Autour de l’appel « À gauche toute ! » visant à rassembler la gauche anticapitaliste et alternative, SolidaritéS (Genève, Vaud, Neuchâtel), le Parti ouvrier et populaire (POP — Vaud, Neuchâtel), le Parti du Travail (PdT — Genève), Alternative Liste (Zürich, Argovie, Schaffhouse) avaient tenté d’obtenir les cinq élus au parlement national, ce qui permet de constituer un groupe et d’obtenir ainsi une tribune. Si SolidaritéS obtient un élu à Genève et le POP deux élus dans le Vaud, les autres listes ne parviennent pas à franchir le cap cette fois-ci. En effet le PdT genevois s’effondre (de 8,4 % en 1999 il passe à 2,7 % des voix) et en Suisse alémanique, en dehors du succès de l’Alternative Socialiste Verte de Zoug, qui parvient à envoyer Jo Lang au Parlement bernois avec 13,6 % des suffrages, la percée électorale n’a pas lieu.
Dans le canton de Genève, SolidaritéS a obtenu des résultats globalement satisfaisants : 4 456 bulletins (5,4%). En 1995, SolidaritéS avait recueilli 2 225 bulletins (3,8 %), en 1999, avec l’appui des Indépendants, 4 916 (8,0 %). « Notons encore — écrit SolidaritéS n° 35 du 30 octobre 2003 — que notre score dépasse la moyenne cantonale à Carouge (7,5 %), en Ville de Genève (7,2 %, avec des pointes entre 10 et 12 % à Cluse-Roseraie, Cropettes-Vidollet, Mail-Jonction, Pâquis ou St-Gervais) et à Vernier (5,7 %). En revanche, nous faisons sensiblement moins bien dans une série de grandes communes comme Lancy (5,0 %), Onex (4,8 %), Versoix (3,0 %) ou Meyrin (2,9 %). »
Dans le canton de Vaud, Pour une Alliance socialiste — solidaritéS obtient 2,65 % des suffrages, soit deux fois plus que solidaritéS en 1999, qui comptait pourtant encore les membres du Mouvement pour le socialisme (MPS) dans ses rangs. En ville de Lausanne, la gauche anticapitaliste recueille même 4,7 % des suffrages. Par ailleurs notre camarade Jean-Michel Dolivo obtient 14 036 voix (trois fois plus qu’en 1999), ratant de peu son entrée au Conseil National. Pour une Alliance socialiste — solidaritéS ayant conclu un accord d’apparentement avec le Parti ouvrier populaire (POP), intitulé « À gauche toute », ses voix ont largement contribué à l’élection de la seconde députée fédérale du POP, Marianne Huguenin (que seulement 350 voix séparaient de J.-M. Dolivo).
Dans le canton de Neuchâtel le bilan des les listes signataires de l’appel « À gauche toute », est plus mitigé : le Parti ouvrier populaire (POP) subit un sérieux recul : 7655 suffrages contre 11 795 en 1999. Recul non compensé par la liste solidaritéS, qui recueille 2,2 % des suffrages (5 630 voix) contre 2,7 % (4 559 voix en 1999).
En Suisse alémanique, à Zurich, ZüriLink, qui regroupait sous le même toit Alternative Liste, une liste jeune, une liste immigrés et une liste syndicale de gauche, recueille 2,15 % des suffrages (contre 2,05 % en 1999). La progression est plus nette à Zurich ville (de 2 191 à 3 142 suffrages) ou à Winterthur (de 208 à 483 suffrages), et Niklaus Scherr réalise un très bon résultat personnel (18 690 suffrages), mais cela ne suffit pas à décrocher un siège à Berne. En Argovie, Alternative Liste se présentait pour la première fois. Avec 2,56 %, elle n’obtient pas de siège, mais permet aux Verts, avec lesquels elle était sous-apparentée, de récupérer le siège qu’ils avaient perdu en 1999. À Schaffhouse, Alternative Liste recueille 20 % des voix au Conseil des États. Le PSS y avait décidé de ne pas présenter de candidat, ouvrant la porte à l’élection tacite d’un duo Radicaux-UDC, que l’Alternative Liste est venue troubler.
Entretien
Pierre Vanek, nouveau député national de SolidaritéS genevois a bien voulu répondre à nos questions.
- Élu député fédéral de Genève, peux-tu rappeler ta trajectoire politique ?
La police suisse m’a versé à son « fichier des extrémistes » en 1971. Les mobilisations antifascistes et anti-impérialistes du début des années 1970 m’ont conduit à des convictions révolutionnaires anticapitalistes. J’ai participé à des organisations « marxistes-léninistes » dont le dernier avatar, Pour le Communisme, s’est dissout pour contribuer à fonder solidaritéS en 1992, notamment avec le Parti socialiste ouvrier (PSO, section suisse de la IVe Internationale).
De 1975 à 1982, j’ai travaillé comme mécanicien dans la métallurgie, élu à la commission du personnel de mon usine, j’ai contribué à des luttes à contre-courant de l’orientation syndicale dominante de « paix du travail ». J’ai ensuite travaillé comme instituteur, mon engagement principal dès le milieu des années 1980 a été antinucléaire. Élu au parlement genevois en 1993, j’ai travaillé depuis comme permanent de solidaritéS, avec un engagement fort dans des campagnes nationales : contre le démantèlement de l’assurance-chômage, contre la flexibilisation de la loi sur le travail, et contre la libéralisation-privatisation électrique, qui s’est traduit par le refus, l’an passé, en votation populaire, de la loi concoctée par le ministre du PS Leuenberger.
- Comment la gauche radicale peut-elle contribuer à freiner le phénomène Blocher ?
En présentant l’UDC de Blocher pour ce qu’elle est vraiment. Un parti populiste, aux racines conservatrices et réactionnaires, qui défend une version renouvelée du « réduit » suisse, parfaitement intégrée à la nouvelle donne du capitalisme néolibéral mondialisé. Un parti qui n’est pas seulement xénophobe et raciste, mais qui s’attaque frontalement aux intérêts des travailleurs/euses, des femmes, des locataires, des retraité(e)s... qui est le fer de lance du démantèlement du peu de sécurité sociale dans ce pays. L’intégration de notre combat dans la campagne de refus par la gauche radicale européenne de la constitution de l’Union européenne, antidémocratique et néolibérale, est un axe important. En effet, en Suisse romande en particulier, du côté du PS, une adhésion acritique à la construction européenne a longtemps servi de programme anti-blochérien. On a vu le résultat...
- Au sein du parlement fédéral, comment les quelques élus de gauche pourront-ils/elles faire entendre leur voix ?
L’utilisation de la « tribune » de ce parlement a de fortes limites, les règles de celui-ci sont fort peu démocratiques. C’est moins « notre » voix, que celle de l’opposition sociale, extraparlementaire, au programme bourgeois d’étranglement des finances publiques et de démontage social en cours, qu’il faudra tenter d’y faire entendre. Or cette opposition est largement à construire... J’envisage mon nouveau statut, avant tout comme un moyen supplémentaire de contribuer à certaines campagnes nationales dans ce sens, à la construction d’une force politique anticapitaliste à l’échelle du pays, comme aussi à un front large d’opposition concrète aux contre-réformes néolibérales.
- SolidaritéS a initié un appel « À gauche toute ! » signé par plusieurs organisations/courants anti-libéraux et anticapitalistes. Quelles perspectives pour cette démarche après les élections ?
L’appel n’était pas une démarche électorale ad hoc, il répond à une orientation dans la durée, que nous entendons poursuivre. Nous devons repréciser une plate-forme minimum concrète d’opposition anti-libérale, anti-xénophobe, féministe, écologiste et de résistance sociale, et travailler sans sectarisme à y rallier, même ponctuellement et sur certains aspects, toutes les forces possibles, du côté des syndicats, mais y compris de représentant(e)s du PS et des Verts. Ces derniers ont largement réussi, notamment en Suisse alémanique, à se présenter comme seul lieu d’une alternative « possible » aux partis gouvernementaux, profitant de la faiblesse et de la dispersion des forces anticapitalistes. Nous devons travailler à leur donner un démenti en nous appuyant en particulier sur la repolitisation de pans de la jeunesse dans le cadre du mouvement d’opposition à la globalisation capitaliste et à la guerre.