Regard

Que dire aujourd’hui de l’Affaire de Neuchâtel ?

, par RENK Hans-Peter

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Bibliothécaire à Neuchâtel, Hans-Peter Renk, figure de l’extrême gauche locale, est aussi un passionné d’histoire. Son point de vue sur les événements de 1856.

  • Pourquoi les royalistes déclenchent leur mouvement en septembre 1856 ?

Les ultraroyalistes pensent que le moment est favorable pour un coup de force. Premièrement, une chape de plomb réactionnaire s’est abattue sur l’Europe : toutes les révolutions ont été balayées, à l’exception de la révolution neuchâteloise. Deuxièmement, localement, leurs adversaires républicains sont divisés par la question des chemins de fer. Les tenants du Franco-suisse (la ligne des Verrières) et ceux du Jura industriel (par La Chaux-de-Fonds - Besançon) forment deux partis. Aux élections de 1856, ils se présentent sur des listes séparées. Les indépendants vont jusqu’à passer des alliances avec les royalistes modérés contre les républicains « officiels » !

  • La Prusse a-t-elle encouragé les insurgés ?

Oui et non. Les ultraroyalistes se sont donné une structure organisationnelle clandestine. Ce « Cabinet noir », comme on le nommait à l’époque, se réunit chez le colonel Frédéric de Pourtalès, celui-là même qui dirigea les factieux du Haut lors du coup manqué de 1856. Le Cabinet noir est en contact étroit avec Berlin. Ces contacts ont pu laisser croire à Frédéric de Pourtalès qu’un mouvement armé à Neuchâtel serait vu d’un bon œil à Berlin. Ce qu’il n’a pas su voir, c’est que les cercles du pouvoir à Berlin ne parlaient pas de la même voix. L’entourage de Frédéric-Guillaume IV était favorable à une restauration par les voies diplomatiques. Celui du prince Guillaume était plutôt va-t-en-guerre.

  • Mais alors, pourquoi Frédéric-Guillaume IV menace-t-il de mettre l’Europe à feu et à sang à la suite de l’échec des ultras neuchâtelois ?

Le roi, qui a un côté sentimental, est ému du sort réservé à ses partisans. Quant à l’aventure militaire qu’il élabore, je ne sais pas trop ce qu’il en espérait. Ce qui est sûr, c’est que l’affaire de Neuchâtel l’a fortement perturbé, lui qui était mentalement fragile. Comment les insurgés battus ont-ils été traités ? Le pouvoir républicain a su limiter le cadre de la répression. La majorité des royalistes emprisonnés ont été très vite relâchés. Pendant quelques mois, la situation internationale est tendue. Le déclenchement d’un conflit prusso-suisse est sérieusement envisagé. Le général Dufour avait même conçu des plans pour une contre-offensive suisse sur territoire allemand. Quant aux chefs du soulèvement, ils auraient été certainement traduits en justice, si l’amnistie générale n’avait pas été l’une des conditions du Traité de Paris, en 1857, où la question de Neuchâtel a été réglée sur le plan européen.

Hans-Peter Renk
Le bibliothécaire neuchâtelois critique la « mythologie du consensus » entourant les célébrations du 1er Mars. (Christian Galley)

  • Que pensez-vous de la manière dont est célébré le 1er mars ? N’y a-t-il pas une mythologie républicaine de la Révolution non violente qui fait l’impasse sur l’épisode sanglant de 1856 ?

Il existe plutôt une mythologie du consensus, qui outrage et les fondateurs de la République et les royalistes. Ces gens avaient des convictions fortes ! À l’époque, il n’y avait pas de consensus. La façon dont, chaque année, on aseptise le souvenir du 1er mars est un anachronisme : 1848 est présenté comme un événement consensuel parce qu’aujourd’hui les forces politiques gouvernantes prônent le consensus. En 1848, les royalistes ont renoncé à combattre la révolution, non par bonté d’âme ou parce qu’ils étaient d’accord avec la République, mais parce qu’ils avaient correctement évalué le rapport de forces. En 1856, le problème se pose de manière semblable. Mais là, une faction — les ultras — n’évalue pas correctement le rapport de forces. Les insurgés sont défaits, au grand dam de Frédéric-Alexandre de Chambrier, royaliste modéré, qui le leur reprochera amèrement. « Avec votre opération, vous avez rendu toute restauration définitivement impossible », leur dira-t-il.

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