Raffaello Renzacci est mort le mercredi 18 novembre ; il n’avait que 47 ans. Raffaello était un dirigeant de la Centrale syndicale italienne CGIL, fondateur de la coordination des cassintegrati [1] Fiat, et militant de la IVe Internationale, de Democrazia proletaria (DP) et de Rifondazione comunista (PRC).
Raffaello Renzacci a mené une vie de résistant : il a résisté au reflux des années soixante-dix, à la défaite à la FIAT, à la cassintegrazione, à la dure bataille de gauche dans la CGIL, à une activité militante au sein de Rifondazione comunista, trop souvent pénible. Pendant une semaine, il a également résisté à un anévrisme cérébral qui l’a frappé à la Bourse du travail de Turin. Hospitalisé d’urgence, il avait survécu à l’opération et aux deux premières crises post-opératoires. La troisième a eu raison de lui. C’est une perte non seulement douloureuse, mais irremplaçable. Ceux qui l’ont connu pendant son long militantisme, notamment ses camarades syndicaux et turinois, le savent bien. Membre de la direction nationale de la CGIL, élu dans sa composante travail-société — qu’il représentait aussi au secrétariat turinois avec un esprit tout autre que sectaire mais au contraire, préoccupé par les problèmes de l’ensemble de l’organisation — Raffaello avait entamé son activité syndicale à son entrée à la Fiat en 1976. Mais son militantisme politique avait commencé trois ans plus tôt, en 1973, quand, après sa participation au mouvement étudiant — il est né à Massa en 1957 mais avait suivi l’institut technique à Turin — il a décidé d’adhérer à la IVe internationale. C’était son premier acte de résistant. Depuis ce moment, il n’a jamais abandonné ce courant politique en lui offrant une sagesse ouvrière et une conscience compétente et pointilleuse des conditions modernes de travail. Je conserve toujours une de ses réponses du 31 octobre de cette année, à une demande d’article pour la revue Erre, sur la situation syndicale actuelle. « J’obéis ! », disait son message, mais non sans recommander que Liberazione s’occupe du sommet des précaires, du centre d’appels des Pages jaunes.
Raffaello a acquis cette sagesse directement en usine, à la Fiat, à la Carrosserie, où il est rapidement devenu délégué syndical comme participant en première ligne aux grandes mobilisations de 1978-1979. Au cours de la lutte aux portes de l’usine il a été appelé au service militaire. Cela l’a empêché de participer à l’occupation de l’usine mais non pas de figurer, à son retour, sur la liste des 23 mille cassintegrati.
C’était un tournant dans sa ville, évidemment, mais également dans son militantisme. Raffaello est parmi les constructeurs actifs de la Coordination des cassintegrati Fiat : un autre travail de résistant qui cherche à contenir la défaite de 1980. Cette action eut une signification très évidente pour les années suivantes, non seulement pour faire face à la dureté de l’isolement hors de l’usine mais plus concrètement, pour y rentrer au cours des années 1980. Raffaello a pu rentrer à l’usine, mais il a été confiné au riparto confino [2] de la rue Biscaretti. L’expérience des cassintegrati finira ensuite par un livre dont Raffaello était le rédacteur, avec une préface prestigieuse de Pietro Ingrao. Et il participera avec Antonio Moscato à la rédaction d’un autre livre, à la fin des années 1990, à l’occasion du centenaire de la FIAT : Cento... e uno anni alla FIAT, un point de vue ouvrier sur l’histoire de la plus importante entreprise italienne.
Par ailleurs, son activité syndicale s’est intensifiée au sein des organismes de la FIOM (Fédération des métallurgistes italiens) et de la CGIL. En 1984, il est élu à son comité directeur turinois, faisant partie du courant Démocratie des conseils et ensuite il prend part au mouvement Essere sindacato. En même temps, après avoir milité à la LCR italienne, il a fait partie de Democrazia proletaria jusqu’à son adhésion à Rifondazione en 1992. Il sera élu à la direction nationale du plus grand syndicat italien après le congrès de 1996 et ensuite reconfirmé lors des dernières assises. Mais il n’abandonne jamais Turin. Pendant quelques mois, à la fin de 2002, il est allé vivre à Rome pour y travailler au bureau d’organisation, mais ce déplacement a peu duré. Son amour pour Doriana et sa vie politique turinoise ont eu le dessus. À Turin, du reste, il a été parmi les plus inépuisables promoteurs du forum social, le fruit d’une attention sincère pour le mouvement altermondialiste mûrie avant même l’explosion de Gênes. Il avait représenté la CGIL turinoise lors de l’expérience des Marches européennes et fut un des pionniers syndicalistes à la première édition du Forum social mondial, à Porto Alegre.
Par la suite, il s’est jeté par-dessus tête dans le référendum sur l’article 18 et la question de la précarité en y portant une attention particulière comme le démontrent ses articles récents dans Liberazione et Il Manifesto.
Les coups de téléphone incrédules que nous recevons finissent toujours par le même commentaire : c’est une perte irremplaçable. C’est vrai. Raffaello nous a expliqué avec finesse et intelligence ce qu’est la condition ouvrière et est resté un de ceux, pas si nombreux, qui représentaient une conscience ouvrière. Son absence se fait vivement sentir, pour Doriana, ses camarades de Turin, et chacun d’entre nous.