Les finances publiques

Une réforme de l’impôt

, par DELECOURT Christophe

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L’impôt en France est présenté comme progressif. Il dissimule toutefois des inégalités sociales récurrentes par l’exonération fiscale de la fortune et du patrimoine.
En revanche le RMiste doit s’acquitter de la TVA comme le chef d’entreprise. L’exigence d’une réforme fiscale doit s’imposer.

Les 30,7 milliards de francs de recettes supplémentaires se sont transformés en une « cagnotte fiscale » alors que le déficit budgétaire de l’Etat est de 206 milliards de francs et la dette publique de plus de 5 000 milliards afin de ne pas affronter des choix fondamentaux.
Mais, dans une société caractérisée par une situation d’urgence sociale (chômage de masse, explosion de la précarité et des phénomènes d’exclusion, paupérisation de la population), un débat s’est ouvert sur l’utilisation de la fameuse cagnotte.
Ce débat masque l’essentiel ; imposer une réforme de fond des finances publiques qui passe par une réhabilitation du rôle de l’impôt dans ses fonctions :
— financement de la dépense socialisée permettant la satisfaction de besoins collectifs.
— production du lien social (exemple : financement des dépenses d’éducation).
— lutte contre le développement des inégalités en redistribuant les richesses (1% des Français détiennent 25% du patrimoine).
— développement économique, croissance de l’emploi et aménagement du territoire (péréquation des richesses par l’impôt).
— le gel ou la diminution des impôts est inacceptable et c’est à la nature profondément injuste et inégalitaire du système fiscal qu’il faut s’attaquer.

La « faculté » contributive

La contribution des personnes physiques doit répondre au principe de l’article13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui stipule que la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». Toutes les analyses convergent afin de mettre en évidence la faible progressivité des prélèvements. La France se singularise par la faiblesse de l’impôt sur le revenu et sur la fortune, qui constitue le seul mode d’imposition progressive ! Ces impôts représentent 13% du PIB en moyenne dans la CEE, 32% au Danemark et 9,5% en France.
Alors que l’impôt sur le revenu représente moins de 20% des recettes de l’Etat, c’est la taxe sur la valeur ajoutée ­TVA­ un impôt particulièrement injuste, qui constitue la première ressource (45% des recettes). Elle ne tient compte ni des revenus des citoyens ni de leur situation familiale. La consommation est frappée d’un prélèvement proportionnel à taux fixe dès le premier franc dépensé. Le contribuable redevable de l’ISF acquitte donc le même montant de TVA que le RMiste lorsqu’il achète une baguette
La TVA affecte lourdement les bas revenus. L’Insee (1997) indique que les prélèvements sur la consommation sont dégressifs : ils pèsent 13% des revenus pour les ménages modestes et 7% pour les plus riches. En effet, les ménages fortunés ne consomment pas l’intégralité du revenu disponible et l’épargne n’entre pas dans le champ d’application de la TVA. La consommation des ménages, essentielle à la satisfaction de leurs besoins, est pénalisée, ce qui ne favorise pas la production et l’emploi.
Il est urgent de diminuer le poids de la fiscalité indirecte et d’augmenter la part des impôts progressifs. Cela passe par :
— Un taux normal à 18,6% au lieu de 20,6% (l’augmentation du taux avait été décidée par Alain Juppé et avait généré un prélèvement sur les ménages de près de 100 milliards de francs).
— L’augmentation du nombre des produits taxés au taux réduit de 5,5%.
— L’instauration d’un taux zéro.
Pour que les impôts progressifs jouent un rôle pivot dans notre système de prélèvements, le poids de l’impôt sur le revenu doit être augmenté par :
— L’application à tous les revenus du capital de la progressivité de l’impôt.
— Une remise à plat des exonérations, abattements et réductions d’impôt qui profitent le plus souvent aux ménages les plus fortunés.
— La suppression de l’avoir fiscal, qui consiste à rembourser une partie de l’impôt sur les sociétés payé par les entreprises aux actionnaires.
— Une meilleure imposition des revenus non salariaux comme les bénéfices industriels et commerciaux.
— La soumission des stock-options aux mêmes règles fiscales et sociales que les salaires.
De même, il faut élargir l’assiette de l’impôt sur la fortune (taxation de l’outil de production et des uvres d’art) et alourdir son taux d’imposition. Alors que la moitié du patrimoine est détenue par 10% des ménages, l’exigence de redistribution des richesses passe par une taxation plus forte de ce patrimoine. Sa prétendue surtaxation n’est pas fondée, l’impôt sur le patrimoine représente 2,3% du PIB en France, 3,4% au Luxembourg, 3,7% au Royaume-Uni, 3,1% aux Etats-Unis et 3,3% au Japon.

Fiscalité locale

La nécessité de baisser les prélèvements sur les revenus du travail exige également une réforme de la fiscalité locale.
Exigée par de nombreuses forces du mouvement social (les fédérations syndicales CGT, CFDT et FDSU du ministère des Finances, des associations comme Droits Devant !, AC !, MNCP, Apeis, Dal), promise à plusieurs reprises par le PS, la réforme de la taxe d’habitation (TH) ne peut plus être reportée. Dénonçant la situation de surendettement des ménages, près de 500 000 demandes de remises gracieuses de la TH sont présentées chaque année aux services de la Direction générale des impôts (DGI), de même que des milliers de demandes de délais de paiement à la Direction générale de la comptabilité publique (DGCP).
Assise sur la valeur cadastrale des locaux occupés par les contribuables, la TH ne tient compte que de manière trop marginale des revenus, et son montant fluctue selon la richesse des collectivités locales.
Le contribuable non redevable de l’impôt sur le revenu ne devrait pas payer la TH. Pourtant, les statistiques montrent que plus de 28millions d’avis d’imposition à la TH sont émis, contre 17millions au titre de l’impôt sur le revenu.
La proposition de François Hollande d’accorder à tous une diminution de 500 francs de la TH est inacceptable. Une diminution forfaitaire profiterait à chaque contribuable quel que soit son niveau de revenu et ne modifierait pas les mécanismes d’imposition. Le mouvement social doit donc imposer une législation nouvelle mettant en œuvre les principes suivants :
— Les allocataires des minima sociaux et les « vrais » non-imposables [1] doivent être exonérés de TH (aujourd’hui seuls les RMistes le sont alors que leurs revenus sont équivalents aux minima sociaux).
— Les valeurs cadastrales des logements doivent être révisées.
Un moratoire automatique du paiement de l’impôt doit intervenir en cas de chute brutale des revenus (perte d’emploi).

Taxe professionnelle

Malgré ses engagements, le gouvernement ne semble pas savoir comment modifier la TH. Il en fut pourtant tout autrement lorsque, en 1999, ce même gouvernement a réformé la taxe professionnelle.
Nouveau cadeau fiscal en faveur des entreprises, 35% de l’assiette de cet impôt a disparu (la partie assise sur la masse salariale), soit 27 milliards de francs. Profitant des services publics et infrastructures, les entreprises doivent participer au financement de la dépense publique locale. La réforme de la taxe professionnelle doit être conçue de manière à sanctionner la financiarisation de l’économie. Il faut donc inclure dans la base taxable les actifs et les produits financiers des entreprises.
Enfin, les collectivités locales sont dans une situation très inégalitaire devant la taxe professionnelle. L’éventail des potentiels communaux moyens de taxe professionnelle par habitant s’inscrit dans une échelle de 1 à 7 au niveau départemental, de 1 à 3 au niveau régional ! Des mécanismes de péréquation plus importants permettraient une meilleure répartition des richesses fiscales entre les collectivités locales et donc un aménagement du territoire plus équilibré.

Impôts et profits des sociétés

Alors que les profits des entreprises sont de plus en plus importants, leur participation au financement de l’Etat doit être réaffirmée. L’impôt sur les sociétés (IS) rapporte aujourd’hui moins que l’impôt sur les revenus et la fiscalité des entreprises est des plus avantageuses. Il rapporte plus de trois fois moins que la taxe sur la valeur ajoutée, soit environ 250 milliards de francs pour plus de 800 milliards de francs pour la TVA.
Le taux de l’IS était de 50% en 1958 contre 33% aujourd’hui. Il s’applique à une base d’imposition de plus en plus restreinte, grâce à différentes mesures comme la possibilité pour plusieurs sociétés de constituer un groupe. Ainsi, les bénéfices des unes sont absorbés par les déficits des autres et il n’y a pas paiement de l’impôt. Par ailleurs, les entreprises nouvelles bénéficient d’une exonération pendant plusieurs années.
Il faut accroître le rendement de l’impôt sur les sociétés en augmentant son taux d’imposition, tout en révisant son assiette. Cet impôt doit devenir une véritable taxe d’efficacité économique et sociale favorisant la croissance et l’emploi. Des taux d’imposition différenciés pourraient être mis en uvre suivant le mode de production des bénéfices. Une taxation plus lourde sanctionnerait les profits acquis sans création de richesses (revenus financiers, opérations spéculatives sur les marchés financiers, exportation de capitaux). De même, les sociétés produisant de fortes valeurs ajoutées sans recours au facteur travail ou avec un volume de travail précaire important seraient plus taxées.

Enjeux européens

Les enjeux de la réforme fiscale ne peuvent donc se réduire au débat sur la cagnotte. Il s’agit de faire des choix budgétaires et fiscaux à long terme pour une meilleure satisfaction des besoins sociaux.
Mais pour imposer des orientations nouvelles (progressivité, redistribution, allégement de la fiscalité du travail, taxation accrue du capital et de ses revenus, imposition plus importante des sociétés), le mouvement social doit créer un rapport de forces européen. Il s’agit de bâtir l’Europe sur des critères nouveaux : plein emploi, protection sociale élevée, satisfaction de besoins collectifs par une dépense socialisée permettant le financement d’une fonction publique et des services publics de qualité.
Dès lors, le dogme de la diminution des dépenses publiques et des prélèvements fiscaux et sociaux doit être battu en brèche. Les orientations fiscales de Lionel Jospin et Gerhard Schröder sont explicites : une baisse de 120 milliards de francs sur 3 ans en France et de 240 milliards sur 6 ans en Allemagne. De plus, les deux pays souhaitent diminuer l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés.
Avec l’euro, les Etats ne peuvent plus servir les intérêts des multinationales en jouant sur le cours des monnaies, ils utilisent donc les politiques fiscales et budgétaires de manière concurrentielle, organisant ainsi une véritable course au dumping fiscal en sous-imposant les revenus du capital et les entreprises. Le travail qui offre des garanties de stabilité sur les territoires nationaux est surtaxé. Pour assurer des recettes fiscales stables, il faut imposer une harmonisation fiscale européenne.
Enfin, les différents Etats de l’Europe et du monde doivent s’affranchir du chantage exercé par les marchés financiers et sanctionner les mouvements spéculatifs de capitaux. La mise en uvre de la taxe Tobin constituerait une première sanction, procurant des moyens de financement de la dépense publique non négligeables.

P.-S.

Rouge, n° 1865, 2 mars 2000.

Notes

[1C’est-à-dire avant le jeu des déductions, abattements et réductions d’impôts.

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