Corse

Une stratégie dans l’impasse

, par NAZIER Alain

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Echec de l’opération référendaire concoctée avec le ministre de l’Intérieur, arrestation d’Yvan Colonna, lourde condamnation des assassins présumés du préfet Erignac : la mouvance nationaliste institutionnelle corse se retrouve dans l’impasse.

Contre le droit à l’autodétermination du peuple corse, Nicolas Sarkozy voulait faire de la Corse une super-région française. Etabli en connivence avec Corsica Nazione et le Parti national corse (PNC), pour des raisons de classe bien comprises, le piège n’a pas fonctionné. L’arrestation spectacle d’Yvan Colonna et de ceux qui l’avaient hébergé a rappelé à beaucoup ce qu’il en est réellement de la politique française : derrière la carotte, le bâton.
En Corse, nombre de militants avaient ressenti l’impasse de la stratégie « majoritaire » au sein de la mouvance nationaliste et agi en conséquence : nouvelle scission du FLNC, abstention de beaucoup au référendum du 1er juillet (c’était également la consigne donnée par A Manca naziunale). Chacun avait aussi pu remarquer que les prisonniers politiques n’avaient pas appelé à voter « oui », à la différence des leaders des organisations nationalistes.
À moins de perdre toute légitimité, les directions partenaires de Sarkozy se devaient de réagir a minima. Elles viennent donc de se retirer provisoirement de l’Assemblée de Corse, sans pour autant en démissionner. Objectif de l’opération : l’institution n’est pas remise en cause, mais le geste permet d’espérer quelques retombées positives lors des prochaines élections. Cela laisse également place aux actions clandestines. Le FLNC a donc rompu la trêve afin de ressouder les rangs derrière lui et dans l’espoir que le gouvernement français ne fermerait pas définitivement la porte à un nouvel arrangement.
L’appel à la manifestation d’Ajaccio, le 19 juillet, à l’appel du Comité antirépression et de toutes les organisations nationales (A Manca naziunale y appelait séparément pour défendre « les droits politiques et les droits sociaux ») a rassemblé au moins 5 000 personnes. Les manifestants ont dit non à la politique française et n’ont en rien soutenu les partis nationalistes majoritaires. Ils n’étaient pas tous favorables au « oui » au référendum, loin s’en faut. Et l’appel à la dispersion dans « la dignité » n’a pas été entendu par tous ceux qui s’en sont pris ensuite aux représentants de l’Etat français. Ce succès et ce débordement ne sont pas sans inquiéter les dirigeants. Ce qu’exprime crûment Edmond Simeoni : « Il faut retrouver les bases d’un dialogue, sinon on va se retrouver dans une situation que ni le gouvernement français ni nous ne pourrons maîtriser. »
Reprendre le dialogue ou reprendre la lutte ? Là est l’alternative. Mais dans quel but et sous quelles formes ? Les attentats en eux-mêmes ne sont pas une preuve de radicalité politique et ne témoignent aucunement d’un projet libérateur. Or c’est là que le bât blesse. L’impasse n’est pas seulement du côté de l’Etat français, mais bien du côté des directions nationales corses institutionnelles. Celles-ci ont fait ouvertement le choix d’un développement capitaliste, tirant donc un trait sur la défense des salariés. Elles sont prêtes à s’accommoder d’un investissement « raisonnable » sur le littoral, axé sur le tout-tourisme, et elles abandonnent de facto la lutte pour le droit à l’autodétermination du peuple corse. Cette collusion idéologique et politique avec l’Etat français est l’obstacle à toute avancée vers une libération nationale et sociale, dont les objectifs sont plus que jamais imbriqués.
Les tenants de la libération nationale et sociale doivent relever le lourd défi de la situation créée par l’échec du référendum. Il leur faut à la fois convaincre d’un projet, lever les pesanteurs sociales qui limitent l’expression et l’action, trouver les objectifs intermédiaires mobilisateurs qui ne soient pas un substitut à la mobilisation des citoyens mais, au contraire, la favorisent.

P.-S.

Rouge, n° 2027, 24 juillet 2003.

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