- Comment caractérises-tu la période qui commence avec la victoire du « non » au référendum sur la Constitution Européenne, la révolte des jeunes des banlieues et les grandes mobilisations contre le CPE (« contrat premier emploi ») ?
Ce qui caractérise la situation sociale et politique en France, c’est le fossé qui existe entre le mécontentement et la combativité qui se sont affirmés dans les mouvements de lutte, et la capacité des travailleurs et de la jeunesse à faire reculer un gouvernement considéré comme illégitime par l’immense majorité de la population.
L’attitude de la grande majorité des travailleurs face au mouvement étudiant contre le CPE reflète l’état d’esprit dominant. Les manifestations ont été très massives — il y a eu deux à trois millions de personnes —, mais les travailleurs ont peu participé aux grèves ; ils ont exprimé leur solidarité, mais ils ne se sentaient pas capables d’engager réellement une lutte contre le gouvernement. La cause essentielle en est la politique des directions syndicales, en particulier de la direction de la CGT qui, bien qu’accompagnant le mécontentement étudiant, n’ont eu aucune perspective d’ensemble pour généraliser la lutte.
Il faut souligner le rôle du Parti Socialiste, qui a soutenu le mouvement bien que très gêné lorsque les jeunes se sont opposés au vote du projet de « premier emploi » au Parlement. Ils ont accompagné le mouvement pour mieux le canaliser et le dominer. Il ne s’agissait pas, pour eux, d’exiger la démission de Villepin (Premier ministre). François Hollande, le principal dirigeant du PS, a déclaré que « tout cela se réglerait en 2007 », année de l’élection présidentielle.
Il y a en France une crise de gouvernement et une crise de régime. C’est-à-dire qu’il y a l’épuisement, la « fin de règne » de Chirac, et d’une façon plus générale, une crise du système politique, un début de crise du Parlement. L’illusion sur la possibilité de changer les choses au moyen des élections et d’un changement de majorité parlementaire n’a presque plus de crédibilité. C’est, au fond, la même crise politique que nous trouvons en Allemagne et qui s’est terminée par la dénommée « grande coalition » (entre le parti de droite et la social-démocratie). Aujourd’hui, en France, la campagne populiste de droite de Sarkozy a une certaine symétrie avec un certain populisme de gauche représenté par Ségolène Royal (la principale candidate socialiste).
- Pourrais-tu nous expliquer le mouvement de lutte qui se développe contre l’expulsion des immigrés « sans papiers » ?
À la fin de l’année scolaire (en juin), un puissant mouvement a démarré au moment où le gouvernement s’apprêtait à expulser des familles d’immigrés dont les enfants étaient scolarisés en France. Le mouvement a été essentiellement impulsé par les enseignants du mouvement Réseau Éducation Sans Frontières, animé en particulier par des camarades de la Ligue Communiste Révolutionnaire. La situation subie par ces enfants a provoqué une révolte populaire ; les parents ne comprenaient pas qu’un enfant qu’ils voyaient tous les jours, qui était l’ami de leurs enfants, puisse être expulsé et ne plus revenir à l’école après les vacances.
Le mécontentement a été suffisamment profond pour causer du souci au Parti Socialiste. On a pu voir les instances dirigées par le PS organiser des réunions de parrainage, des « cérémonies républicaines » au cours desquelles les habitants des villes déclaraient prendre sous leur protection les enfants menacés d’expulsion. Il y a eu un mouvement de réaction contre ce qu’on a appelé « la chasse à l’enfant ». Face à cela, Sarkozy, le ministre de l’Intérieur, a laissé entendre qu’il pourrait y avoir un nombre important de régularisations. En réalité, le nombre de ceux qui vont être effectivement régularisés va être très faible. Pendant les vacances, il y a déjà eu un grand nombre d’expulsions, en particulier de familles dont les enfants étaient scolarisés dans le secondaire.
Actuellement se développe une autre lutte des immigrés « sans papiers » parce que Sarkozy a voulu reprendre l’offensive en expulsant mille immigrés qui occupaient un bâtiment dans la banlieue de Paris. La solidarité est en train de s’organiser en ce moment même ; les « sans papiers » campent face au bâtiment occupé pour exiger une solution et un relogement.
- Comment se présentent les élections présidentielles de l’an prochain et quel est, à ce sujet, la position de la Ligue Communiste Révolutionnaire et celle de ta tendance, Démocratie Révolutionnaire ?
Il est clair que dans ce cadre, les élections présidentielles de 2007, immédiatement suivies par les Législatives, acquièrent une grande importance. A droite, c’est apparemment Sarkozy qui est en train de s’imposer ; sa politique consiste à gagner des voix provenant de l’extrême droite pour en finir avec la politique de Chirac de cohabitation avec la gauche. A gauche, la candidate sera sans doute Ségolène Royal, du PS.
Parmi les forces de gauche qui ont participé à la campagne pour le « Non » au référendum, se déroule un débat pour la présentation d’une candidature unitaire de la « gauche du non ». Ou, du moins, de ce qu’il en est resté, parce que les dirigeants socialistes qui se prononcèrent pour le « non », ont fait la « synthèse entre le « oui » et le « non » »...
La Ligue Communiste Révolutionnaire a participé à ces discussions, en mettant comme condition minimum pour une candidature unitaire la rupture de toute alliance gouvernementale ou parlementaire avec le PS. Ce qui ne fut pas accepté par les autres participants au débat, en particulier par le PC. C’est pourquoi la LCR a décidé, lors d’une Conférence Nationale en Juin, de présenter son propre candidat, Olivier Besancenot.
Le courant auquel j’appartiens, Démocratie Révolutionnaire, a défendu avec la majorité qui est sortie du dernier Congrès, la résolution en faveur de la candidature de Besancenot, sur la base d’un plan d’urgence sociale et démocratique, résolution qui a obtenu 60 % des voix lors du Congrès. La résolution proposait de continuer les débats avec le reste de la gauche mais en défendant notre propre orientation. Le plus important pour notre courant, c’est d’affirmer une force d’opposition ouvrière et populaire face au Parti Socialiste et à tous ceux qui, d’une façon ou une autre, cherchent à s’allier avec lui. Ceci dans la perspective de construire ce mouvement d’ensemble.
- Comment Démocratie Révolutionnaire pose-t-elle le problème de la perspective de construire un parti des travailleurs ?
Pour notre courant, la perspective d’un parti des travailleurs est une tâche d’actualité depuis 1995, lorsque Arlette Laguiller (candidate de l’organisation trotskiste française Lutte Ouvrière) a fait 5 % des voix à l’élection présidentielle. Le mécontentement et la reprise des luttes se renforcent réciproquement, et l’extrême gauche joue un rôle important dans les mobilisations. En 2002, les partis trotskistes, nous avons fait 10 % des voix (à la présidentielle) ; l’objectif pour les années qui viennent, c’est d’enraciner le mouvement anticapitaliste et révolutionnaire dans le monde du travail, autant dans la rue que dans les urnes.
Il faudrait que la gauche anticapitaliste et révolutionnaire réussisse à se rassembler. Dans cette perspective, l’idée de candidatures unitaires, indépendantes de la gauche gouvernementale, est absolument juste. Mais, cependant, les camarades de Lutte Ouvrière sont peu ouverts à cette discussion ; ils sont restés en marge des relations unitaires qui ont suivi la campagne du « non ». Ce qui est en jeu dans les batailles des prochains mois, c’est de faire que la LCR contribue au regroupement des forces anticapitalistes.
Le sens de l’existence de notre courant au sein de la LCR est de clarifier la question stratégique. La nécessité pour l’organisation de se doter d’une stratégie révolutionnaire fondée sur l’indépendance politique de la classe ouvrière est un débat qui est encore en cours. C’est une discussion, encore ouverte, qui a lieu à travers la préparation d’un Manifeste. Pour notre courant, c’est une discussion fondamentale pour que l’organisation se donne une orientation vers le monde du travail.
- Quelle a été la position de la LCR face à la guerre au Liban ?
La LCR s’est mobilisée pour que s’exprime l’opposition populaire la plus forte possible contre l’agression israélienne envers les peuples palestinien et libanais. Il y a eu des débats internes, bien sûr, entre camarades avec une orientation plutôt pacifiste, des camarades qui, comme le Parti Ouvrier (d’Argentine), mettent en valeur le rôle du Hezbollah, et notre position qui consiste à être totalement solidaires avec le peuple palestinien et libanais, pour la défaite de l’impérialisme et de l’armée israélienne, mais qui considère que le Hezbollah n’offre aucune perspective aux masses arabes, palestiniennes et libanaises et, en particulier, la nécessité d’avoir une politique face aux travailleurs et à la population israélienne. La solidarité avec le peuple palestinien et libanais va de pair avec la défense de l’indépendance des travailleurs par rapport aux forces religieuses et réactionnaires, quel que soit le rôle qu’elles jouent dans la résistance.
À quoi attribues-tu la faiblesse des mobilisations conte la guerre au Liban en France et en Europe par rapport aux manifestations contre la guerre en Irak ?
On ne peut pas réduire l’explication de la faible réponse à la guerre à l’été et aux vacances. Je crois qu’il y a trois facteurs : les illusions face à la position de Chirac, qui s’est présenté comme un rival des américains et soucieux de la paix ; le soutien total du Parti Socialiste à la politique du gouvernement, et la confusion politique créée par la campagne contre le « terrorisme » et la méfiance envers les directions religieuses. Aucun de ces facteurs n’est déterminant à lui seul, mais tous conjugués, ils ont paralysé la mobilisation.
- Quelle est ton opinion sur le vote de confiance de Sinistra Critica en Italie, courant qui fait partie avec la LCR du Secrétariat Unifié, au gouvernement Prodi et sur son vote parlementaire en faveur de l’extension de la mission militaire italienne en Afghanistan ?
Je pense qu’il n’est pas juste d’avoir voté la confiance au gouvernement Prodi. Les camarades de Sinistra Critica sont tombés dans le piège de leur propre politique. Ce sont des militants anti-impérialistes de longue date. La logique de la politique au sein de Refondation Communiste les a mis dans une situation dont ils n’arrivent pas à sortir, avec deux Sénateurs du vote desquels dépend la stabilité du gouvernement auquel participe leur propre parti. Ils sont dans une situation qui, de mon point de vue, ne peut avoir d’autre issue que la rupture.
Il est clair que les révolutionnaires doivent dénoncer et combattre la politique du gouvernement Prodi. Ils ne doivent avoir aucune confiance ni solidarité avec lui ; nous devons le combattre parce que c’est un gouvernement de l’impérialisme qui participe à la guerre. Je pense, et j’espère que les camarades sortiront de ce piège pour retrouver une voie politique indépendante et révolutionnaire.