Gaza, le révélateur

, par PICQUET Christian

Recommander cette page

Cela fait deux semaines que l’agression israélienne a débuté contre la Bande de Gaza. Deux semaines de bombardements quasi-ininterrompus, assortis désormais d’une terrible offensive terrestre.

Bilan du cauchemar vécu par les habitants de cette enclave minuscule, transformée de par la volonté des gouvernants de Tel-Aviv en « prison à ciel ouvert » : des centaines de morts, des milliers de blessés, des exécutions sommaires froidement organisées et qui devraient logiquement conduire leurs auteurs devant un tribunal international pour « crimes de guerre », un million de personnes sans électricité, 750 000 privées d’eau, des hôpitaux dépourvus de l’essentiel... Nous sommes ici, incontestablement, en présence d’un des plus grands massacres auxquels ont conduit, en quelques décennies, la colonisation de la Palestine et le refus que le peuple palestinien dispose du droit de déterminer librement son avenir. Mais ce nouvel épisode sanglant est surtout un révélateur.

Révélateur d’abord du désastre planétaire auquel amène la funeste théorie du « choc des civilisations ». Nul ne l’ignore, les dirigeants d’Israël, quelle que soit d’ailleurs leur couleur politique, se retrouvent largement sous l’influence du néoconservatisme venu d’outre-Atlantique. Leur attaque de Gaza n’est, de ce point de vue, nullement un acte d’autodéfense : on peut considérer que la stratégie du Hamas relève de l’aventurisme, mais les quelques roquettes s’abattant sur les zones israéliennes frontalières du territoire palestinien n’ont jamais concerné qu’une infime partie de l’État d’Israël, sans jamais menacer la sécurité de ce dernier. De même, si le contexte pré-électoral (les élections générales interviendront le 10 février en Israël) n’est pas étranger à la décision du gouvernement Olmert-Livni-Barak, et si ce dernier veut de toute évidence laver l’affront de son échec face au Hezbollah en 2006 au Liban, on ne saurait y voir la seule explication du carnage en cours. Suivant en cela leurs mentors américains, les responsables de l’État hébreu s’inscrivent dans la logique de la « guerre sans limites » à ce qu’ils qualifient de « terrorisme ». Ils entendent à tout prix empêcher qu’un État palestinien souverain et viable ne vienne changer la donne au Proche-Orient, terroriser les populations pour contrer toute velléité de résistance à la globalisation armée dont la guerre en Irak a été le plus parfait symbole, transformer le conflit de Palestine en affrontement religieux (comment ne pas voir que la guerre présente a pour seul effet de renforcer le Hamas et, plus largement, les forces intégristes dans toute la zone), et préparer une confrontation généralisée à l’échelle du monde arabo-musulman (on sait que le débat fait rage, à Tel-Aviv, sur l’opportunité de frappes sur l’Iran, au nom de la prétendue menace nucléaire que le régime des mollahs ferait courir au « monde démocratique »). Voilà pourquoi Washington aura donné son, feu vert à l’opération « plomb durci », quelques jours seulement avant que Bush ne passe la main à Obama, avec la certitude que le nouveau locataire de la Maison Blanche ne remettrait en cause la politique impériale des Etats-Unis (à un moment où la nouvelle configuration internationale met en évidence le recul de l’hégémonie de ces derniers sur la planète).

Révélateur également de l’attitude des grandes puissances. Si, finalement, le Conseil de sécurité se sera accordé sur les principes d’un cessez-le-feu, résolution immédiatement bafouée par Israël, comment ne pas en voir la supercherie ? Que vaut, en effet, un arrêt des combats n’impliquant pas le retrait des troupes israéliennes et n’imposant par la fin du blocus ayant déjà conduit Gaza à une crise humanitaire dramatique ? À quoi pourrait bien servir une force « d’interposition » si elle ne vise pas à protéger la population palestinienne des effets d’un blocus scélérat et des incursions militaires de son puissant voisin ? Sur quelle solution de justice et de droit la décision onusienne pourrait-elle bien déboucher, dès lors que rien n’est fait pour contraindre les gouvernants israéliens (par des sanctions, telle que la suspension de l’accord d’association qui lie Israël à l’Union européenne, ou encore l’arrêt de toute forme de coopération militaire avec Tsahal) à évacuer l’intégralité des territoires occupés, à se retirer des colonies implantées au mépris du droit international, à détruire le mur d’annexion de la Cisjordanie et de Jérusalem, à laisser le peuple palestinien maître de son destin ?

Révélateur encore de la réorientation de la diplomatie française. Nicolas Sarkozy, tout au plaisir des gesticulations qu’il affectionne, peut bien se présenter en porteur d’un message de paix et de dialogue, son premier signe aura consisté à justifier implicitement le comportement d’Israël, en fustigeant le caractère « impardonnable » des tirs de roquettes sur Israël. Pas un mot de sa part sur le fait que la trêve qu’observait précédemment le Hamas aura été rompue par l’embargo meurtrier dans lequel Tel-Aviv tenait prisonnière la population de Gaza ! Pas un mot sur l’annexion rampante de la Cisjordanie et de Jérusalem-est, sur le refus israélien d’appliquer les résolutions des Nations unies depuis quelques décennies, sur la diabolisation systématique des directions palestiniennes successives (l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat hier, le Hamas aujourd’hui...) ! Pas un mot sur la solution de justice qui s’imposerait et qui impliquerait de reconnaître enfin les interlocuteurs palestiniens, y compris les porte-parole de ce courtant nationaliste et religieux qu’est le Hamas, quoiqu’on puisse penser de leurs tropismes idéologiques et de leur charte, dès lors qu’ils ont obtenu une majorité au Conseil national palestinien à l’issue d’élections parfaitement démocratiques ! Que valent, après cela, les exhortations à la paix et à la réconciliation inter-palestinenne ? Sarkozy peut bien se rendre auprès des dirigeants égyptiens et syriens pour obtenir leur caution et autoriser la diplomatie hexagonale à reprendre pied dans cette région, sa politique est clairement marquée par une réorientation atlantiste...

Révélateur enfin de la faiblesse des réactions de la gauche et du mouvement ouvrier en France. Si l’essentiel de cette dernière (à l’exception du Parti socialiste, encore que certains de ses dirigeants se soient, pour la première fois depuis longtemps, rendus à la manifestation parisienne du 3 janvier) a répondu à l’appel du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, les grandes démonstrations rassemblent encore, principalement, les populations issues de l’immigration arabe ou maghrébine. S’il est très positif que, pour la première fois depuis 2002, celles-ci se retrouvent aux côtés des partis de gauche, des syndicats, des associations de défense des droits de l’Homme, la trop faible participation des forces militantes de la gauche reste patente. L’engagement, dans la rue et au quotidien, de ces dernières est pourtant un impératif, si l’on veut déjouer les pièges de la « guerres des civilisations » et empêcher des pêcheurs en eau trouble d’amorcer le terrible mécanisme du dévoiement du conflit de Palestine en affrontements communautaires ici. L’attaque de la synagogue de Toulouse est, à cet égard, un signal d’alarme, auquel il convient de répondre de la manière la plus ferme, en s’opposant à toute dérive raciste ou antisémite, mais en portant simultanément les couleurs d’une solidarité sans failles avec le peuple palestinien.

Les événements des derniers jours nous le rappellent avec force : il n’y aura de solution, dans l’intérêt des deux peuples, palestinien comme israélien, que dans le droit du peuple spolié, comme l’ensemble de ses composantes le revendique, à disposer d’un État souverain sur l’intégralité des territoires occupés depuis 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, et dans la négociation du droit au retour des réfugiés. C’est, en effet, de cette unique manière que pourront être créées les conditions futures d’une coopération des deux populations, dans le cadre par exemple de cette solution binationale que des voix, de part et d’autre sur le terrain, appellent désormais de leurs vœux. Être aux côtés du peuple palestinien n’est pas seulement un acte de principe, c’est un engagement indispensable pour que surgisse au plus vite un autre monde...

Pas de licence spécifique (droits par défaut)