Refonder, oui… mais que faire ?

, par HABEL Janette

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Il est impératif de construire une nouvelle gauche qui soit une médiation institutionnelle capable d’amplifier les batailles des mouvements sociaux. Qui ne se contente pas de protester, mais serait candidate au gouvernement.

Parce qu’ils ont renoncé à changer la société, les partis qui avaient structuré le champ politique depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale sont en crise. Le parti socialiste, quoi qu’il en dise, est converti au social-libéralisme. La direction du PCF voudrait faire revivre la social-démocratie d’antan. Les Verts sont en panne de programme et de perspective. Aucune de ces composantes de la gauche plurielle ne remet radicalement en cause l’ordre existant, même si en leur sein de nombreux militants luttent contre les ravages de la mondialisation capitaliste.

Une autre gauche émerge dans les mouvements sociaux et dans la mouvance altermondialiste, dans des organisations politiques, elle veut changer le monde, car elle pressent que sa marchandisation est le prélude à une nouvelle barbarie.

Mais après l’effondrement des dictatures bureaucratiques, elle n’est pas encore à même de proposer un autre projet de société ; cela suppose de tirer le bilan des expériences du XXe siècle, d’analyser les causes de l’échec du « socialisme réel », et pour la France, de revenir sur les grandes crises de 1936, 1940-1945, 1968, sur les bilans du mitterrandisme et de l’expérience Jospin.

Cependant, ce retour en arrière nécessaire n’est pas suffisant. C’est dans les combats présents qu’il faut construire un socle commun. Les enjeux sont considérables. Il faut être aveugle pour ne pas voir, en ce tournant du siècle, les dangers qui pèsent sur l’humanité. Ceux qui se croient protégés au sein du monde industrialisé devraient observer l’effondrement de l’Argentine et le rôle qu’y ont joué les politiques de privatisations, la libéralisation des marchés et la déréglementation du travail. Ils devraient faire le bilan social des politiques menées par Margaret Thatcher et Tony Blair.

Organiser la résistance est donc urgent. Il faut rassembler, refonder pour construire une nouvelle gauche au service d’une société plus juste.

Mais comment ? Quelle démarche adopter ? Nul ne peut ignorer la crise du politique, rappelée à longueur de ces colonnes, l’aspiration à faire de la politique autrement en définissant de nouvelles formes d’intervention et de contrôle (Thomas Coutrot). Le respect de l’autonomie des mouvements sociaux, leur rôle de contre-pouvoirs comme garantie démocratique sont incontournables. Cependant, aujourd’hui, le risque pour le mouvement social est moins celui d’une OPA des partis de gauche (Annick Coupé) que celui d’une confiscation de ces luttes, faute de relais politique. N’est-ce pas là la leçon de 1968 ou de 1995 ? Comment le rejet du protocole d’accord par les salariés de l’EDF va-t-il être relayé au Parlement ? Il est impératif de construire une nouvelle gauche qui soit aussi une médiation institutionnelle capable d’amplifier les batailles des mouvements sociaux.

Une nouvelle force de gauche ne peut se cantonner dans la protestation, elle doit être candidate au gouvernement. Un gouvernement populaire devrait s’engager à mettre en oeuvre de vraies réformes, sur le terrain social et sur le plan institutionnel, ce qui implique de défaire le noeud coulant des traités européens.

Lionel Jospin s’est moulé dans le présidentialisme de la Ve République au point d’inverser le calendrier électoral et d’en être la première victime. Le débat sur l’« image » médiatique du candidat s’est substitué au débat démocratique, au PS d’abord mais aussi chez les Verts et au PC. Il faut en finir avec le trucage pseudo démocratique de l’élection présidentielle au suffrage universel, rétablir le scrutin proportionnel, réhabiliter le rôle du Parlement par la limitation et le contrôle du nombre des mandats des députés, en bref, faire sauter le verrou de la Ve République sous peine d’être condamnés à l’abstention, ou à l’alignement sur le PS au motif qu’il est électoralement incontournable. Mais s’il est vrai que la question des institutions ne doit pas être relativisée (Marion Paoletti), on ne saurait non plus se limiter à ce seul aspect. Une nouvelle gauche doit rompre avec le social-libéralisme, avec ceux qui ont organisé ou cautionné le démantèlement ou la privatisation (sous le vocable d’ouverture du capital) de La Poste et de France Télécom, d’Air France ou d’EDF-GDF. La SNCF et la Santé suivront. Il faut récuser ceux - qu’ils soient socialistes, verts ou communistes - qui ont accepté de mettre en pratique au gouvernement cette logique libérale. Car il ne s’agit pas là seulement de divergences d’opinion mais de choix sociaux. Pour la première fois, le clivage s’opère au sein même de la CGT-EDF.

Un gouvernement populaire devrait s’engager à refuser les privatisations, à défendre et rénover les services publics, à interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits, à défendre les retraites. Ce qui suppose de dénoncer les traités de Maastricht et d’Amsterdam et de refuser le traité constitutionnel de la Convention présidée par Giscard. La libre circulation de la main-d’oeuvre dans l’Europe à 25 n’a pour seul objectif que d’organiser la concurrence entre travailleurs au profit des multinationales. En démantelant les protections nationales, les lobbies des multinationales présents à Bruxelles veulent niveler par le bas les acquis sociaux en jouant sur les rapports de force inégaux des différents pays. L’adoption d’une Charte européenne des droits sociaux fondée sur les acquis les plus importants est un préalable à toute institutionnalisation européenne, qu’elle soit fédérale ou confédérale.

Finalement la question actuelle est : réforme anticapitaliste et démocratie participative, ou gestion prétendument régulée de l’économie de marché et acceptation de la Ve République. Ce clivage partage les Verts, le PCF et plus marginalement le PS. C’est autour de l’orientation portée par les organisations engagées contre la mondialisation impériale, dont la LCR, que devrait se refonder une gauche vraiment de gauche.

P.-S.

Article paru dans Politis, édition du 16 janvier 2003.

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