Le succès de Ségolène Royal à l’investiture socialiste pour la présidentielle suscite une inflation rhétorique. Le lien, initié par les Lumières et fondateur de la gauche, entre raison critique et transformation sociale apparaît out dans la frénésie poitevine de marketing électoral. Les deux, Ségolas et Nicolène, font bien la paire ! Les sondages ont remplacé l’esprit critique, le look personnel le projet de société... On confond le populaire avec le démagogique. Dans l’entre-soi d’un univers socialement et intellectuellement homogène, deux teintes de gris légèrement distinctes font facilement office de polarités politiques.
Prendre de la distance vis-à-vis du versant gôche de cette grisaille néolibérale suppose de s’interroger sur l’état du PS l’ayant rendu possible. Ce que nous permettent deux chercheurs en science politique, Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, dans la Société des socialistes - Le PS aujourd’hui (éd. du Croquant). Professionnalisation politique et marginalisation des expériences populaires sont les deux logiques sociales analysées. Le poids grandissant des professionnels de la politique, au niveau national et surtout local, comme de leurs affidés (la multiplicité des postes générés par les collectivités locales), a contribué à structurer le PS autour de logiques de carrières, au détriment des considérations idéologiques.
Une désintellectualisation du débat a accompagné ce mouvement, ainsi que la prédominance d’« une certaine économie psychique du cynisme » . On pourrait dire de ces jeux politiques professionnalisés ce que Marx et Engels écrivaient de la bourgeoisie dans le Manifeste communiste (1848) : « Frissons sacrés et pieuses ferveurs, enthousiasme chevaleresque, mélancolie béotienne, elle a noyé tout cela dans l’eau glaciale du calcul égoïste. » Dans le même temps, le recrutement des « élites roses » s’est de plus en plus restreint aux couches supérieures et moyennes, alors qu’on assistait à un retrait des militants d’origine populaire.
Au sein de cette évolution, le profil de Ségolène Royal est assez conformiste. Contrairement aux énarques-militants des années 60-70, elle fait partie de ces hauts fonctionnaires qui ont directement accédé aux pouvoirs centraux : secrétariat général de l’Elysée, parachutage dans les Deux-Sèvres, fonctions ministérielles... La soi-disant « nouveauté » s’est fabriquée dans les pots usés de la politique politicienne à la sauce technocratique.
Prenant au sérieux la rénovation militante engagée à partir du Congrès d’Epinay de 1971, Lefebvre et Sawicki notent que « le regain militant et la vitalité organisationnelle des années 70 démontrent que les faiblesses du PS ne relèvent pas de la fatalité ». Les auteurs puisent dans le passé récent des ressources aptes à ouvrir un futur différent. Cela leur sert de repère critique contre la probabilité d’« un nouveau cycle de déceptions » appelé par le ségolénisme. Mais peut-être que le lieu possible de la réinvention n’est plus ce PS sclérosé, mais la gauche altermondialiste et radicale émergente. Une gauche radicale qui donnerait un sens neuf au « réformisme révolutionnaire » de Jaurès et de Blum, dont le PS d’Epinay avait proposé une réélaboration originale. Toutefois règne actuellement une telle confusion des mots, extraits de leurs contextes historiques, qu’il apparaît difficile de l’apercevoir. Ainsi certains socialistes se disent « sociaux-démocrates », alors qu’ils se révèlent sociaux-libéraux, et « réformistes », alors qu’ils se contentent d’accompagner les contre-réformes néolibérales. La social-démocratie a connu au moins deux pôles depuis la Seconde Guerre mondiale : une branche réformatrice dans le cadre du capitalisme, s’efforçant de trouver des compromis sociaux plus favorables au travail par rapport au capital (cas suédois des années 60-70), et une branche « réformiste-révolutionnaire », inscrivant des réformes structurelles dans une dynamique de sortie du capitalisme (dans le sillage de Jaurès et de Blum), qui apparaîtrait aux sociaux-libéraux actuels comme une démarche d’extraterrestres.
Malheureusement, la gauche radicale naissante peine à prendre son envol. Elle a du mal à croire en ses possibilités et à couper le cordon avec le PS tel qu’il est. C’est pourquoi la majorité de la LCR a raison de rester prudente face aux ambiguïtés de la direction du PCF qui aimerait garder un pied dans la relative survie électorale que lui garantit son alliance avec le PS. Olivier Besancenot se présente comme un des meilleurs candidats à même d’incarner l’alliance des formes classiques de la question sociale et de ses renouvellements (libertaires, écologistes, féministes, attentifs aux blessures de la reconnaissance personnelle comme aux discriminations post-coloniales, etc.). Et puis l’éthique de vie qu’il s’est donnée (en maintenant une activité salariée à La Poste) constitue un garde-fou face aux tropismes de la professionnalisation politique. Mais être révolutionnaire, ce n’est pas se contenter de cultiver un lexique « révolutionnaire », c’est participer à transformer profondément et concrètement la société.
À quand une nouvelle organisation politique, radicale et pragmatique, dont Olivier Besancenot et Clémentine Autain pourraient être des figures emblématiques ? En attendant, bouchons-nous les oreilles face au tintamarre électoral et à ses désillusions probables, susceptibles d’ouvrir un boulevard à l’extrême droite. Et, pour le second tour annoncé, laissons chaque électeur décider si les petites différences réelles entre Royal et Sarkozy sont suffisantes, sans consignes de vote.