Le couac d’Henri Guaino, ministre des discours et donc de l’idéologie sarkozienne, affirmant le 2 novembre « qu’il n’est pas question d’ouvrir le capital de La Poste », démontre que les privatiseurs sentent que l’opinion publique n’est pas prête de leur accorder crédit dans un avenir proche. L’urgence est donc d’attendre que le gros de la tourmente soit passé. En ce qui concerne La Poste, les rectifications élyséennes (c’est un autre conseiller du prince, Claude Guéant, qui s’en est chargé) indiquent l’horizon de janvier 2009 pour trancher, mais sans évidemment rien exclure (sinon le désaveu du PDG de La Poste aurait été total).
Plus profondément, il se peut que ces volte-face indiquent aussi une difficulté plus grande à élaborer une idéologie de rechange, même si Sarkozy se démène comme un diable pour prendre les devants sur la scène internationale. Dans cet intervalle de crise du leadership dans les idées, il est évident que, malgré les peurs légitimes liées aux effets de la crise sur le plan social (licenciements, chômage, salaires bloqués), les antilibéraux et les anticapitalistes pourraient reprendre l’initiative pour disputer l’hégémonie à ceux qui sont en faillite avérée.
Parmi les commentaires qui ont accompagné les volte-face de Guaino, certains aveux sont éloquents. Le directeur général du courrier de la Poste explique : « Il y a un vrai paradoxe avec La Poste. Elle appartient au quotidien des Français, mais ils ne la perçoivent qu’à travers le facteur et les bureaux. La Poste a une image très artisanale, alors qu’en réalité elle est très industrielle, avec une clientèle d’entreprises » (Le Figaro, 4 novembre). Traduisons : ces « attardés » de Français ne voient que le facteur humain, le contact social, bref... le service public qui leur est rendu. Ils ne voient pas que La Poste est en réalité un groupe genre PSA, donc qui doit agir sur le marché mondial, faire de la productivité, et avoir une structure capitalistique au moins diversifiée. Car un capital 100% public prend moins de risque, vu qu’il rend des comptes non pas à des actionnaires, mais théoriquement à la population. En réalité, les hiérarques de la Poste voudraient bien la faire fonctionner comme une usine privée, et les directives européennes depuis 1997 sont là pour les y aider. Il aura fallu 12 ans (1997-2009) pour libéraliser totalement le marché postal, bientôt accessible à tout entrepreneur, avec parallèlement, l’entrée progressive des services financiers dans le droit commun des banques. Mais il y encore de gros handicaps : le facteur humain (trier encore le courrier malgré l’automatisation croissante, la complexité du réseau et du territoire, la non segmentation du marché en zones de profits, etc). Même la Commission européenne l’admet et un dossier de SUD PTT la cite : « Les études de la commission reconnaissent ces particularités en citant la complexité de l’ouverture d’un marché à nul autre pareil (étude PWC 2006) ». Un marché qui se prète encore mal à une flexibilité à outrance. Et les opérateurs postaux qui ont dérégulé violemment, comme en Suède, sont devenus impopulaires. Sans doute parce que les usagers ne voient plus le facteur ! Et que la qualité du service a baissé.
Cet attachement au service public postal explique sans doute le succès que l’idée de référendum a connu. Et qui a elle-même encouragé la mobilisation interne des salariés. À tel point que si un doute pouvait encore subsister en septembre, après l’ouragan financier, il a disparu : un référendum serait remporté haut la main ! Autrement dit, le référendum a permis, même si la bataille est loin d’être achevée, de porter le débat sur le service public sur la scène politique, qui est ou devrait être son lieu de prédilection. La lutte sociale s’encourage grâce à la fenêtre ouverte sur une perspective politique, c’est-à-dire le grand large des aspirations de la population dans son ensemble, avec la présence des partis politiques et d’associations. Or la population n’était pas acquise au libéralisme malgré le vote majoritaire pour Sarkozy en 2007. Elle l’est encore moins aujourd’hui, après les subprimes, les 750 millions envolés de la Caisse d’épargne, les 5 milliards de J. Kerviel et les formidables moyens déployés en quelques jours pour sauver les puissances financières de leur propre désastre.
La politique au poste de commande ? Oui, c’est possible, pour la population.