La trêve militaire avait produit des changements positifs dans la vie politique basque et espagnole. La droite d’Aznar est ravie de la reprise des attentats, tout comme les secteurs immobilistes de l’Etat. Ils savent que le cessez-le-feu de l’ETA avait remplacé le clivage entre « démocrates » et « terroristes » par de nouvelles alliances opposant les constitutionnalistes aux indépendantistes basques. La trêve avait ouvert la voie d’une deuxième transition démocratique abordant la question des nationalités. Elle a renforcé la gauche abterzale (basque), deuxième force en Euskadi, créant les conditions d’un regroupement syndical et politique qui espérait disputer le leadership de la société basque à la droite. Ces avancées sont compromises si la rupture de la trêve perdure.
Pourquoi le choix des armes ?
Certains parlent d’un changement de majorité à la direction de l’ETA, encouragé par les manuvres de Madrid (immobilisme et arrestations). Selon d’autres, des interlocuteurs emprisonnés, partisans de la trêve et de la négociation, auraient été remplacés par les partisans de la reprise de la lutte armée. L’immobilisme d’Aznar aurait poussé à bout les prisonniers et les exilés (plus de 2500), et leurs familles, qui auraient fait pression. Ces différents éléments ont pu peser, mais ils signifieraient que l’ETA aurait choisi définitivement de reprendre les armes. Une hypothèse difficile à accepter.
D’abord, parce que personne, à gauche, n’a théorisé la rupture de la trêve. L’ETA s’est limitée à annoncer la fin du cessez-le-feu et à agir, sans faire de théorie. Ensuite, il est évident que la trêve et la négociation avaient été positives pour la gauche abertzale et que personne ne veut y renoncer. Enfin, l’action armée de l’ETA a toujours obéi à une stratégie de négociation. La rupture du cessez-le-feu pourrait découler de cette stratégie pour, sur le modèle de la tactique de l’IRA en Irlande, bousculer Madrid et s’assurer le soutien du PNV (Parti nationaliste basque) et du pacte de Lizarra (rassemblant toutes les forces nationalistes). Dans ce cas, la violence pourrait se poursuivre jusqu’aux élections de mars et si la Moncloa changeait de locataire, ETA pourrait rétablir la trêve et relancer les négociations dans de meilleures conditions.
Et quelles conséquences ?
Les conséquences n’ont été, à ce jour, négatives ni pour la gauche abertzale ni pour le projet nationaliste. Les alliances se maintiennent. Le gouvervement autonome basque continue de s’appuyer sur le pacte législatif passé entre le PNV, Euskal Alkartasuna et Euskal Herritarok (coalition née de Herri Batasuna). En outre, l’abandon du pacte de Lizarra par Izquierda Unida (coalition autour du PCE, faible en Euskadi) ne change pas le cours des alliances. Enfin, l’évolution fédéraliste des positions du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) sur les nationalités est notable. L’opinion publique basque ou espagnole ne semble pas avoir changé face aux revendications nationalistes ou à l’issue négociée en Euskadi, malgré les tentatives de Madrid de criminaliser tout le nationalisme basque, assimilé à l’ETA. La grande majorité de la population soutient toujours la solution politique.
Mais l’ETA ferait fausse route si elle pensait que cela ne changera pas si les attentats se poursuivent. L’alliance avec le PNV n’est pas assez solide pour supporter de telles tensions. L’opinion publique basque a fait preuve de trop de patience et de génerosité ; et l’espoir né de la trêve peut s’étioler.
Enfin, l’unité relative et précaire entre les organisations de la gauche basque volerait en éclats si l’ETA refrappait. Les critiques des syndicats (ELA et LAB) ont fusé ; le malaise du secteur social abterzal ou les formules alambiquées d’Euskal Herritarok pour se démarquer de l’ETA menacent cette coalition si l’ETA continue ses actions. Dans cette éventualité, que personne ne souhaite, les organisations de la gauche basque devraient choisir une position politique indépendante et critique vis-à-vis de l’ETA. Le passé et l’expérience nous interdisent de reculer. Heureusement, nous en sommes tous conscients.
À Bilbao, José Ramón Castaños (Troglo).