Quelle sont vos principales critiques du projet de budget présenté par le gouvernement ?
Michel Husson. Ce budget est fait pour les possédants : baisse d’impôts, transmission d’héritage aux petits-enfants, et subvention au personnel de maison. On ne peut pas dire que la France d’en bas soit gâtée ! C’est aussi un budget qui ne tiendra pas trois mois devant la conjoncture, et qui renonce d’emblée à préparer l’avenir en rognant sur la recherche. Tout cela saute aux yeux, mais il y a une tendance plus grave qui s’installe, à savoir la prise en charge par les finances publiques d’une part croissante de la masse salariale. Les aides publiques, dorénavant déconnectées de la réduction de la durée de travail, sont pérennisées, de même que la prime pour l’emploi. Dans les deux cas, ces mesures entérinent la philosophie du patronat qui consiste à dire : dans la zone des bas salaires, il ne nous est pas possible de payer plus que la faible productivité de ces salariés. Pour qu’ils restent « employables » il faut que l’État complète, s’il le souhaite, ces bas niveaux de salaires, en veillant de plus à assurer un différentiel attractif par rapport aux minima sociaux. Cette zone de bas salaires s’est élargie, puisqu’elle va dorénavant jusqu’à 1,7 fois le SMIC, ce qui englobe quand même près de 60 % du salariat. Force est de constater que la droite reprend ainsi des mesures instaurées par le gouvernement précédent. Cette confirmation par l’alternance conduit à altérer profondément la norme salariale : c’est toute la protection sociale qui, potentiellement, se trouve menacée de la régression au rang d’assistance budgétarisée.
Quelles sont à votre avis les propositions qu’il serait utile d’avancer ?
Michel Husson. Renforcer la progressivité de l’impôt, imposer les revenus du capital autant que ceux du travail, réduire le poids relatif des impôts indirects et en particulier la TVA sur les produits de base, on connaît les axes de ce que serait ou aurait pu être une fiscalité de gauche. Mais il est un point sur lequel on n’a pas assez discuté, à savoir la dette publique. Le budget Raffarin, une fois ajusté à la conjoncture, fera apparaître un déficit croissant. Est-ce que cela en fera pour autant un budget de gauche ? Non, car il faut distinguer deux choses. La possibilité, absurdement niée par le pacte de stabilité, d’un budget contra cyclique doit être réaffirmée. Mais le déficit chronique résulte d’un véritable cercle vicieux : on fait de moins en moins payer d’impôts aux riches, ce qui crée un déficit. Il est financé par l’emprunt, ce qui revient à servir une rente d’État aux bénéficiaires de la défiscalisation, qui gagnent sur tous les tableaux : moins d’impôts, et un bon placement. Si l’on résorbe le déficit en freinant les dépenses sociales, tout se passe comme si c’était les pauvres qui payaient les intérêts publics versés aux riches. Ce transfert entre classes sociales (et non entre générations) suggère un parallèle avec la dette du tiers-monde. On peut le prolonger en disant qu’une autre manière, progressiste, de réduire le déficit consisterait à dégonfler cette dette socialement illégitime par une ponction fiscale compensatrice. Programme pour une gauche à venir ?