Lundi 20 octobre, l’action France Télécom a été côtée simultanément à la bourse de Paris et à celle de New York. Près du quart du capital de France Télécom a été mis en vente.
Il s’agit d’une étape importante dans le processus de privatisation auquel s’oppose le personnel depuis près de 10 ans. France Telecom, comme beaucoup d’opérateurs historiques, était partie intégrante de l’administration des PTT, la trés grande majorité du personnel avait le statut de fonctionnaire.
La lutte contre la privatisation a commencé dès que les projets gouvernementaux ont été connus : en 1987 d’abord, puis de 1993 à aujourd’hui. Deux raisons principales sont à la base de l’opposition à la privatisation :
- la défense du statut du personnel, le statut de fonctionnaire ayant la garantie de l’emploi et donne un certain nombre de garanties aux agents face aux pressions de la hiérarchie,
- la défense du service public ; cette notion est très importante en France, le service public étant perçu comme la garantie à la fois de l’égalité de tous face en terme de prestation et d’une certaine péréquation sociale.
L’opposition aux projets de privatisation a pris la forme de grève trés majoritaire du personnel, dès 1987, puis le 12 octobre 1993 (75% de grévistes, toutes catégories de personnel confondues), le 30 mai 1995 (65% de grévistes) et d’autres dates ou à nouveau la majorité du personnel a ainsi exprimé son opinion. Le personnel de France Télécom a ainsi massivement participé au mouvement de grève des services publics de novembre et décembre 1995.
Ces grèves ont, à chaque fois, permis de faire reculer le gouvernement. Ces reculs s’expliquent en partie par la succession d’élections importantes qu’a connu la France ces dernieres années, présidentielles comme legislatives. A la veille de ces échéances, les gouvernements ne voulaient pas prendre le risque d’une grève prolongée qui se serait peut-être propagée des télécommunications à la Poste, voire à d’autres secteurs publics.
La situation a changé après 1995, la droite ayant gagné à la fois les presidentielles et les législatives. Le gouvernement a engagé une nouvelle fois au printemps 1996 un processus de privatisation partielle qui a abouti.
Pour en comprendre la raison, il est utile de connaître la situation syndicale à France Télécom. Le mouvement syndical francais est pluraliste et éclaté. Il existe de nombreux syndicats, le personnel des différentes entreprises élisant leurs représentants sur listes syndicales un peu comme le font les citoyens sur le plan politique.
A France Télécom, il y a 5 syndicats importants.
Le premier est la CGT, avec 29% des voix aux dernieres élections professionnelles, la CGT est première confédération française, ayant une ligne de défense assez radicale des salariés, la CGT a participé aux grèves de novembre et décembre 1995 et est très opposé à la privatisation.
Le deuxieme est SUD, avec 27% des voix, une fédération syndicale indépendante, née en 1989 apres l’expulsion de la CFDT des militants de la gauche syndicale. SUD a été très en phase avec les mouvements sociaux récents (luttes contre le chomage, avec la manifestation europeénne à Amsterdam en juin 1997, soutien aux sans-papiers, etc.). SUD a participé aux grèves de novembre et décembre 1995 et s’est opposé nettement à la privatisation.
Le troisième est la CFDT, deuxième confédération francaise, la CFDT a recueilli 17% des voix lors des dernières élections à France Télécom. Syndicat plus modéré, la CFDT était (et est toujours) un des partenaires privilégié de la direction de France Télécom.
Le quatrième est FO, 3e confédération française, 14% des voix à France Télécom, FO a un positionnement intermediaire entre celui de la CFDT et ceux de SUD et CGT.
Le cinquième est la CFTC, petit syndicat chrétien qui a recueilli moins de 5% des voix aux élections.
En juin 1996, le gouvernement et la direction de France Télécom ont cherché un compromis avec une partie du mouvement syndical de l’entreprise. Le syndicat qui a accepté ce "deal" est FO, qui a négocié un accord qui permettait la privatisation partielle de France Télécom, la loi fixant un minimum de 51% de propriété étatique, les fonctionnaires restant fonctionnaires, l’essentiel des nouveaux embauchés l’étant sous le statut privé. Une partie du personnel s’est démobilisé, partagé entre la satisfaction devant les garanties (de court et moyen terme) ainsi données et le découragement devant le mouvement mondial de privatisation (en 1987 la majorité des sociétés de télécommunications étaient publiques, en 1996, France Télécom était une des dernières) et l’introduction de la concurrence dans toute l’Europe. La division syndicale introduite par FO (tous les syndicats avaient auparavant mobilisé contre la privatisation) a accentué encore cette démobilisation. En juin 1996 seulement un tiers du personnel a fait grève et moins encore ont tenté une grève reconductible, ce qui a permis au gouvernement de faire passer son projet de loi.
Le feuilleton a rebondi à l’occasion de la victoire surprise des partis de gauche en juin 1997. Le parti socialiste avait promis de revenir sur la privatisation partielle. La promesse a duré ce que durent les roses et le gouvernement a repris le processus de privatisation en septembre de cette année. Le personnel l’ayant pas été consulté, SUD a organisé un référendum dans France Télécom, référendum auquel ont participé 50% du personnel, 80% des votants s’exprimant contre la privatisation. Le rapport de force n’a cependant pas été suffisant pour s’opposer à cette reprise de la privatisation (le 30 septembre, environ 20% de grévistes à l’appel des seuls SUD et CGT).
Nous sommes à une nouvelle étape. Le maintien du statut de fonctionnaire et les 51% de capital public qui l’accompagne permet au personnel de conserver des atouts. Ils seront utiles lorsque la direction de l’entreprise ou un futur gouvernement chercheront à privatiser totalement France Telecom. Il nous faudra aussi défendre et développer le service public. La loi prévoit que les tarifs doivent rester identiques sur tout le territoire. Pour défendre cette égalité, obtenir que les nouveaux services (internet, mobiles, etc.) soient accessible à bas prix à toute la population, et surtout garder des prix les plus bas possibles pour ceux qui ont des petits moyens, il faudra une mobilisation commune des salariés et des usagers. C’est cette alliance que nous essayons de construire aujourd’hui.
Christophe Aguiton
Solidaires Unitaires Democratiques (SUD)
Paris, le 20 octobre 1997