Les nôtres

Yvan Jossen

, par AGUIRRE Léonce, KRIVINE Alain

Recommander cette page

Notre camarade et ami Yvan Jossen s’est éteint le 1er août en Suisse, à Sierre en Valais, tout près de son lieu de naissance.

La longue marche que nous avons faite avec Yvan Jossen, décédé le 1er août, a commencé au début des années 1970, lorsqu’il a pris contact avec la Ligue marxiste révolutionnaire (Suisse), puis y a adhéré. En 1975, avec trois autres militants suisses, il part à Bruxelles pour participer au lancement d’Inprecor, la revue de la IVe Internationale. En 1976, il s’installe à Paris et fait partie de l’aventure du quotidien Rouge. On disait souvent qu’il était le Lucky Luke de la composition, car il frappait sur le clavier plus vite que son ombre et sans fautes. Quelques années plus tard, et solidement formé, il est responsable des Éditions La Brèche, qui publieront notamment Ernest Mandel, Vincent Placoly, Georges Labica, Maurice Rajsfus. Là, il a pu exprimer toutes les facettes de son talent, qui concentrait les qualités des artisans, avec notamment un amour du travail bien fait. Méticuleux à l’extrême, il était capable de dialoguer avec les auteurs et de leur suggérer nombre d’améliorations sans les vexer, de collaborer jusque dans les détails avec le graphiste pour le choix des couvertures, à quoi il faut ajouter ses talents de traducteur (c’est lui qui a traduit en français Meurtres exquis, d’Ernest Mandel). Et à peine le livre était-il livré par le façonnier, qu’Yvan en apportait un exemplaire dans toutes les rédactions pour en faire la promotion.

Yvan était quelqu’un hors du commun. C’était un prospecteur, imaginatif et insolent. Montagnard aguerri et très observateur des changements de la nature, il a été un des premiers à comprendre que les questions écologiques allaient être décisives et que les marxistes révolutionnaires devaient s’en préoccuper. Il a été ainsi un antinucléaire de la première heure, et il a participé, au début des années 1970, à une lutte remarquable et victorieuse contre la pollution liée à la production d’aluminium par la multinationale Alusuisse. Mais surtout, au moment où la LCR ne s’y intéressait pas, il a compris l’importance sans cesse croissante des médias, de leur nécessaire critique, et de développer les médias alternatifs.

Ainsi, de 1985 à 1991, il est au centre de la rédaction de Murmure des médias, mensuel critique édité par les journalistes membres de la LCR. En 1991, en réaction au traitement par la presse de la guerre du Golfe, il crée L’Envers des médias, bulletin de réflexion et d’information sur les médias. Enfin, en 1992, il participe, avec son ami Jacques Soncin, au lancement de la radio associative Fréquence Paris Plurielle, dont il est le responsable des programmes, et qui est aujourd’hui un repère pour tous les sans-voix des luttes sociales. Il s’engage également, sans compter, dans la Confédération nationale des radios libres (CNRL). Depuis douze ans, il était le secrétaire de rédaction du mensuel Fréquences libres, le mensuel de la CNRL. D’une grande précision politique et profondément marxiste, il détestait la langue de bois et nous envoyait à ce propos souvent des critiques pertinentes à propos de tel ou tel article de Rouge, qui ne faisaient que reproduire des évidences toutes faites (et parfois fausses), sous couvert d’un verbiage marxiste.

Yvan pouvait apparaître parfois comme un personnage solitaire, discret, voire même timide. Mais, sous cette apparence, se cachaient une tendresse et une attention sans bornes pour toutes celles et tous ceux qu’il côtoyait au quotidien ou occasionnellement. Il avait une intelligence des situations, un discernement, qui s’exprimaient par ses sourires lumineux. À ses proches, à Marion, nous voulons dire notre solidarité et notre amitié, au moment de la disparition d’Yvan, qui laissera dans nos cœurs une trace indélébile.

P.-S.

Rouge, n° 2218, 13 septembre 2007.

Pas de licence spécifique (droits par défaut)