Le fracas des polémiques s’est assourdi. Le Parlement part en vacances. Le Sénat reprendra le projetde loi sur la Corse lors de la prochaine session. Et il ne paraît pas très soucieux de se hâter : pas de cadeau à Jospin pour la présidentielle. Au-delà de ces tactiques électorales, la question posée à la droite et à la gauche jacobine, c’est comment traiter le dossier corse en niant la question nationale. Madelin et consorts ont une arme toute prête, faire de la Corse le modèle d’une régionalisation plus poussée pour une gestion plus libérale encore du territoire. En ce sens, pour ceux-ci, la Corse sert de laboratoire.
Jospin a cru s’en sortir en troquant le droit à l’autodétermination contre un contenu socio-économique uniquement favorable à la bourgeoisie — corse ou non. Ce bel échafaudage a subi un premier accroc à propos du démantèlement de la loi de sauvegarde du littoral. Les associations de défense du littoral, la gauche nationale et des militants nationalistes n’ont pas accepté cette vente à l’encan du patrimoine national pour le bien-être des spéculateurs de tous poils, à tel point que les instigateurs du compromis de Matignon voudraient bien trouver une formule de compromis.
D’autres domaines seront l’objet de contradictions et l’enjeu de luttes dans lesquelles les salariés seront au premier rang : le transport maritime et aérien qui doit être un service public de la collectivité, la défense d’autres services publics au service de la population, la défense de l’emploi. Et bien sûr la question de l’enseignement de la langue corse.
- Quel serait selon vous le meilleur processus pour l’autodétermination ?
Serge Vandepoorte — Ce n’est certainement pas, sur le fond comme sur la forme, le processus dit de Matignon qui pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une véritable prise en compte de l’existence du peuple corse et dans un même temps de la reconnaissance de tous ses droits. Le toilettage institutionnel opéré par Jospin ne relève pas, à notre sens, d’une recherche de solution politique susceptible de satisfaire les revendications exprimées depuis ces trente dernières années.
Un processus d’autodétermination procéderait d’abord de la reconnaissance des droits du peuple corse par les représentants de l’Etat français. Il s’agirait immédiatement de lever les obstacles politiques qui pourraient entraver cette démarche. Cela commencerait par la fermeture immédiate des bases militaires, dont les deux principales qui servent le dispositif d’intervention rapide des forces françaises en direction des pays africains : c’est le cas du camp de la Légion étrangère à Calvi et de la base aérienne de Sulinzara. Cette dernière accueille de surcroît des appareils appartenant à la force de frappe nucléaire. Le départ des nombreuses compagnies de gardes mobiles et de CRS serait tout aussi impératif. La mise en place d’une assemblée nationale provisoire, seule représentante du peuple corse, devrait logiquement compter parmi les mesures à adopter. La création d’un corps électoral corse ouvert, sur la base du volontariat, à toutes celles et tous ceux qui opteraient pour un destin commun, permettrait l’élection des délégués à l’assemblée nationale provisoire par le biais d’un scrutin à la proportionnelle intégrale.
Une fois franchie cette étape décisive, il appartiendrait à l’ensemble des Corses de se déterminer, en dehors de toute tutelle, à la fois sur la question de l’autonomie ou de l’indépendance en même temps que sur le projet de société à mettre en oeuvre. Dans cette perspective, notre mouvement pencherait pour une indépendance politique et pour un socialisme autogestionnaire et démocratique.
- Vous avez été parmi les plus engagés en soutien aux associations de défense du littoral. Quel bilan tirez-vous de cette action ?
S. Vandepoorte — En 1998, nous avons cofondé le collectif de défense de la loi Littoral. Il faut savoir que les associations de défense de l’environnement font et continuent d’abattre un travail considérable. C’est à elles et à la persévérance, voire au courage, de leurs militantes et militants que l’on doit l’annulation de centaines de permis de construire accordés par des mairiesdans des procédures entachées de magouilles en tous genres. Ces associations ont occupé un terrain totalement délaissé par la majorité des organisations de gauche et nationalistes, y compris par le seul parti écologiste lié structurellement aux Verts. En 1998, nous avons faitce constat sans savoir que, trois ans plus tard, c’est le gouvernement de la gauche plurielle qui s’attaquerait à un texte de loi qui, malgré ces imperfections, permet toutefois demener des actions contre les bétonneurs petits ou grands.
Pour l’heure, le bilan est plus que positif malgré une situation difficile. Plus de sept mille signatures sont venues en soutien d’une pétition qui exige le maintien de la loi Littoral. Le collectif a déjà organisé une manifestation dans l’extrême Sud, à Piantaredda, où des constructions pour milliardaires ou des stars ainsi qu’un golf international sont venus porter atteinte à des sites remarquables et classés. Un des enseignements que nous tirons, à chaud, c’est la volonté exprimée par des centaines de personnes qui, dans ces luttes, retrouvent les chemins de la politique avec une exigence majeure, celle de maîtriser la mobilisation et les axes défendus sur le seul terrain public. Il est d’ailleurs frappant de constater que les débats internes sont riches et constamment irrigués par des participants dont la plupart s’étaient éloignés ces dernières années d’une forme directe d’intervention. Le collectif agit maintenant aussi comme un formidable révélateur, car il oblige toutes les formations politiques à prendre des positions claires. De ce point de vue, le mouvement nationaliste n’est pas le dernier à être traversé par des contradictions jusqu’ici passablement étouffées. La question de la terre est à l’origine de la résurgence du nationalisme corse contemporain. On peut voir aujourd’hui le chemin parcouru par les uns et par les autres. À terme, cela devrait obliger toutes les organisations dites nationalistes à délivrer enfin leur projet de société.
Pour l’heure, nous continuerons à exiger le retrait de l’article 12 du texte de loi proposé par Daniel Vaillant aux parlementaires français. Cet article est précisément celui qui met à bas la loi Littoral. Nos actions ont un grand écho, nous en voulons pour preuve des contacts multiples avec des associations de défense de l’environnement qui, sur le territoire français, sentent les dangers se profiler.
Cependant la situation est difficile ; en ce sens, les récentes déclarations des responsables gouvernementaux ouvrent des brèches dans lesquelles tentent de s’engouffrer les représentantspolitiques des spéculateurs. La droite, une partie de lagauche et une fraction de nationalistes se montrent extrêmement agressifs, faisant en cela le lit de ceux qui, dans l’ombre, escomptent recycler des sommes colossales, en provenance des casinos africains notamment. Les amis de Charles Pasqua, aujourd’hui convoqués par les juges, ne sont pas les derniers à espérer la réussite du plan Jospin. C’est encore une fois à ce dernier que nous devons le renforcement d’un dogme ultralibéral selon lequel l’avenir de la Corse passerait par le tout-tourisme. Le Parti socialiste accompagne les directives européennes dans le cadre d’une nouvelle division internationale du travail et de l’économie, qui ferait du Sud de l’Europe une vaste zone condamnée à la seule industrie du tourisme.
- Dans le cadre d’une Corse responsable politiquement de son destin, comment les travailleurs peuvent-ils en être les moteurs et les principaux bénéficiaires ?
S. Vandepoorte — La lutte de libération est une mobilisation à double détente qui mêle étroitement la question nationale et la question sociale. Nous sommes totalement convaincus que seuls les travailleurs sont à même de porter le combat jusqu’à une issue positive. Parce qu’ils sont d’abord les plus nombreux au sein de notre société, parce que ce sont eux qui subissent de plein fouet la politique coloniale poursuivie par l’Etat français et enfin parce qu’ils sont les seuls à avoir une cohésion, une cohésion de classe s’entend. Encore faudrait-il que les organisations syndicales et politiques du mouvement ouvrier cessent de distiller le poison de la division. Nous avons maintenant la preuve que l’Etat français ne s’oppose en rien à l’offensive de l’ultralibéralisme, alors tenter d’opposer en permanence les revendications de classe à la question nationale relève désormais plus que d’une erreur de la part du PCF ou de la CGT, pour ne citer que ces formations. Il est clair que les travailleurs issus de l’immigration ont toute leur place dans la lutte de libération nationale, sans qu’il leur soit demandé bien sûr de laisser à la porte les éléments constitutifs de leur culture d’origine. C’est à cette tâche que notre mouvement s’est attelé tout en sachant que ni l’Etat, ni les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier français, pas plusque certains nationalistes, n’étaient enclins à laisser aux travailleurs la place qui est la leur.
- Rendre obligatoire l’enseignement de la langue corse apparaît à certains comme une mesure quasi raciste, que répondez-vous ?
S. Vandepoorte — Nous ne sommes pas sans savoir que c’est précisément dans les rangs de la gauche que surgit ce genre d’argument, y compris chez ceux qui se revendiquent encore des courants révolutionnaires. Est-ce à dire que dans un monde futur, débarrassé de toutes les formes d’exploitation, il n’y aurait plus qu’une ou quelques langues et qu’une ou quelques cultures ? Cette vision impérialiste et réductrice du monde est à notre avis totalement à l’opposé d’une conception internationaliste des luttes à venir et des changements de fond à opérer. Le bilinguisme devrait être en Corse un phénomène porteur d’enrichissement par des échanges permanents entre les cultures. Or nous ensommes loin, très loin. Notre langue se meurt peu à peu, car elle n’appartient pas à la caste des puissances économiques qui aujourd’hui tentent d’imposer leurs modèles économiques et culturels. Si nous suivions les arguments spécieux de certains, il faudrait alors demander au peuple kanak d’abandonner ses coutumes et sa langue ou aux indiens d’Amazonie de brader leurs terres tout en adoptant la langue portugaise. Nous ne renoncerons jamais à rendre l’enseignement de la langue corse obligatoire, c’est une question de survie qui va bien au-delà des pauvres arguments qui nous sont servis par les nervis de la France une et indivisible.