes les divergences ont disparu ? Non, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons décidé de maintenir notre tendance. Seules l’orientation qui sera concrètement mise en oeuvre et la préparation du congrès permettront de mesurer réellement convergences et divergences. Certaines questions en débat devront ainsi être approfondies : la nature et la politique de la social-démocratie au vu de son intégration dans les institutions de l’Etat, de l’Union européenne et à la tête des grands groupes industriels et bancaires, qu’ils soient publics ou privés ; les formes et les rythmes de la crise du PCF ; les possibilités ou non que se dégagent dans les organisations traditionnelles des courants de gauche ; les rapports avec le mouvement social.
De façon plus terre à terre, le contenu de Rouge nous paraît, à certaines occasions, en retrait par rapport aux réorientations à l’oeuvre au sein de la LCR. Ainsi, la formule systématiquement reprise « il faut obliger le gouvernement à changer de politique » recèle pour le moins des ambiguïtés. Si l’on veut dire par là que les mobilisations doivent imposer au gouvernement Jospin les revendications dont elles sont porteuses, comme l’interdiction des licenciements, il n’y a pas de problème. En revanche, s’il s’agit de laisser entendre que ce gouvernement pourrait mener une autre politique, favorable aux intérêts des travailleurs, ou que sa politique actuelle serait le fruit de pressions du patronat ou des lobbies financiers qui s’exerceraient contre sa volonté, alors il y a divergence. Mais ces débats, ces divergences s’exprimeront dans Rouge. Ses lecteurs peuvent se rassurer. Si nous arrêtons la tribune hebdomadaire, nous continuerons à défendre nos positions, nos propositions non plus dans une tribune spécifique, mais dans les colonnes de Rouge.

P.-S.

Rouge, 1999.

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