Société

Tremble, francité !

, par CESPEDES Vincent

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L’identité nationale est d’essence paranoïaque. Comment garder son calme.

On aurait tort de voir dans l’appel au débat sur l’identité nationale une incitation à une grand-messe fraternisante : ce genre de débat-là, tombé d’en haut et encadré par les préfets, est fait pour déchirer. Le concept même d’identité (ce qui reste toujours le même) est d’essence défensive et offensive. Conçu pour agiter mille menaces et résister aux identités adverses, il réaffirme la victoire de Parménide sur Héraclite, de l’Être absolu sur le Flux changeant. Et l’identité nationale étend cette paranoïa à la nation. Comment garder son calme ? Faut-il trouver à tout prix un consensus sous peine d’être taxés d’« antinationaux » par le front des anti-antiracistes, des déclinologues et les adeptes du « Nous » contre « Eux » ?

Problème. À l’instar de l’arabité, de l’ivoirité ou de la belgitude, la francité reste introuvable dans les souches généalogiques, les patrimoines génétiques et les pedigrees. Malgré les efforts d’un Brice Hortefeux, nul n’a réussi à ce jour à distinguer un bon Français d’un Auvergnat. Et près d’un tiers des mariages contractés en France sont mixtes, qu’ils soient « roses » (d’amour), « blancs » (truqués) ou « gris » (extorqués), cette nouvelle catégorie étant qualifiée « d’escroquerie sentimentale à but migratoire » par le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, Eric Besson.

Solutions ? S’agit-il de brandir fièrement les valeurs de la République (indivisible, laïque, démocratique et sociale, d’après la Constitution) ? De fait, les paniqués du péril multiculturaliste-communautariste mettent bien peu de zèle pour faire le grand écart entre un jeune à capuche et Sarkozy Jr. Faut-il en outre jeter en prison notre Renaud national pour avoir chanté « la Marseillaise même en reggae, ça m’a toujours fait dégueuler… et votre République, moi, j’la tringle » ?

Il y a deux mille ans, le géographe Strabon critiquait les Gaulois pour leur morgue et leur obsession de la parure. Si l’identité nationale verse inévitablement dans la caricature, laissons donc aux étrangers le soin de nous brosser le cliché ! Certains nous voient cartésiens, d’autres sensuels et rouleurs de pelles, d’autres encore, arrogants, gonflés d’un anarchisme de pacotille que contredisent des tendances foncièrement bourgeoises.

Cauchemar. L’historien Fernand Braudel démontre que l’identité de la France se nourrit historiquement de sa diversité foisonnante. Or, celle-ci a toujours été le cauchemar des administrations. Dans son abstraction militante, la phraséologie française de l’universalisme sert avant tout de paravent à un nationalisme gallocentré qui refuse de dire son nom. Mais la langue françoise ? Ailleurs, elle se dit « québécoise » ; et Aimé Césaire en exprime bien la nature polymorphe lorsqu’il parle « des francophonies » au pluriel. Et l’histoire de France ? Elle justifie ce que l’on veut, dit pertinemment Paul Valéry : « Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout, et donne des exemples de tout. »

Dès lors, si l’on boudait le débat anxiogène sur l’identité nationale pour laisser à chacun le choix de définir sa propre identité ? Le 8 décembre, quand l’Assemblée s’empêtrera à son tour, que les députés pensent bien à Nathalie Sarraute, Française juive d’origine russe : « Vu de l’intérieur, l’identité n’est rien. »