Après la raclée, l’alternative…

, par PICQUET Christian

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Pour Nicolas Sarkozy, c’est un peu comme la redécouverte du peuple. Ainsi que l’écrit Françoise Fressoz dans les Échos de ce 17 mars, « il avait remporté l’élection présidentielle en […] racontant une belle histoire ». Le charme s’est rompu et, comme prévu, les élections municipales et cantonales l’ont lourdement sanctionné, lui, son parti et ses affidés.

On peut, bien sûr, telles les éminences aux affaires, relativiser la signification du vote de gauche au second tour, parler comme François Fillon d’un banal « rééquilibrage ». Les chiffres n’en sont pas moins têtus. La gauche a conquis 45 villes de plus de 30 000 habitants sur l’UMP ou le Modem, et elle n’en a perdu que sept. À titre de comparaison, la droite n’en avait fait basculer que 19 de même importance en 2001. Les cantonales ont, au demeurant, confirmé la poussée contestataire, accordant à la gauche 51% des suffrages (contre 44% seulement à la majorité) et la direction de huit nouveaux départements.

La crise est là...

Pour en appeler à la prudence sur l’interprétation du résultat, des voix s’élèvent aujourd’hui, y compris à gauche, pour évoquer un jeu de bascule parfaitement habituel pour des consultations locales suivant une présidentielle. À ceci près que le scrutin cardinal de la Ve République remonte à moins d’un an et qu’une semblable défaite du clan au pouvoir est sans précédent. Même le taux d’abstention, historiquement élevé pour des municipales, ne saurait tromper. Il diminue là où la compétition s’avérait particulièrement serrée et cela contribue à l’éviction des édiles conservateurs. Surtout, il aura principalement touché cette frange de l’électorat populaire qui, issu de la mouvance lepéniste et ayant accordé ses suffrages à Sarkozy l’an passé, a cette fois voulu lui manifester sa défiance en boudant les urnes.

De ce point de vue, ce second tour confirme les leçons du précédent. L’ampleur de la vague reflète la profondeur d’une colère. Sur fond de marasme économique et d’inquiétudes grandissantes quant aux conséquences de la crise financière en cours, dans un contexte où ne cessent de s’accroître les inégalités, c’est la question sociale - cristallisée sur le pouvoir d’achat et les licenciements boursiers - qui aura surdéterminé le comportement des électeurs. Le divorce que révèlent les scrutins de ce printemps, entre le peuple et les élites, nous fait entrer dans une zone d’incertitudes et de turbulences aiguës. On ne saurait, dès lors, plus rien exclure, ni un court-circuit politique majeur, ni une explosion sociale...

... sans alternative politique

Pour parler autrement, la question d’une alternative à gauche se trouve de nouveau posée avec acuité. Sans trouver toutefois de réponse à la hauteur des enjeux.

Du côté du centre de gravité directionnel du Parti socialiste, on a manifestement décidé de ne pas profiter de la dynamique politique possible du vote antidroite. Après s’être bien gardé, entre les deux tours, d’appeler les citoyens à mettre un coup d’arrêt à l’entreprise de destruction sociale et de régression démocratique que le sarkozysme incarne, ses porte-parole se bornent à exhorter l’hôte de l’Élysée à « corriger » son action. Ayant, tout au long de la campagne, fait du Modem le cœur de leurs préoccupations - au prix notamment d’un refus systématique des fusions avec les listes de la gauche de gauche lorsqu’elles avaient franchi la barre éliminatoire des 5% -, et soucieux de respecter scrupuleusement le calendrier institutionnel (un débouché central à l’exaspération populaire peut manifestement, à leurs yeux, attendre 2012), ils se plongent à présent avec délices dans les joutes préparatoires à leur prochain congrès.

Point de surprise sur ce plan... Les clans se forment, les ambitions de Ségolène Royal voient se dresser devant elles une option Delanoë confortée par le succès que ce dernier vient d’obtenir dans la capitale. Recours revendiqué face à un choc qui pourrait se révéler fort déstabilisateur, un pôle « reconstructeur » se dessine, alliant confusément les amis de Laurent Fabius et ceux de Dominique Strauss-Kahn, rejoints par des personnalités telles que Montebourg, Aubry ou Hamon. Les différences d’approche entre les uns et les autres ne sauraient être sous-estimées, par exemple à propos des alliances avec le parti de François Bayrou. On se souvient, le 9 mars au soir, de l’appel vibrant de l’ex-candidate à la présidentielle en faveur d’accords systématiques avec le Modem, autant que de la prudence affichée à l’inverse par le maire de Paris lorsqu’il devint évident qu’il n’aurait nul besoin de cet appoint pour garder son fauteuil. Les termes de la confrontation se sont quelque peu modifiés, leur comportement erratique et leurs alliances à la carte ayant ruiné une bonne part du crédit des centristes. Au moins pour le moment...

Reste qu’un point commun fondamental relie entre eux les « éléphants ». Tous entendent accélérer le processus de mutation de la « vieille maison » socialiste en un nouveau centre gauche. Lorsque Jean-Christophe Cambadélis évoque, dans Le Monde du 18 mars, l’urgente « modernisation » de la déclaration de principe du PS, chacun comprend qu’il s’agit d’aligner celle-ci sur les évolutions qui ont marqué toutes les sociales-démocraties européennes, jusqu’à en faire de simples variantes de l’adaptation à un capitalisme plus prédateur que jamais. On en devine sans peine les conséquences pratiques : lorsque le mouvement social devra, dans les prochaines semaines, se confronter à la droite sur ces dossiers cruciaux que sont, par exemple, les retraites ou le contrat de travail, il y a fort à parier qu’il ne trouvera aucun écho rue de Solferino. Comme lors de la confrontation sur les régimes spéciaux, cet automne...

C’est bien là le principal atout de Nicolas Sarkozy, celui qui l’autorise à annoncer que, minoritaire désormais dans le pays, il n’en va pas moins pratiquer l’escalade. La Tribune de ce mardi vient de publier, sur quatre pages, les « chantiers » qu’ouvriront prochainement le gouvernement et le Medef : accentuation de la flexisécurité du marché du travail ; libéralisation accrue de la fiscalité (avec notamment la suppression très symbolique de l’ISF) ; reprise de l’attaque contre l’assurance maladie et les régimes de retraite (en faisant passer à 41 le nombre d’annuités nécessaires à l’obtention d’une retraite à taux plein) ; contre-réforme du système de santé pour modifier la « place respective de la solidarité, de l’assurance et de la responsabilité individuelle » ; engagement de la deuxième phase de la « réforme de l’État » (entendez ici la réduction de ses périmètres d’intervention) ; offensive globale contre notre système d’éducation publique ; réduction drastique du nombre des fonctionnaires, ramenant le service public à une peau de chagrin etc. La veille, en titrant son éditorial du Figaro, Étienne Mougeotte avait résumé en ces termes la visée globale : « Les réformes, plus vite et plus fort. » Le message est on ne peut plus limpide, la révolution néoconservatrice n’entend pas s’accorder de répit...

Un espace existe à gauche

Rien n’oblige toutefois à observer passivement cette bipolarisation mortifère de notre vie publique. Les municipales et les cantonales viennent de révéler une percée des plus prometteuses des listes et candidats porteurs d’une orientation véritablement à gauche. Comme je le relevais dans la précédente note de ce blog, les listes soutenues par la LCR en ont été les grandes bénéficiaires. Mais le Parti communiste aura également pu s’appuyer sur ce phénomène, en particulier lorsqu’il dut affronter la concurrence du PS ou de ses alliés dans les municipalités qu’il détenait. Fait qu’il convient de noter, les listes « 100% à gauche », contraintes au maintien entre les deux tours par le refus de fusion des listes de gauche arrivées en tête, auront généralement conservé leurs scores, lorsqu’elles n’auront pas progressé encore (à l’instar de nos camarades de Clermont-Ferrand, qui auront dépassé les 15%).

La leçon à en tirer est évidente. Au moment où la question sociale revient au devant de la scène, l’attente se fait inévitablement plus forte d’une réponse qui échappe aux renoncements du social-libéralisme. Est ouvert en France un espace similaire à celui qu’a révélé, en Allemagne, l’expérience de Die Linke. Pour l’occuper, il faut cependant faire preuve d’audace, récuser l’impasse de la satellisation par le PS autant que celle du témoignage, oser se fixer l’objectif d’une nouvelle force suffisamment crédible pour bousculer le bipartisme en cours d’installation, refuser la tentation du cheminement solitaire qui menace chacune des composantes de la gauche de transformation.

Au PCF, par exemple, la résistance des bastions municipaux, ou encore les bons scores des listes s’étant opposées à des concurrences socialistes, génèrent l’interprétation selon laquelle le parti amorcerait un redressement. Une illusion qui ne résiste pas à l’étude des faits. Non seulement, cette famille politique aura, ce 16 mars, perdu Calais, Aubervilliers ou Montreuil et elle n’aura pas reconquis Le Havre, mais dix cantons lui auront échappé avec, à la clé, le basculement du conseil général de Seine-Saint-Denis dans l’escarcelle du PS. Le déclin n’a donc pas pris fin avec cette séquence électorale, et le fait de demeurer sur le papier la « troisième force » du pays ne saurait escamoter l’extrême difficulté dans laquelle se retrouve le parti pour exister dans le jeu politique national. Sans oublier qu’au problème du devenir, se superposent ceux de l’identité, de la stratégie et des alliances. La caution apportée aux accords avec le Modem dans plusieurs villes (jusque par des municipalités à direction communiste comme celle d’Aubagne) témoigne ainsi d’une perte de repères enracinés de longue date, comme celui qui voyait jusqu’alors la place du Colonel-Fabien se battre becs et ongles contre la désintégration du clivage droite-gauche. Quant à l’assaut donné, par des émissaires socialistes, aux municipalités communistes du 9-3, il illustre la fermeture du cycle des Unions de la gauche d’antan, la rue de Solferino ne concevant plus sa relation au PC que dans une subordination irréversible.

De la même façon, du côté de la majorité de la LCR, peut se manifester la tendance à ne percevoir, dans la poussée des listes « 100% à gauche », que la confirmation de la démarche engagée pour un « nouveau parti anticapitaliste », dans les termes définis par le dernier congrès de l’organisation. Certes, jamais la proposition d’un nouveau parti n’a autant répondu à une attente. Mais il ne faudrait pas pour autant ignorer que la percée électorale aura été d’autant plus nette que des accords avaient pu être noués avec d’autres composantes (alternatives, communistes, écologistes...). On ne répétera jamais assez que la grande majorité des listes restant en lice au second tour était le produit de telles alliances (nous y reviendrons prochainement). Il serait, pour cette raison, irresponsable de vouloir ignorer la nécessité d’un rassemblement large des antilibéraux et anticapitalistes, au moment précisément où il vient de démontrer qu’il était gage d’efficacité. Forte de l’audience élargie qu’elle a acquise, la Ligue se devrait plutôt de s’ouvrir à l’ensemble des forces de la gauche qui ne se situent pas dans le cadre du reniement social-libéral, pour leur proposer de travailler à l’émergence d’une gauche d’opposition et d’alternative. En toute logique, il lui faudrait maintenant prendre appui sur l’expérience des listes unitaires, en proposer la pérennisation à partir d’actions locales menées sur la base des propositions développées durant la campagne, et même leur suggérer de se réunir à l’échelon national afin de discuter de la réponse politique qu’exige la nouvelle offensive à laquelle se préparer le sarkozysme.

Parlons clair : le défi n’est pas seulement d’occuper le terrain et de profiter, chacun pour ce qui le concerne, d’un petit matelas électoral inespéré avant le verdict des urnes. Il consiste à savoir preuve de lucidité et, surtout, de responsabilité pour répondre à une conjoncture qui, dans son incertitude même, appelle une gauche de gauche.

P.-S.

Article paru sur le site d’Unir, 20 mars 2008.

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