« IL FAUT QU’ON FASSE ATTENTION TOUJOURS JUSQU’OÙ ÇA PASSE, ET JUSQU’OÙ ÇA PASSE PAS. » Ce subtil précepte de Douste-Blazy, rapporté par Charlie Hebdo du 30 mars dernier, résume bien les difficultés d’une politique gouvernementale très unilatérale : tout pour les (très) riches, et rien pour les autres. Et cela commence à se voir, aussi bien dans le public que dans le privé. Les fonctionnaires sont en effet confrontés à une différence de traitement flagrante. Avant de devoir lâcher un peu de lest, Renaud Dutreil leur proposait une augmentation inférieure à l’inflation et jurait ses grands dieux que le budget ne permettait pas plus. C’est d’ailleurs lui qui avait déclaré, lors d’une conférence devant la Fondation Concorde : « Nous sommes un peu méchants avec les fonctionnaires. Leur pouvoir d’achat a perdu 4,5 % depuis 2000 » [1]. Mais dans le même temps, les baisses d’impôts continuent, toujours au bénéfice des plus hauts revenus. Selon le Syndicat national unifié des impôts [2], le manque à gagner cumulé sur la période 2000-2005 atteint 50 milliards d’euros, soit un an d’impôt sur le revenu (53 milliards d’euros en 2004).
Les choses sont tout aussi claires dans le privé, où les profits atteignent des niveaux record : 57 milliards d’euros pour les sociétés du CAC40 en 2004, soit 64 % de plus qu’en 2003 ! Quant aux salariés, ils sont confrontés à une nouvelle intensification du travail (le PIB augmente avec des effectifs à peu près fixes), à la pression permanente du chômage et à la remise en cause des 35 heures. Tout cela sans aucune compensation du côté des salaires : le salaire net moyen a reculé de 0,3 % en 2003 et ne devrait progresser que de 0,4 % en 2004. La part des salaires, qui se situe à un niveau historiquement très bas, est en train de repartir à la baisse : 64,2 % de la valeur ajoutée des entreprises en 2004, contre 64,8 % en 2002. On en est arrivé au point où les entreprises font tellement de profits qu’elles ne savent plus où l’investir. Une étude de la société de Bourse Cheuvreux montre que les investissements des 45 premières entreprises françaises ont reculé de 12 % entre 2001 et 2004. Comme il n’est pas question d’augmenter les salaires, il ne reste plus qu’à redistribuer ce profit non investi auprès des actionnaires, dont les dividendes ont progressé de 30 % en trois ans.
La question salariale condense tout ce qu’il y a d’insupportable dans la situation actuelle. Une augmentation générale des salaires permettrait d’augmenter la croissance via la demande salariale, et donc de créer des emplois. Un cercle vertueux pourrait alors s’enclencher, qui apporterait des ressources supplémentaires au budget et à la Sécurité sociale. Même la sacro-sainte compétitivité n’en serait pas écornée, à condition que les entreprises distribuent un peu plus de salaires et un peu moins de dividendes. Ce raisonnement - corroboré par le bilan de la période d’embellie (1997-2001) - est totalement étranger à l’orthodoxie libérale. Sa véritable phobie du salaire n’est donc pas seulement antisociale, mais aussi antiéconomique. Pour donner un peu de mou, il ne reste au gouvernement que les grosses ficelles : des miettes pour les fonctionnaires, la participation et l’intéressement dans le privé. Mais ces mesures de diversion ne sont pas suffisantes pour dissiper un sentiment largement répandu : le capitalisme libéral n’a décidément rien à offrir en contrepartie de ce qu’il fait subir à l’écrasante majorité de la population. Le référendum risque alors de servir de catalyseur, et d’ouvrir la voie à une nouvelle montée en puissance du mouvement social. Il se pourrait bien que les libéraux en aient déjà trop fait, et que la mayonnaise sociale finisse par prendre.
Politique de la mayonnaise