Alex Lollia, membre fondateur de la Centrale des travailleurs unis (CTU) : « Il faut réfléchir à un Smic guadeloupéen »

, par LOLLIA Alex

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Les liens entre le Liyannaj kont pwofitasyon (LKP) et la Centrale des travailleurs unis (CTU) étaient quelque peu distendus après la mobilisation sociale générale de 2009. Ils ont été renoués à la réunion de préparation pour le 1er mai dernier. Et la CTU a participé au débat initié dimanche, à Viard/Petit-Bourg, par le LKP. Les priorités de rentrée de la CTU seront le chômage et les licenciements.

  • La CTU a-t-elle regagné le giron du LKP ?

La CTU a été la seule organisation à formuler des critiques publiques, claires et argumentées à l’égard de la stratégie de la direction du Liyannaj kont pwofitasyon (LKP) au cours du mouvement social de 2009. En même temps, il était clair pour tous que les militants de la CTU ont investi toutes leurs forces pour le succès de cette mobilisation. La débandade qui a suivi la grève générale a contribué à mettre de la distance entre le LKP et la CTU. Les liens avec les autres organisations syndicales ont été renoués quand l’UGTG nous a invités à une réunion pour la préparation du 1er mai 2013. Dans ce cadre, la CTU a proposé que soit prise l’initiative d’un forum au cours duquel les travailleurs, les chômeurs, les jeunes pourraient s’exprimer librement sur les revendications qui leur paraissent essentielles et les moyens à mettre en oeuvre pour les satisfaire.

  • Depuis une trentaine d’années, la vie syndicale est ponctuée de puissantes mobilisations populaires. Qu’est-ce qui les caractérise ?

En réalité, ce qui caractérise toutes les grandes mobilisations populaires (Affaire Faisan, grève générale de 1992, les 44 jours de 2009) c’est qu’elles donnent l’impression de transformer le paysage guadeloupéen pendant le mouvement. Puis, dès l’arrêt de la lutte, chacun retourne à son train-train quotidien comme si rien ne s’était passé.
À la CTU, nous pensons qu’aucun cerveau, aussi lumineux soit-il, ne peut prétendre rendre compte à lui seul de toute la complexité d’un mouvement populaire d’envergure.
Aussi, les réflexions de tous ceux qui ont participé au mouvement sont utiles pour préparer les mobilisations de demain. C’est dans cet esprit que la CTU a participé au débat initié dimanche dernier par les organisations syndicales.

  • Quels sont les chantiers que va ouvrir la CTU lors de la rentrée sociale ?

Il existe pour nous des questions incontournables, par exemple, celles du chômage et des licenciements. Le maintien d’un grand nombre de chômeurs déstructure et fragilise le tissu social guadeloupéen. Il fait de notre pays une société d’oisiveté et de violence. Par ailleurs, les bas salaires constituent un véritable scandale. Que peut signifier pour un travailleur, en Guadeloupe, un Smic horaire français dans un pays où le constat de la cherté de la vie fait l’unanimité ? La bataille pour l’application intégrale de l’accord Bino doit nous donner l’occasion de réfléchir à la définition d’un Smic guadeloupéen. Ces deux problèmes ne sont pas déconnectés de celui du développement économique. L’expérience est désormais faite : l’initiative privée ne peut pas mettre notre pays sur les rails du développement économique.
La sauvegarde de la terre agricole et de la production paysanne est pour nous essentielle. Enfin, le Code du travail, depuis quelques années, est vidé de sa substance. Les droits syndicaux sont émiettés et progressivement abolis. Il importe pour la CTU de faire respecter les pouvoirs des institutions représentatives du personnel et d’engager la bataille pour que les salariés des petites entreprises (moins de 11 salariés) soient représentés et non-exclus du minimum démocratique.
Il y aura des luttes dans les entreprises où les travailleurs seront attaqués. Mais nous savons les limites des batailles éparpillées et isolées. Quelle que soit l’opinion de chacun et quelles que soient les divergences entre courants syndicaux, il faudra agir de concert sur les dossiers que nous choisirons ensemble. Pour y arriver, il y a un obstacle à bousculer : la coupure entre les dirigeants qui conçoivent et décident et la base qui attend et exécute. Cette situation n’est pas de nature à dynamiser un mouvement de grande ampleur. Au contraire, elle pervertit la démocratie et enlève aux masses populaires le contrôle de leur propre mouvement.

  • Comment se porte la CTU ?

La CTU se remet lentement mais sûrement de la crise de direction qu’elle a connue après le mouvement social de 2009. Comme toutes les organisations syndicales, nous avons eu notre traversée du désert. Mais nous revenons sur la scène sociale renforcés.

  • Avec une nouvelle structuration ?

Cela pour deux raisons : d’une part, nous avons gardé intact notre esprit critique ; nous n’avons jamais fait taire la libre parole dans nos rangs. D’autre part, nous avons entamé une restructuration de notre organisation qui fait de tout militant un dirigeant. Nous avons brisé l’architecture pyramidale où les chefs ordonnent et la base exécute. La CTU est la seule organisation à ne pas avoir de secrétaire général. Alors que les adhérents venaient nous rejoindre de manière individuelle, nous observions depuis quelque mois, l’arrivée d’équipes entières, expérimentées et combatives. Notre priorité interne est la formation afin de faire émerger une nouvelle génération militante. Une telle initiative nous met à l’abri du dogmatisme et du sectarisme. Il s’agit d’éviter de donner des réponses toutes faites à des questions mal formulées, d’aiguiser les esprits, de les préparer à la responsabilité individuelle et collective, de les avertir des difficultés du militantisme et de vaincre notre pire ennemi : l’ignorance.