Un « tous ensemble » politique

, par GAUTHIER Elisabeth

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Elisabeth Gautier, enseignante autrichienne résidant en France, est membre du comité exécutif national du PCF (CEN), et secrétaire de l’association Espace Marx, fondée en 1995, lieu de travail où se retrouvent chercheurs, acteurs des luttes sociales, dans une perspective d’émancipation. Elle est co-animatrice du réseau Transform !, une sorte d’équivalent d’Espace Marx à l’échelle européenne.

Dans nombre de pays européens, s’intensifient les recherches et initiatives pour construire des espaces politiques nouveaux, des rassemblements antilibéraux, des dynamiques politiques nouvelles. Le Quatrième Forum social européen (début mai à Athènes) aura à combattre les tentatives de relancer l’Europe de la libre concurrence, et à développer des propositions alternatives, mobilisatrices. Nombre de réseaux, dont Transform ! (constitué avec Espace Marx, la Fondation Rosa Luxemburg, la revue Socialismus d’Allemagne, Transform Italie, l’institut Nikos Poulantzas de Grèce, le Centre d’études marxistes de Suède, la Fondation d’investigation marxiste de l’état espagnol et Copernic) y travaillent aujourd’hui en reliant les forces en mouvement dans les différents pays.

L’exigence d’articuler riposte et expression politique se fait jour également à l’échelle européenne. La création du Parti de la gauche européenne (PGE) en témoigne, la coopération au sein de la Gauche anticapitaliste européenne également. La crise de la social-démocratie et sa dérive néolibérale créent une nouvelle donne. L’espace est devenu plus grand pour une nouvelle dynamique à gauche. Sans réponse adéquate, pas de possibilité de mobiliser à gauche, et le chemin serait libre pour des droites de plus en plus autoritaires, populistes. Entre potentiels et risques, la balance pencherait du mauvais côté.

Comment articuler dynamique sociale et dynamique politique, comment reconstituer une volonté politique ? Ces questions se discutent, s’expérimentent. Nous l’avons constaté lors de trois conférences européennes organisées à Paris en avril 2005, puis fin juin, juste avant les collectifs du « non », et enfin, à l’automne en collaboration avec la Gauche unitaire européenne.

Il y a dans nos sociétés une recherche intense qui s’amplifie, visant à préciser ce qu’est une politique, une posture de gauche. Ce qui fait la différence, c’est l’acceptation ou le refus du néolibéralisme. Pour l’instant, tout est en mouvement. Comme nous avons pu le constater en France ou en Allemagne, un grand nombre de militants et électeurs de la social-démocratie peuvent se situer du bon côté et tout doit être fait pour favoriser cette fluidité dans le bon sens. En Allemagne, le sentiment est monté que les classes exploitées, les exclus, les syndicats combatifs n’avaient plus de représentation politique et que, pour inverser le cours des choses, il ne suffisait pas de manifester, de sanctionner les forces gouvernementales par l’abstention à gauche, de quitter le SPD par dizaines de milliers. Il fallait passer à un autre niveau de mobilisation, investir directement le champ des rapports de force politiques, procéder à la formation d’un outil adapté au besoin de changement, non seulement de majorité mais de politique.

C’est le rassemblement de différentes composantes — militants syndicaux, anciens du SPD, nouveau parti WASG, Linkspartei-PDS, trotskistes, altermondialistes, intellectuels — qui a permis une première modification significative des rapports de force aux élections. Est venue à l’ordre du jour la création d’une force de gauche nouvelle et combative, processus qui confronte les organisations et individus à des problèmes inédits, parfois à des tensions fortes, mais que tous cherchent à surmonter tant les enjeux et attentes sont importants.

Le « non » de gauche antilibéral, en France et aux Pays Bas, l’efficacité du rassemblement de toutes les forces disponibles pour faire reculer le néolibéralisme n’a pas manqué d’encourager les forces antilibérales en Allemagne et ailleurs.

En France, après avoir su construire la dynamique nécessaire pour gagner le référendum, l’enjeu consiste maintenant à bâtir une nouvelle ambition : sortir de l’alternance, sur la base d’un rassemblement pour une politique antilibérale, pour une alternative. Aucune force politique ne possède à elle seule la solution.

Nous sommes confrontés à l’enjeu du « tous ensemble » en politique. Compte tenu de nos expériences fortes conduisant à des avancées importantes, il serait inconcevable d’en rester aux limites politiques héritées du XXe siècle, de s’en tenir, malgré des discours imprégnés de radicalité, à des options qui ne seraient en réalité que pessimistes. Face aux risques de bouleversements politiques dangereux, seule une grande ambition en matière de contenus (donc antilibéraux), de rassemblement populaire, d’efficacité politique peut conduire à une mobilisation conséquente à gauche, modifier en profondeur les rapports de force politique, faire émerger une dynamique transformatrice. La question d’un changement réel de politique est posé afin de prolonger le rassemblement antilibéral majoritaire le 29 mai en nouvelle majorité politique. Ce qui suppose un tout autre effort que la seule poursuite, même en l’améliorant, de l’activité des forces motrices d’une telle dynamique.

En ce qui concerne le PCF, le choc du 21 avril 2002 l’a confronté à l’exigence d’un bilan très critique, à un nouveau positionnement qui fonde des actes politiques visibles, comme lors de la campagne du référendum. Cette nouvelle volonté — autour du triptyque : construire la riposte à l’offensive de droite, élaborer un projet politique répondant aux attentes populaires, et réunir les forces pour développer une dynamique nouvelle de nature à bouger toute la gauche politique — est proposée par la direction au congrès de mars prochain. Certes, pas unanimement, mais de façon largement majoritaire. La constitution de candidatures communes sur cette base est conçue comme un des éléments mobilisateurs permettant de changer la donne.

Nous le constatons partout : pas de salut hors d’une pensée en terme de nouvelle dynamique politique, populaire, unitaire, citoyenne, de constructions inédites qui nous libèrent du poids du XXe siècle. C’est ce type d’innovation qui nous a permis de réussir le 29 mai, qui redonne « envie de politique » et qui peut favoriser l’irruption des peuples sur la scène politique.

P.-S.

Rouge, n° 2145, 9 février 2006.

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