Un autre FSE est possible

, par AGUITON Christophe

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Ce mois-ci, nouvelle édition du Forum social européen, à Londres. Christophe Aguiton, membre de la commission internationale d’Attac, trace une brève histoire du mouvement altermondialiste et esquisse les enjeux britanniques et globaux... Bref, il veut nous convaincre d’aller au FSE le 15 octobre, en attendant la rencontre mondiale de Porto Alegre en janvier. Entretien.

Après Florence 2002, Paris 2003, on prend les mêmes et on recommence... Que dire à ceux qui ont peur de s’ennuyer à Londres ?

Christophe Aguiton : Il faut regarder les maturations internes au sein même des forums. L’insertion des débats nationaux constitue une évolution positive. Forums sociaux mondiaux et européens sont parvenus à être les symboles d’une résistance à la mondialisation libérale. Deuxième succès : ces rencontres sont devenues place de marché, au sens social du terme. On y construit et échange des expériences. En un mot, la mise en réseau fonctionne bien. Ce n’était pas gagné mais c’était indispensable.
Les modes d’organisation sont en train d’évoluer. Le prochain forum social mondial, Porto Alegre 2005, sera encore un terrain d’expérimentation et d’innovation. Avec les enseignements du Larzac 2003 et du FSM de Bombay, nous voulons en faire un lieu de diffusion des pratiques alternatives : le travail volontaire de traduction du réseau Babel, par exemple, est une expérience de coopération mondiale décentralisée assez géniale. Economie solidaire et logiciels libres seront des réflexions centrales, comme la réflexion culturelle et architecturale. Il s’agit de réfléchir sur l’expérimentation concrète des alternatives.
Là où nous sommes encore loin d’avoir gagné, c’est dans la démonstration de l’existence d’alternatives au néolibéralisme. C’était plus une proclamation qu’une réalité. Mais il faut prendre en compte les grandes mutations actuelles, un tournant historique assez perturbant pour un vieux militant de 50 ans comme moi. Les grandes mobilisations de 1936, 1945 ou 1968 ont toujours vu une forte montée en puissance des syndicats et partis. Or, la vague considérable de luttes que nous vivons aujourd’hui ne s’accompagne pas d’un tel phénomène. On est dans un processus nouveau où partis et syndicats de masse ne ramassent plus les fruits des mobilisations en termes d’effectif. Mais les nouvelles formes d’engagement, contrairement à ce que soutiennent certaines analyses un peu rapides, sont aussi profondes qu’auparavant. Elles sont plus ponctuelles et plus ciblées. Reste que cela pose des questions, notamment pour l’apprentissage et la transmission des expériences de militantisme.

Comment s’en tire Attac ?

Christophe Aguiton : Les organisations « historiques » de 1999/2001 comme Globalize resistance, Movimiento de resistancia global ou Attac sont en crise depuis deux ans. Leur rôle est questionné par cet incroyable élargissement du nombre d’organisations et des thématiques du mouvement altermondialiste... Cette nouvelle donne nous contraint à gérer la diversité. Rappelons-nous des débats provoqués, l’année dernière à Paris, par la présence de l’ONG Caritas, pas vraiment à gauche, de Tariq Ramadan ou de Force ouvrière. Dans ces débats, quel rôle et quelle légitimité pour les organisations comme Attac ? La question est d’autant plus posée que les thématiques se diversifient. Les premiers rendez-vous alters étaient marqués principalement par la remise en cause du fonctionnement des institutions internationales. Aujourd’hui, les interrogations de niveau local sont tout aussi présentes. Cette crise a créé une dissolution en Espagne de Movimiento de resistancia global et plusieurs départs de la structure anglaise Globalize resistance. A Attac, le débat est devenu incontournable. Et il divise. Selon moi, l’élargissement et la diversité des acteurs des grands rendez-vous représentent une victoire. Attac doit s’élargir en même temps que nos partenaires arrivent. A l’inverse, Jacques Nikonoff ou précédemment Bernard Cassen estiment qu’il faut créer une colonne vertébrale afin de circonscrire ce qu’est Attac. Avec derrière la tentation d’en faire un appareil qui a ses propres réponses politiques, on a vu cela avec les listes « 100 % altermondialiste ». Ce débat n’est pas tranché, heureusement, mais il nous agite depuis plus d’un an. C’est la réfraction d’interrogations beaucoup plus globales.

Ce débat porte en somme sur la définition même du mouvement altermondialiste...

Christophe Aguiton : Il faut revenir un peu en arrière et regarder le développement du mouvement. On a d’abord vu des mobilisations monothématiques, au moins dans leur perception. Au commencement, Attac était perçue comme une association militant pour la taxe Tobin. En 2001, la rencontre de Seattle marque une rupture. On y observe une demande de globalité. Attac retrouve alors sa charte initiale, plus large que la seule taxe. En Espagne se monte Movimiento de resistancia global, Globalize resistance en Angleterre et Attac s’internationalise. Ces structures sont très similaires et leurs cibles les plus importantes possibles : OMC, G8, etc. Ce qui frappe, c’est la jeunesse des militants et le développement de nouvelles formes d’action, non violentes mais actives. Nous sommes alors dans une approche encore délégataire et les manifs restent petites.
L’année 2001 voit une massification du mouvement. 300 000 personnes sont dans la rue à Gênes. A Porto Alegre, pour le FSM, on attendait 3000 délégués. Ils seront 15 000, puis 40 000 à Québec. Un faisceau de raisons concourt à cette explosion. C’est la fin de la « Nouvelle économie » et le début d’une crise. A l’effondrement de ce mythe s’ajoute celui du mythe de la paix, que l’on devrait à l’adhésion de certains pays aux grandes institutions mondiales comme l’OMC. En septembre 2001, on constate que le monde n’est pas en paix. Une première page mémorable du Wall Street Journal titrait en octobre 2001 « adieu, Seattle », avec l’idée que critiquer le capitalisme revenait à se ranger dans le camp d’Al Qaida ! Pourtant, le mouvement a montré qu’il pouvait intégrer la lutte contre la guerre. Mais la donne s’est encore complexifiée, amenant le mouvement à muter. Il a dû continentaliser et globaliser son action. Ce faisant, le mouvement alter déclenche dès 2002 une vague de luttes globales qui déferlent dans le monde entier. Les mobilisations de mai 2003 en France, puis celles des Espagnols et des Allemands sont les répliques des séismes FSM et FSE. Cette globalité ancrée au niveau national est très riche mais rend compliquées l’identification et la compréhension du mouvement altermondialiste.

Allez, OK, on va à Londres, voire à Porto Alegre ! Outre le dénominateur commun de la construction d’une alternative au libéralisme, quels sont les enjeux de ce FSE à Londres ?

Christophe Aguiton : La guerre en Irak continuera d’être une question prépondérante. Par ailleurs, le paysage militant britannique est très éloigné du nôtre. Le marxisme ne s’y implante pas. En revanche, le trotskisme s’y développe bien, produisant des familles qui n’existent que très faiblement en France. A côté de ça, des mouvements sociaux très récents et novateurs posent de nombreuses questions. Parmi eux, Reclaim the street, qui au milieu des années 90 préfigurait l’altermondialisme par ses méthodes et ses modes de militance. Il s’est construit en opposition radicale avec les syndicats. Le FSE est une occasion de nouer le dialogue. Les ONG ont aussi une carte à jouer. Elles sont beaucoup plus puissantes qu’en France et ont été des structures-clés dans la construction altermondialiste. De leur côté, les syndicats se relèvent doucement du KO des années Thatcher. Ils ont gagné en combativité. Vus de France, ils ont des rapports tellement étranges aux partis qu’il est difficile de se parler et de se rencontrer. Cette césure-là a toujours existé, mais il faut s’y attaquer réellement, essayer de comprendre et de mettre ensemble des familles politiques très différentes. Cela demande un effort de compréhension réciproque. Avec, à l’issue, un enjeu qui nous intéresse aussi de ce côté de la Manche : quelles forces vont pouvoir se dégager et gagner en autonomie vis-à-vis du Labour ? Comment les différentes composantes de ce paysage peuvent-elles ne plus être inféodées ? C’est là un enjeu énorme.

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