Le XXIe camp jeunes de la IVe Internationale s’est déroulé cette année, entre le 25 et le 31 juillet, à Ruesta, dans l’Aragon (Espagne), en contrebas des Pyrénées, près d’un grand lac artificiel où il était possible de se baigner. Ruesta fut un village paysan traditionnel jusqu’à la construction du barrage au cours des années 1950. Sa population, dont les terres furent pour l’essentiel inondées, l’a alors abandonné. C’est en 1989 que le syndicat anarcho-syndicaliste CGT l’a acquis pour le transformer en lieu de formation et de repos. Néanmoins ce lieu n’était pas équipé pour accueillir un camp de la taille de celui de la IVe Internationale. Ainsi pour tenir les forums, c’est l’ancienne église — la plus grande salle disponible, que la CGT avait employée comme entrepôt — qui fut choisie et il a fallu l’aménager en salle de réunion avec traduction simultanée en une dizaine de langues... Situé sur la route traditionnelle de pèlerinage de Santiago de Compostelle, le camp jeunes de la IVe Internationale a ainsi vu passer quelques pèlerins ou touristes cheminant vers cette destination... Rencontre insolite du XXIe siècles et des siècles passés !
Plus de 400 jeunes y ont participé. Cela a commencé par un petit camp de 350 personnes, mais le nombre s’est accru avec l’arrivée le mercredi de 20 Portugais qui provenaient directement du premier camp jeune organisé par le Bloc de gauche. Et les jeunes d’Espagne continuaient d’arriver chaque jour — s’ils commencèrent à une cinquantaine, ils furent plus de 120 lors de la clôture du camp !
Le précédent camp jeunes organisé sur le territoire de l’État espagnol avait eu lieu en 1989 en Catalogne. C’était le sixième du genre et il eut lieu avant l’unification de la section espagnole de la IVe Internationale, la LCR-LKI, avec le Mouvement communiste (MC-MK), d’origine maoïste. L’échec de l’organisation unifiée devait provoquer une dispersion des militants de la IVe Internationale dans l’État espagnol. Cela s’est reflété aussi dans la participation aux camps annuels des jeunes provenant de ce territoire — les délégations de l’État espagnol qui comptaient en moyenne une centaine de membres entre 1984 et 1991 se réduiront à une dizaine en 1997. Depuis, leur taille a régulièrement augmenté, pour atteindre 40 personnes en 2003. Le succès de 2004 témoigne donc également d’une réorganisation des forces de la IVe Internationale dans l’État espagnol. Et la capacité des camarades de prendre en charge la lourde tâche de l’organisation d’une telle initiative démontre les pas en avant accomplis.
Ce camp fut une chance pour les camarades espagnols dont la grande majorité n’avait jamais vu un tel rassemblement des jeunes de la IVe Internationale. Il a été dédié à la mémoire du camarade Eduardo Langarica, qui durant de longues années avait animé le travail jeune dans l’Aragon et mobilisé pour les camps. Il est mort avant l’âge. L’organisation d’un camp jeunes dans l’Aragon et sa réussite avaient été un de ses buts, qui n’a pu être atteint qu’après sa disparition.
La camp a accueilli avec enthousiasme la délégation de trois jeunes venant des Philippines, la plus récente section de la IVe Internationale, ainsi qu’une délégation fraternelle de jeunes du Parti socialiste écossais pour lesquels c’était également la première expérience du genre.
Certaines délégations — les Suédois, les Danois et les Britanniques — étaient cette année bien plus importantes que lors des camps précédents, ce qui est un signe du développement du travail politique au sein de la jeunesse. D’autres ont maintenu la taille moyenne des années précédentes, sans atteindre leurs buts les plus optimistes.
Contre l’Europe du capital, du patriarcat et... pour l’Europe des peuples, tel fut le thème central de ce camp. Le droit à l’autodétermination des peuples y était tout particulièrement souligné. C’est une question centrale dans l’État espagnol. Mais elle n’est pas facile. Durant le camp la discussion sur la question nationale était ouverte. Les divergences entre Lénine et Rosa Luxembourg furent disséquées. Le camarade « Troglo », dirigeant de l’organisation basque Zutik , a animé une session de formation sur les nations et le droit à l’autodétermination. Les camarades du SSP ont organisé un atelier sur la question nationale écossaise.
Dans le contexte des Forums sociaux européens et de la mondialisation des luttes, le camp jeunes organisé annuellement par la IVe Internationale depuis 1984 n’est plus le lieu unique où les jeunes venant de toute l’Europe — et quelques autres — peuvent se rencontrer, débattre et s’organiser ensemble. On pourrait croire que la multiplication des lieux d’échange rendrait plus difficile le succès de nos camps jeunes, puisque les participants doivent faire un choix de priorités parmi plusieurs initiatives internationales. Pourtant l’intérêt pour ce camp ne faiblit pas : il reste un lieu irremplaçable pour une réflexion internationaliste commune, pour planifier ensemble d’autres initiatives et pour acquérir une formation.
Au cours de ces dernières années le camp a ainsi permis de promouvoir des réseaux prenant des initiatives communes. Cette année les projets les plus ambitieux ont été le fruit des commissions permanentes travaillant sur les luttes étudiantes et sur la répression anti-ouvrière — l’organisation d’un atelier lors du Forum social européen en vue de promouvoir une campagne commune y a été décidée.
Deux stages de formation étaient organisés chaque jour. Des questions plus théoriques ont été également abordées ; ainsi les théories de Negri et de Holloway furent disséquées et soumises à la critique.
Plus d’une trentaine d’ateliers ont été tenus et le fait qu’ils avaient été organisés de manière à garantir la participation active du plus grand nombre a été apprécié par les participants. Ce fut l’un des programmes les plus ambitieux depuis longtemps, avec des activités politiques proposées entre 10h du matin et 23h. Bien préparées, ces activités connurent le succès. Pour ne donner qu’un exemple, l’atelier de débat sur la sexualité a commencé par un massage de relaxation, après lequel tout le monde a été invité à réfléchir sur sa propre sexualité pour aboutir à une réflexion plus générale sur les mythes hétérosexistes qui nous sont imposés.
Depuis vingt ans nous avons établi des traditions fondées sur les expériences politiques des camps jeunes. Cela concerne tout particulièrement une culture féministe et une culture LGBT — Lesbiennes, gays, bisexuel(le)s et trans-sexuel(le)s — pour lesquelles le camp a été une inspiration pour notre travail. Des espaces femmes et des espaces LGBT existent dans chaque camp et une nuit est réservée à une fête femmes ainsi qu’une autre nuit à une fête LGBT. Cette dernière est organisée par les camarades LGBT pour l’ensemble du camp, alors que le fête femmes est organisée seulement par et pour les femmes depuis plus de 15 ans. C’est également une des questions les plus débattues au camp et des propositions ont été faites pour modifier son format l’année prochaine. Notons, qu’après plusieurs années où le travail LGBT reposait sur une même équipe de camarades, lors de ce camp c’est une nouvelle génération qui l’a pris en charge.
Si le camp jeunes est à la fois un lieu de réflexion et de détente, c’est aussi un rassemblement militant. Ainsi, en 2001 les participants au camp jeunes, qui se tenait en Italie à l’issue de la mobilisation de Gênes, avaient pris part à la manifestation de Rome contre la répression. Cette année les jeunes ont pris la décision de soutenir la lutte du village voisin d’Artieda, menacé par le projet de construction d’un nouveau barrage qui, en privant les paysans de leurs terres, risque de le condamner au sort de Ruesta. Une marche de solidarité fut donc décidée, à laquelle plus de la moitié des jeunes du camp ont pris part. Sa préparation laissait cependant à désirer : partant au début de l’après-midi, les marcheurs ont dû affronter la plus grande chaleur ; de plus, la distance s’est avérée être deux fois plus longue qu’annoncée... c’est donc à des marcheurs harassés et déshydratés que le maire d’Artieda et Manolo Garí de l’Espacio Alternativo se sont adressés pour détailler les luttes de la population. Présentant leurs excuses pour leurs erreurs, les camarades espagnols ont vite organisé un transport par bus pour ramener les marcheurs à leur point de départ !