Un divorce sans espoir de remariage ?

Langue corse, langue française : co-officialité ! Les paris de la Lingua Nustrale

, par ANTONIETTI Guidu

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D’après la Scola-Corsa (1981).

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, le couple : toscan-écrit corse parlé, communément appelé « Lingua Italiana » est considéré par les Corses comme leur langue maternelle.

Puis l’annexion française s’évertue pendant 80 ans (1770-1850 environ) à imposer le français comme langue officielle tandis que le corse reste la langue parlée, et l’italien la langue de la culture écrite.

Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, Renucci, Salvatore Viale, Multedo Grimaldi, n’écrivent qu’en italien.

A partir du second empire le déclin de l’italien comme langue écrite et littéraire s’accélère au profit du français. Interdite depuis 1852 dans la rédaction des actes de l’état civil, la langue de Dante s’efface peu à peu dans la pratique des notaires, les plaidoiries des avocats et beaucoup plus lentement dans les sermons. Entre les deux guerres quelques vieux prêtres prêchent encore en italien jusqu’à ce que Mgr Rodier en 1938 leur fasse obligation d’employer le français.

Quant à la littérature, les « Poesie Varie » de DGB de Pietri, membre à l’Académie des « Arcadi » de Rome, prononcent à Bastia en 1896 l’oraison funèbre d’une longue et belle tradition. À la fin du XIXe siècle, l’italien a pratiquement disparu dans l’île. Le français langue officielle, favorisée par l’émigration vers la France et les lois scolaires de la IIIe république commence à concurrencer le corse, langue encore bien vivante sur le terrain de l’oralité. On n’écrit plus alors qu’en français et quelques auteurs corses entreprennent alors la rédaction de leurs textes dans la langue de Molière.

La mort de l’italien laisse le « dialecte » corse dans la situation d’un divorce sans espoir de remariage.

Le vieux couple est dissout et toute nouvelle union est impossible, interdite même.

Corse et français n’appartiennent pas à la même aire linguistique : un corse et un italien se comprennent ; un corse et un français ne se comprennent que si l’un a appris la langue de l’autre.

Corse et italien auraient pu apparaître historiquement en situation de complémentarité, alors que corse et français désormais, se trouvaient rivalité. Lequel aurait raison de l’autre ?

Il ne restait donc plus à notre dialecte qu’à accepter de disparaître ou à devenir enfin une vraie langue écrite. Ce constat salutaire suscitât un sursaut chez les plus fervents partisans de la culture corse. Eclairé d’une intuition géniale Santu Casanova (né à AZZANA en 1850) comprit l’urgence de la situation et en 1896 fonda A Tramuntana, le premier journal en langue corse.

Aujourd’hui excepté dans quelques îlots ruraux où fonctionne encore le mécanisme de la transmission maternelle, et dans le milieu des militants culturels qui pratiquent le corse avec ferveur, on constate que les mères (et à leur exemple le reste de la famille) ne parlent que le français à leurs enfants.

Les garçons, il est vrai, arrivés à un certain âge, apprennent souvent le corse au sein de la communauté masculine comme une clef d’introduction et un signe d’identité, tandis que les filles se contentent de le « comprendre » mais ne le parlent plus... La Langue nustrale est parcimonieusement enseignée dans les établissements publics, mais de façon facultative et optionnelle...

Dans un monde aujourd’hui amplement dominé par la culture néo-libérale anglo-saxonne la langue francaise battue en brèche sur sa prétendue « universalité » elle aussi, essuie le traitement qu’elle infligeait jadis aux langues dites « régionales ». Comme si l’effet boomerang de l’histoire des cultures disait à Molière qu’a mépriser Santu Casanova il lui fallait désormais vendre des hamburgers dans la langue de Shakespeare.

Nous ne souhaitons pas fabriquer nos figatelli dans notre stricte tradition orale ; nous voulons simplement que nos enfants tout en pratiquant le Bill Gates, comprennent encore Petru Guelfucci [1], pour continuer à chanter demain des polyphonies pour le troisième millénaire.

L’opinion publique française devrait ainsi mieux comprendre que le respect de notre langue, est, le respect des autres tout simplement. Car le respect sans égalité des moyens d’expression est un mensonge, et pire peut être un génocide culturel !

Nul corse conséquent ne peut se prétendre attaché à l’héritage de ses aïeux dans ce qu’il éclaire le futur et refuser d’envisager de se donner les moyens indispensables pour préparer l’avenir. Pour notre part nous pensons que l’enseignement de notre langue doit devenir obligatoire, et dès le plus jeune age. En parallèle évidement avec le français, nous lui devons beaucoup.

Voilà ce que nous appelons la Co-officialité !

P.-S.

Les notes sont de la rédaction.
Article paru dans A Stantara (cyber-journal d’A Manca Naziunale), le 15 mars 2000.

Notes

[1Petru Guelfucci est un chanteur symbolisant le renouveau de la polyphonie corse. Il participera au groupe culturel Canta U Populu Corsu puis connaîtra le succès au Québec. Il se déclarera publiquement hostile à plusieurs reprises à la pratique du pizzo (paiement de l’impôt révolutionnaire) par certaines organisations nationalistes corses. Cf. fiche Wikipédia : Petru Guelfucci.

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