Le livre raconte les histoires émouvantes de Théologos Psaradellis — Théo pour les amis — militant trotskiste, homme d’action plutôt qu’idéologue, qui fut un combattant exemplaire contre la dictature des colonels grecs (1967-74), et de sa compagne Nadia Damianovich. La première est un récit, écrit en prison en 2002 par Théo, sur ses années de lutte jusqu’en 1973. Deux fois emprisonné, deux fois évadé, il n’a cessé de se battre contre la Junte des colonels. Arrêté une première fois en 1969 — pour avoir subtilisé une charge de dynamite en vue de futures actions — il fut torturé par l’atroce méthode de la « falanga » (coups répétés sur la plante des pieds) et ensuite enfermé en isolement. Avec patience et obstination — non sans rappeler le héros du célèbre film de Bresson, Un condamné à mort s’est évadé — il avait réussi, à l’aide d’une cuillère, à démonter la serrure et, profitant d’un moment d’inattention des gardes, il avait pris la clé des champs.
Après une aventureuse expédition en mer sur un bateau à rames, Théo arrive en Turquie et, après un bref séjour dans ce pays, il tente de se réfugier en Bulgarie. Il fut cependant incarcéré par les autorités bulgares — c’est-à-dire la bureaucratie stalinienne — qui, sans états d’âme, ont livré ce dangereux trotskiste aux policiers grecs… Lors de son procès en Grèce, le juge militaire a ironisé sur les « frères communistes bulgares » qui l’ont trahi, s’attirant cette réponse cinglante de Psaradellis : « Il reviendra au peuple bulgare de juger ses dirigeants. Je ne vous reconnais pas le droit de vous ériger en arbitre de nos différends idéologiques ». Condamné par les tribunaux de la junte, incarcéré, Théo profite d’un séjour à l’hôpital pour s’évader une deuxième fois ! Après avoir traversé les Balkans (en évitant la Bulgarie…) et l’Italie — ou il rend visite à Livio Maitan — il s’exilera en France au début des années 1970. Logé d’abord chez Simone Signoret (!), il recevra l’asile politique grâce au parrainage de Costa-Gavras et Jacques Perrin.
C’est le récit de Nadia qui prend la suite. D’origine yougoslave et grecque (par sa grand-mère paternelle) elle grandira en France. Suite à Mai 68 elle se rapproche de la Ligue Communiste, où elle deviendra amie de Catherine Samary et Hubert Krivine. C’est à Paris qu’elle rencontre le militant grec Psaradellis, qu’elle épousera en 1974, peu avant leur retour en Grèce après la chute du régime militaire. Elle participe à divers groupes trotskistes à Athènes et surtout, avec Eleni Varikas et Costoula Sklavenitis, au mouvement féministe grec. Cependant, à partir de 1989 elle a, selon ses mots, « quitté le navire marxiste en douceur ».
En 2002, Théo Psaradellis est arrêté et accusé d’être un membre du groupe terroriste grec « 17 Novembre ». Cette organisation jouissait au début d’une certaine popularité pour avoir, en 1976, exécuté Evangélos Mallios, un ancien tortionnaire de la Junte. Cependant, au cours des années suivantes, c’est une série interminable d’assassinats qui va suivre : diplomates, armateurs, industriels, le gouverneur de la Banque de Grèce, journalistes. Nadia est dégoûtée, surtout après le meurtre en 1989 de Pavlos Bakoyannis, un député du Parti Nouvelle Démocratie (droite), qui avait été un opposant à la Junte.
Théo nie avoir été membre du 17 Novembre mais reconnait avoir pris part à un hold-up à la Banque Nationale de Grèce en 1983 — action déjà prescrite en 2002 — dans le but de financer une édition des œuvres complètes de Pantelis Pouliopoulos, le fondateur du trotskisme grec (fusillé par les occupants en 1943)…
Nadia a immédiatement pris en main la défense de son compagnon, en engageant des avocats et en réunissant les preuves de son innocence – malgré ses doutes sur les relations (marginales) de Theo avec le 17 Novembre. Plusieurs figures de la IVe Internationale viendront témoigner à son jugement — Alain Krivine, Catherine Samary, Eleni Varikas et l’auteur de cette recension, entre autres — en expliquant que son engagement trotskiste était incompatible avec les méthodes terroristes du 17 Novembre. Certes, pour un marxiste, comme l’affirmait Bertolt Brecht, « voler une banque n’est rien en comparaison avec la fondation d’une banque ». Mais le meurtre d’adversaires politiques ne fait pas partie de l’arsenal militant de la IVe Internationale. En conversation avec Nadia, les amis français de Théo ont expliqué qu’on ne « laisse pas un camarade entre les mains de l’ennemi, quelle que soit l’erreur qu’il ait pu commettre ». Selon Nadia, les juges du tribunal n’ont pas compris grand-chose aux arguments politiques de ces témoins, mais ont été impressionnés par leur renommée et culture. Parmi les témoins figurait aussi l’écrivain Gilles Perrault, mobilisé par Hubert Krivine. Après 17 mois de prison Théo sera innocenté et libéré en décembre 2003. Très diminué par un AVC en 2004, il décédera en 2021.
Ce livre, publié en français et en grec, permettra aux nouvelles générations de connaître, grâce au témoignage de sa compagne Nadia, l’histoire de Théo Psaradellis, un être humain chaleureux et combatif, un ouvrier révolutionnaire fidèle à ses idées.
Une histoire militante
Recommander cette page
Nadia Damianovich, Théologos Psaradellis, Dedans et dehors. Résistance, routine et Organisation 17 Novembre, Athènes, Éditions Ocelotos, 2022, 152 p., 10 €.