1948 ou 1967 ? 2000 hectares ou 100 hectares ?

, par SALINGUE Pierre-Yves

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« Les Israéliens veulent nous obliger à aller vivre ailleurs », accusent les villageois de Budruss... Ce village de 1 200 habitants campé à quelques centaines de mètres de la « ligne verte », qui sépare Israël des territoires palestiniens depuis 1967, n’entend pas se laisser dépouiller une nouvelle fois de ses terres. « En 1948 déjà, lors de la création d’Israël, nous avons perdu 2 000 de nos 2 500 hectares de terre agricole », affirme Ayed Ahmed Murar, l’un des responsables du comité public de résistance au mur, créé en réponse au projet israélien. « Aujourd’hui, ils veulent nous en prendre encore 100 et déraciner 3 000 de nos oliviers », assure-t-il.

Le voyage de Sharon aux Etats Unis marque une étape importante dans la mise en œuvre du dispositif de liquidation des aspirations nationales du Peuple palestinien. Dans une lettre adressée à Sharon Bush va prendre acte des « réalités démographiques existant sur le terrain » : en clair le gouvernement des Etats-Unis va entériner l’appartenance à l’Etat israélien des principaux blocs de colonies construites en Cisjordanie et va confirmer le caractère obsolète de la perspective d’un “ retour aux frontières de 67. Il va ainsi valider le plan de retrait de la bande de Gaza qui, pour le coup, sera le seul territoire palestinien vraiment hermétiquement cerné par un mur et des barbelés construits au fil des années Oslo et post-Oslo, sans que ceci ne suscite de réaction particulière d’une opinion internationale et d’un “ camp de la paix ” plus portés à se mobiliser pour des “ symboles ” qu’à s’opposer au nettoyage ethnique quotidien. La même missive de Bush règlera son compte aux prétentions des réfugiés palestiniens à revenir dans leurs foyers sur les terres qui leur ont été volées et dont ils ont été expulsés par la force, en 1948 puis en 1967. Leur “ droit au retour ” sera possible dans “ l’état palestinien ” qui existera ...plus tard ! Afin d’obtenir le silence complice des dirigeants des états arabes, le gouvernement américain n’a pas souhaité annoncer officiellement la fin de ce “ droit au retour ” L’expression sera donc encore présente, sous la forme d’une reconnaissance d’une fiction de “ droit au retour ”, pas à l’endroit où ces réfugiés veulent revenir mais dans un état qui n’existe pas et dont la fantomatique silhouette s’amenuise de jour en jour au fil des “ plans de paix ” et des “ négociations ” tant souhaitées par tous les “ réalistes ” et autres “ courageux ” beaucoup plus doués pour dispenser dans la presse des leçons de morale aux Palestiniens qui souffrent et qui cherchent des voies pour survivre que pour participer avec eux sur le terrain à la recherche d’une voie de résistance.

Bien évidemment tout ça va se faire sur fond de proclamation de fidélité à la mise en œuvre de “ la feuille de route ” qui restera la référence commune de tous ceux qui veulent faire croire que la paix est possible même avec la négation des droits élémentaires des Palestiniens. D’Abdallah de Jordanie à la Communauté européenne et de Moubarak à l’ONU en passant par tous les artisans d’une “ paix juste ” c’est à dire d’une “ paix ” qui demande au peuple spolié de reconnaître les droits du spoliateur, on va nous expliquer que la solution est acceptable “ parce que cela s’inscrit dans le cadre de la feuille de route et donc dans le respect de la vision affirmée par Bush d’un état indépendant palestinien ” Soyons réalistes, procédons par étape... Il y a dix ans c’était “ Gaza et Jéricho d’abord ” mais qui s’en souvient, ou plutôt qui veut s’en souvenir, puisque ce dont il s’agit aujourd’hui c’est de tromper une nouvelle fois les peuples avec une sorte de remake plus modeste “ Gaza d’abord ” ? Certes les blocs de colonie de Cisjordanie seront intégrés à Israël (ils le sont déjà en réalité, il ne reste plus qu’à entériner au plan diplomatique le fait accompli)... mais quelques labellisés “ hommes de paix ” seront là pour dire que c’est dans l’attente d’échanges territoriaux futurs. Certes la contiguïté de “ l’état palestinien ” se fera au moyen de corridors et de ponts ( enfin, de promesses de corridors et de ponts...) mais l’objectif sera atteint : redonner vie à une phase d’illusion de l’existence possible de deux états rencontrant certes quelques problèmes frontaliers et ainsi sortir le gouvernement israélien des difficultés inhérentes à la perception publique internationale croissante d’une situation d’un peuple désarmé qui résiste à une occupation militaire.
Préparez vos mouchoirs en vue des émouvantes déclarations de celles et ceux qui vont remercier la direction palestinienne de consentir encore quelques “ sacrifices douloureux mais nécessaires ”, nous avons en effet quelques parlementaires européens “ amis des Palestiniens ” assez doués dans ce genre d’exercice... Certes, pour qui veut bien prendre le temps de regarder et d’analyser cette “ direction ” ne dirige plus rien mais son existence permet d’entretenir l’illusion d’un processus de négociations entre deux parties et donc, quelque part, de la prise en compte des intérêts du peuple palestinien par la voix de ses “ représentants légitimes ” Comme l’a dit Hussam Khader “ ils (l’Autorité palestinienne) nous promettaient un nouveau Singapour et ce sera la Somalie ”, mais même réduite aux lambeaux d’une autre Somalie la dépouille de feu l’état palestinien indépendant intéresse encore la maffia d’Oslo et les discussions vont bon train pour voir qui va prendre la direction des cantons palestiniens.

Sharon aura sans doute quelques problèmes avec sa droite ultra religieuse ? Soyez sans crainte : la rechange est prête. Un referendum dans le Likoud à la fin du mois, une majorité de gouvernement alternative grâce à l’accord des travaillistes israéliens, Ben Eliezer à la manœuvre pour s’occuper des opérations punitives à Gaza “ évacué ” (Israël a “ le droit de se défendre ” n’est ce pas ?) Sharon pour s’occuper des colons enragés, Péres pour amuser la galerie au plan international...tous les acteurs sont en place pour l’épisode suivant de la conquête territoriale et du nettoyage ethnique. Les rôles peuvent changer, des doublures prendront peut-être la place des anciennes stars un peu fatiguées ...mais la pièce va se jouer et les supporters d’Oslo privés par la deuxième Intifada sont impatients de la reprise du spectacle. Le show de Genève était certes agréable mais un “ vrai processus de paix ” avec ceux qui gouvernent vraiment c’est encore mieux qu’un plan virtuel.

Tout sera fait pour qu’à Gaza les Palestiniens s’entretuent, pour qu’en Cisjordanie la situation soit suffisamment insupportable pour que les jeunes partent et que la lutte pour le pouvoir à l’échelle de chaque canton détruise l’espoir d’une quelconque construction démocratique chez celles et ceux qui n’ont d’autre choix que de rester et pour qu’en Israël l’Apartheid à l’encontre des Palestiniens de 1948 se renforce dans l’indifférence générale de ceux qui pensent que “ le vrai problème c’est l’occupation ” Faut-il ici parler du sort qui attend les réfugiés définitivement réduits à l’état de “ problème humanitaire ” ? On discutera bientôt ouvertement du devenir de l’UNRWA et les naïfs découvrant les mauvaises intentions des financeurs pourront protester la main sur le cœur (“ on nous a trompés ”) comme ils l’ont fait après l’Intifada en “ découvrant ” les colonies construites pendant la “ paix d’Oslo. ”

Et nous, mouvement de solidarité, sommes-nous prêts ? Je n’en suis malheureusement pas très sûr. Avec l’effondrement de la perspective de l’état indépendant palestinien et de la direction qui s’y est identifiée, l’heure de vérité approche pour notre mouvement. Après de nombreux détours et diversions, la réalité fondamentale du conflit réapparaît au grand jour : la nature du projet sioniste et sa volonté d’établir “ un état juif ” sur la terre de Palestine implique la destruction du Peuple palestinien. Pour atteindre cet objectif les dirigeants sionistes ont trouvé l’appui de l’impérialisme le plus puissant, lui-même intéressé à la défaite des peuples arabes de la région et à l’anéantissement de leurs aspirations à conquérir leurs droits nationaux. Ce qui se passe pour les Palestiniens des territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza devrait nous convaincre qu’il n’y a pas de spécificité dans l’occupation de 67 qui n’était qu’une étape supplémentaire de la conquête sioniste de toute la Palestine, une ambition initiale à laquelle aucun gouvernement sioniste n’a renoncé et pour la réalisation de laquelle le sionisme a gagné l’appui de l’impérialisme qui le rejoint dans une commune volonté de détruire la cause palestinienne dans la conquête de ses droits nationaux.

La présente situation nous ramène à la racine des choses : la question n’est ni l’occupation de 67 ni la présence de Sharon au gouvernement, la question est celle de la nature du sionisme et de l’état qu’il a construit sur la terre palestinienne, les conquêtes territoriales de 67 n’étant qu’une des étapes du nettoyage ethnique et Sharon n’étant qu’un des zélés serviteurs de la cause sioniste, en l’occurrence bien plus efficace pour cette cause que la plupart de ceux qui le critiquent au sein du camp sioniste. Ni le sionisme ni l’impérialisme ne peuvent s’accommoder d’un peuple palestinien conquérant ses droits nationaux légitimes. Le seul peuple palestinien qu’ils peuvent accepter c’est un peuple palestinien soumis, dépendant, fragmenté, dissous et ayant renoncé à l’essentiel de ses droits et de son territoire et se contentant de prendre ce qu’on voudra bien lui octroyer.
A ce jour ils n’y sont pas encore parvenus, de même qu’ils n’ont pas encore réussi à défaire et détruire le Peuple irakien. Notre mouvement doit maintenant en finir avec la cécité ou l’hypocrisie. L’approche qui se veut équilibrée et qui consiste à raisonner en termes de “ deux légitimités ” ou de “ deux mouvements nationaux cherchant à obtenir leurs droits légitimes ” ne doit pas être seulement combattue pour ce qui s’est passé à partir de 1967. Le refus de considérer le sionisme comme un mouvement colonialiste qui porte en lui-même la dépossession palestinienne surdétermine toute l’analyse de l’histoire du conflit, du “ processus de paix ” et des hypothèses de solution. La conquête des droits nationaux palestiniens passe par la défaite du sionisme et de son projet à ce jour inachevé. Rien n’incarne mieux cette exigence que la revendication du droit au retour des réfugiés dans leurs foyers. Cette revendication est bien entendu totalement incompatible et terme à terme contradictoire avec le projet politique et la réalisation d’un “ état juif ”.

La mise en œuvre des plans actuels de la feuille de route et des plans Bush, Abdallâh, Moubarak et autres Sharon passe par la liquidation de la résistance du peuple palestinien et des peuples arabes de la région. Notre mouvement de solidarité est désormais parvenu à un carrefour dont toutes les voies ne mènent pas aux côtés des peuples en lutte, ce qui est une autre façon de dire que toutes les revendications ne se valent ni ne se complètent par la grâce d’une simple addition. Dans le moment actuel d’offensive pour détruire le Peuple palestinien jusque dans la conscience qu’il a de son existence nationale, les revendications de droit à l’autodétermination de tout le Peuple palestinien et de droit au retour des réfugiés palestiniens dans leurs foyers prennent une place centrale et seront le socle politique incontournable de tout mouvement de solidarité inscrivant son action dans la longue durée. Ce n’est pas négliger la question posée aux populations par la construction du mur dans des parties de Cisjordanie que dire qu’il faut réinscrire cette lutte dans le combat d’ensemble que mènent les populations contre la poursuite du nettoyage ethnique. Les mobilisations contre le mur ne sont pas d’une nature différente et d’une urgence supérieure pour les populations que celles pour la libération des prisonniers, contre l’extension des colonies, pour l’accès à l’eau, contre les destructions des maisons et des cultures, contre les couvre-feux et les barrages militaires, contre les incursions dans les camps de réfugiés et les villages, contre les liquidations de militants politiques et de résistants etc. La situation des habitants de Gaza par exemple n’est en rien affectée par une campagne internationale contre le mur en construction en Cisjordanie, campagne dont l’exclusivité de la médiatisation renforce au contraire là-bas la perception d’abandon d’une population qui a payé un tribut majeur à la lutte de libération et qui va être la cible de coups redoublés dans le cadre du plan d’évacuation unilatérale. Il ne s’agit pas ici d’opposer Gaza à la Cisjordanie, de même qu’il ne s’agit pas d’opposer les Palestiniens de 48 avec ceux de 67, ni d’opposer les réfugiés à ceux qui ne le sont pas. Bien au contraire il s’agit pour le mouvement de solidarité de prendre la mesure de la cohérence indispensable du soutien qu’il doit apporter à l’ensemble du Peuple palestinien. Par la guerre, l’occupation, la division en zones des accords d’Oslo, la construction des colonies fragmentant le territoire, aujourd’hui la construction du mur et demain le “ retrait de Gaza ” le sionisme a méthodiquement visé à disperser le Peuple palestinien pour étouffer l’identité nationale palestinienne et pour empêcher l’unité de son combat pour ses droits nationaux. Cette unité de la lutte du Peuple palestinien pour ses revendications nationales légitimes indique au mouvement de solidarité quelles sont les exigences d’une solidarité internationale. Notre mouvement doit très clairement afficher son identité de mouvement de soutien à la lutte du Peuple palestinien pour ses droits nationaux légitimes. Dans cette lutte il n’y a nulle équidistance ni équilibre à respecter entre l’oppresseur et l’opprimé. L’oppresseur s’identifie avec une entreprise coloniale qui ne commence pas avec l’occupation en 1967 des 22% qui restent de la Palestine historique mais avec la dépossession et l’expulsion d’un peuple de sa terre par la force des armes dès 1948. Notre solidarité avec la lutte du Peuple palestinien pour ses droits ne requiert aucune légitimation autre que celle de notre conviction de qui est le spolié et qui est le spoliateur. Nous ne sommes pas un mouvement de soutien à un “ processus ” ou à une “ logique ” de paix qui n’existent pas. Nous soutenons la lutte d’un peuple pour sa libération et nous n’avons nul besoin de donner des gages ou des garanties à l’état qui l’opprime et à l’idéologie qui est le moteur de cette oppression. Choisir la voie qui mène à la paix ? Sans aucun doute : elle passe par la défaite du sionisme et la satisfaction complète des revendications du Peuple palestinien.

Pierre-Yves Salingue
Le 12 avril 2004.

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