La contestation Débat entre Samuel Johsua et Jean-Luc Villeneuve

, par JOHSUA Samuel, VILLENEUVE Jean-Luc, VIRUEGA Jackie

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La réforme des lycées suscite une vive opposition. Simplement trop peu ambitieuse ou carrément négative ? Le nombre d’heures de cours, le programme, l’aide individuelle sont au centre des polémiques. Débat.

Faut-il réformer le lycée et comment ?

Jean-Luc Villeneuve : Environ 50 000 jeunes sortent chaque année sans qualification des lycées généraux et professionnels. Cet échec inacceptable exige une transformation profonde. La massification : que le SGEN, attaché à ce que tous les jeunes puissent aller au lycée, juge positive, a changé profondément le fonctionnement. On ne peut plus enseigner comme au temps où la majorité des lycéens appartenaient à un milieu social favorisé. L’empilement des programmes fait également débat. Il laisse en route ceux qui peinent à suivre et ne bénéficient pas, faute de moyens, de cours particuliers. Ce n’est pas acceptable non plus. Le lycée doit être son propre recours. Cela signifie non qu’il devrait régler tous les problèmes de la société mais qu’un lycée public et laïque doit fournir une qualification à tous les jeunes.

Samuel Johsua : La progression considérable du nombre d’élèves dans l’enseignement secondaire (que certains sont prêts à remettre en cause, ce qui n’est pas mon cas)...

Jean-Luc Villeneuve : Le mien non plus !

Samuel Johsua : ... entraîne la modification des contenus et des manières d’enseigner. L’école, comparée aux autres institutions de socialisation et de transmission des connaissances (la famille, le club de sport, etc.) a une utilité et une spécificité : contribuer à faire comprendre le monde à travers l’étude. Elle a, par exemple, pacifié le débat relatif aux guerres de religion en expliquant leurs conditions historiques. C’est son rôle formateur, qu’il ne faut pas remettre en cause en revenant sur l’étude sous prétexte de massification. Sauvegardons à la fois la massification et les conditions de l’étude, tout en avançant vers la démocratisation ! Faut-il opérer un clivage entre les savoirs « cumulatifs » et les autres ? L’étude systématique des matières est indispensable bien que leur organisation en disciplines se discute. L’enseignement commun de la physique et de la chimie, par exemple, est une construction historique. Les contenus aussi se discutent. Je milite pour une modification radicale de l’équilibre entre les matières, qui date de 1902, quand les enseignements scientifiques ont été revalorisés par rapport aux humanités. Le lycée doit aujourd’hui faire place au droit, à la sociologie, à la psychologie, aux sciences politiques, à la médecine, pour répondre aux besoins de connaissances vivantes. Parce qu’il ne le fait pas, il donne l’impression d’un savoir cumulatif, inutile, en dehors de la vie. L’école a perdu la responsabilité de l’étude collective et personnelle, en classe et en dehors de la classe, abandonné des acquis comme le système de répétiteurs. Par ailleurs, l’aide aux devoirs, organisée par des structures associatives non strictement intégrées à l’école, et dans laquelle des milliers de personnes se sont investies, est riche et ancienne et a permis des succès importants. Pourquoi la délaisser ? Ne pas en tirer un bilan sérieux ? Comment ces structures collectives pourraient-elles intégrer le service public ? Je suis favorable à une aide au travail individuel dans les locaux scolaires mais assurée par d’autres intervenants que les enseignants et qui ne redouble pas leur travail.

Jean-Luc Villeneuve : Je ne suis pas opposé à l’introduction de savoirs nouveaux. Mais il est impossible de les additionner à ce qui existe : on ne peut étirer à l’infini la présence des élèves au lycée. Le débat sur les savoirs que les lycéens doivent acquérir aujourd’hui n’a pas eu lieu. C’est pourquoi le SGEN n’est pas béat devant cette réforme. Je ne suis pas non plus en désaccord avec vous à propos de l’aide scolaire, souvent remarquable. L’école ne peut tout faire. Un partenariat avec des associations reconnues qui travailleraient dans les établissements scolaires peut s’envisager. L’accompagnement scolaire ne concerne pas uniquement l’aide aux devoirs. Le SGEN souhaite une redéfinition du service des enseignants. Il est bon qu’ils n’aient plus pour seule tâche le cours traditionnel et que leur horaire comporte un temps consacré à aider un élève qui le souhaite. C’est différent du travail des associations.

La massification du nombre d’élèves que vous évoquez n’a t-elle pas manqué d’un discours politique qui la soutienne ? Ne donne-t-elle pas l’impression de s’être faite un peu en catimini ?

Samuel Johsua : Il est vrai que le projet politique s’est dissous et qu’il n’y a, en France en tout cas, aucun projet scolaire sérieux qui ne soit accompagné d’un projet politique fort. Une réforme d’une telle ampleur ne peut tenir que si le pays est placé devant les termes de ce choix de société. Mais la crise tient surtout à la raison d’être de l’école, du lycée. Les discours à ce sujet sont extrêmement hétéroclites depuis quinze ans. Le mouvement de massification s’est mené en même temps que l’augmentation farouche des exigences vis-à-vis des élèves. Le travail de l’élève est bien plus difficile qu’auparavant, dans toutes les matières. L’enseignement de l’histoire, par exemple, est passé d’une logique de restitution (du cours) à une logique de compréhension. Commenter trois tableaux et en faire la synthèse est plus difficile qu’apprendre et réciter une leçon. En même temps qu’on en demandait plus à des élèves deux fois plus nombreux, s’est installée la « déscolarisation » de l’école. J’entends par là que l’école prend moins de responsabilités, par exemple en offrant moins d’heures de cours. C’est l’aspect le plus important de la crise scolaire. Son résultat : seuls les plus favorisés s’en sortent. Il aurait fallu dire que la fonction de l’école est importante pour une société démocratique parce qu’elle met en contact les jeunes générations avec l’étude de savoirs importants. Cela n’a pas été fait. Le discours dominant qui centre l’école sur la préparation à l’insertion professionnelle ne peut soutenir un projet scolaire, encore moins dans une société divisée et en crise. Le seul discours politique possible pour une école démocratique de masse doit être centré sur la mise en relation des élèves avec les oeuvres humaines. Il n’y a pas d’autre justification à passer 15 ans sur les bancs de l’école !

Jean-Luc Villeneuve : Le signe d’égalité entre le diplôme et l’insertion professionnelle, alors que la situation est plus compliquée, est un leurre. Autre problème, la dévalorisation de l’enseignement professionnel. Il est inadmissible que l’orientation en lycée professionnel soit ressentie comme un échec par les élèves, exceptée une minorité motivée, alors que presque toutes les branches professionnelles manquent de techniciens. On est loin de l’égale dignité revendiquée par la charte ! Il n’y aura pas de réforme des lycées sans une prise en compte politique de ce problème.

Quelles sont les critiques que vous adressez à la réforme actuelle ?

Samuel Johsua : Elle manque d’ampleur et d’ambition, mais ce serait pas si grave si elle constituait un petit pas dans la bonne direction. Ce n’est pas le cas.La baisse des heures. Comment imaginer qu’une offre scolaire diminuée est une solution ? Celui qui en fait deux fois moins réussira moins. L’offre scolaire doit être conséquente et obligatoire, par souci d’égalité. Avec cette réforme, l’amplitude entre minimum et maximum est importante si on ajoute toutes les options. C’est un facteur d’inégalité. Les élèves les plus favorisés multiplient les options valorisées, la diminution des heures sera préjudiciable aux autres. Je suis radicalement hostile au discours de Claude Allègre disant qu’il y a trop de temps d’école. Rien d’anormal pour moi à ce que les lycéens travaillent 30 heures. Ce qu’ils font pendant ces heures est un autre débat. Ensuite, l’aide individualisée. Philippe Meirieu avait demandé à juste titre une aide à l’étude personnelle. Il faut l’ajouter et ne pas en prendre prétexte pour diminuer les horaires. Or la réforme diminue les horaires et ne donne pas d’aide à l’étude. Elle parle de soutien. Les professeurs referont leur cours devant un petit groupe d’élèves ? On sait que refaire le cours plus lentement n’est pas souvent utile à ceux qui n’ont pas compris la première fois. Ils ont besoin d’une aide à l’étude, ce qui est tout autre chose.Enfin, l’instruction civique. C’est une illusion que de penser que les problèmes de la société seraient, même partiellement, résolus par l’instruction civique, que l’école pourrait jouer un rôle de pacificateur social. L’échec est assuré. D’abord, l’école subit les déchirures de la société, elle ne les provoque pas. Ensuite, les leçons de morale ne passent plus. Le développement de l’esprit critique des élèves passe plutôt par l’étude du droit, des sciences politiques.

Jean-Luc Villeneuve : Cette réforme manque clairement d’ambition et n’est sûrement pas celle à laquelle le SGEN aspirait. Mais je suis en désaccord avec vous à propos des horaires. Vous accordez une importance démesurée à cet aspect quantitatif. Les lycéens ont un travail personnel important à accomplir en plus des cours. C’est aberrant qu’ils n’aient pas plus de loisirs... Le but du lycée n’est pas a priori la préparation aux grandes écoles ! On ne devient pas plus savant avec une heure de plus dans telle matière. Ce n’est pas alléger les exigences que de dire cela. Le programme est tellement lourd qu’il empêche d’approfondir tel ou tel point. Sa diminution réfléchie constituerait une amélioration. L’aide individualisée est indispensable. Les lycéens la réclament, le Sgen les soutient et demande une formation des professeurs à cette pratique qui ne s’improvise pas. Il ne s’agit pas de faire du soutien. Je rejoins votre sentiment sur l’instruction civique stricto sensu. Mais, grâce à nos pressions notamment, ce sera de l’éducation civique, juridique et sociale. Les cours de législation me paraissent très importants ; c’est d’ailleurs scandaleux qu’ils aient été supprimés il y a quelques années dans les lycées professionnels.Enfin la modification du déroulement du baccalauréat devient nécessaire. Il faut garder des épreuves terminales et rajouter des contrôles en cours de formation pour mieux juger les connaissances. Un élève peut rater son épreuve de philosophie le jour J même si son année a été correcte dans cette matière. J’ajoute que la lourdeur invraisemblable du programme conduit les lycéens à faire des « impasses ». Ce texte de réforme ne convient que très imparfaitement à notre syndicat, même s’il a été amélioré. C’est une première étape, à condition de l’approfondir. Quelques portes sont entrouvertes, poussons-les.

Samuel Johsua : Je reviens sur le temps et la qualité du travail. Je souhaite que l’horaire global soit conservé mais qu’on examine aussi en détail ce qui se fait pendant toutes les heures passées au lycée. Garder 25 heures de cours où les élèves s’ennuient et aménager 5 heures de travail qui les intéressent davantage n’est pas la solution. Y a-t-il à tout moment une activité importante, pertinente ? Si ce n’est pas le cas, c’est l’échec. La seule solution est de garantir la qualité d’un apprentissage en quantité suffisante. Se soucier seulement de la quantité n’est pas la bonne position, ce n’est pas la mienne. C’est celle du ministre.

Jean-Luc Villeneuve : Je ne suis pas d’accord avec ce que dit le ministre !

Samuel Johsua : Mais c’est le pouvoir politique qui impose ses vues. Le mépris de Claude Allègre dépasse les professeurs, il vise la tâche même d’enseigner : il n’en saisit pas la difficulté. L’opposition entre instruction et éducation est un faux débat. Les professeurs éduquent et instruisent. Mais la spécificité éducative de l’école est la mise en relation de l’élève avec des savoirs, des techniques, des comportements.