Sommet des Amériques : Obama et les « veines ouvertes de l’Amérique latine »

, par CASANOVA Monica

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Le sommet des Amériques qui s’est tenu à Trinité-et-Tobago, réunissant 34 chefs de gouvernement latino-américains membres de l’OEA (Organisation des Etats d’Amérique) avec la participation d’Obama, a été une nouvelle étape dans la redéfinition de la politique internationale des USA. Un « succès », s’accorde à dire chacun, même s’il n’en est pas sorti de texte signé par l’ensemble des participants. Obama a manifesté sa volonté de changer les relations des USA avec ses partenaires invités à refuser « le faux choix entre les paramilitaires d’extrême-droite et les insurgés d’extrême-gauche »...

Ces partenaires se sont prêtés au jeu, attitude dont la poignée de mains de Chávez à Obama a été le symbole. Symbole d’une volonté de tourner la page, d’en finir avec ce passé dont témoigne le livre que Chavez à « affectueusement » offert à Obama, « Les veines ouverts de l’Amérique latine », ou geste diplomatique de dirigeants pris entre les exigences des peuples et les contraintes du marché mondial, obligés de rechercher l’entente avec la puissance dominante ? Tout le problème est là. En finir avec le passé cruel de l’Amérique latine ne peut être que l’œuvre d’un bouleversement social profond contre les classes dominantes nationales tout autant que contre l’impérialisme libéral dont Obama est le représentant.

Certes, la politique américaine change, elle s’adapte aux nouveaux rapports de force, aux contraintes de la faillite de leur politique qui a conduit le monde dans la crise, mais elle n’a d’autre objectif que celui auquel Obama invitait les américains dans son discours prononcé à pour le 100ème jour de sa présidence : « rebâtir l’Amérique ».

Une nouvelle stratégie des USA pour une nouvelle période...

« Je suis prêt à faire que mon administration engage le dialogue avec le gouvernement cubain sur un large éventail de sujets » a affirmé d’emblée Obama, sachant qu’il s’agissait là du point d’achoppement avec l’ALBA (Alliance Bolivarienne des Amériques : Vénézuéla, Bolivie, Cuba, Nicaragua, Honduras, République dominicaine et Equateur en observateur), tout en exigeant des gestes en retour... Et surtout sans remettre en cause l’embargo, tant il est vrai qu’un Etat ne doit jamais se désavouer lui-même !

Si Obama présente ainsi un profil opposé à celui de son prédécesseur, se montrant soucieux avant tout du dialogue, c’est parce que la situation a changé.

Le leadership des Etats-Unis est remis en cause alors qu’aucune autre puissance, ni l’Europe, ni la Chine, ne peut le remplacer.

Embourbés dans des guerres sans fin en Irak et en Afghanistan, ils n’ont pu faire face à l’émergence de mouvements populaires qui ont porté au pouvoir des régimes indépendants de leur tutelle comme celui de Chávez en 1998, ou de Morales en 2005.

Le rapport entre les USA et les gouvernements d’Amérique latine s’en est trouvé modifié : lors de ce sommet, Chávez, mais aussi le président de l’Equateur Correa ont critiqué le FMI et la dette. Ortega, le président du Nicaragua, a exigé la fin de l’embargo à Cuba.

Les USA sont d’autant plus affaiblis que la crise du système capitaliste qui les touche eux-mêmes de plein fouet est la pire depuis 1930, la consommation étant au plus bas dans les pays développés, les licenciements se multipliant par milliers.

Ils ont plus que jamais besoin de s’ouvrir de nouveaux marchés pour s’approvisionner en matières premières, vendre leurs produits. La politique d’Obama exprime les besoins économiques des multinationales américaines, trouver des débouchés, des marchés et pour cela rétablir des relations de confiance avec les Etats des pays dominés. En se démarquant de la politique agressive de son prédécesseur. Il a besoin d’alliés populaires dans la région, des alliés influents sur les masses pour mieux en obtenir ce qu’il ne peut plus avoir par la contrainte de régimes ultralibéraux qui, depuis les années 80, ont détruit toute démocratie, fait table rase des services publics, totalement livré le travail des peuples aux appétits des multinationales.

Cette nouvelle donne montre les faiblesses de l’impérialisme, mais aussi les limites de sa contestation par des régimes dont les plus radicaux n’envisagent pas d’exproprier politiquement et économiquement la bourgeoisie en s’appuyant sur les travailleurs et les pauvres.

...avec de nouveaux partenaires latino-américains

Aujourd’hui, le Brésil de Lula, bras droit d’Obama dans la région comme il l’a été sous Bush, est aussi conciliant avec Obama que les régimes de l’ALBA.

Car ces régimes, nés à la faveur de luttes et de l’affaiblissement du leadership américain, pour instaurer un ordre plus social, mais sans remettre en cause la domination capitaliste, sont aujourd’hui acculés à se réconcilier avec les USA et leurs amis comme Uribe. Juste avant le sommet, Chávez a rencontré Uribe et affirmé son soutien à son gouvernement qui « trace le chemin de la paix » !

Parallèlement, c’est aux populations de payer la crise. Les mesures anti-crise prises par Chávez le 21 mars dernier entérinent une hausse des prix et de l’inflation (de 9 à 12 %) qui anéantit toute hausse de salaire. Le régime a menacé de l’intervention de l’armée les travailleurs du métro qui voulaient se mettre en grève pour des embauches. L’assassinat par des sbires de Mitsubishi de 4 syndicalistes militants de l’USI, courant révolutionnaire, demeure impuni. 28 militants viennent d’être exclus du PSUV, le parti de Chávez, car trop radicaux...

Le bonapartisme populiste de Chavez, cherchant à s’imposer en jouant des contradictions entre le peuple, la bourgeoisie nationale et l’impérialisme, aura bien du mal à résister aux pressions de la crise. C’est bien d’ailleurs de ces pressions dont joue Obama qui sait que si les USA ont besoin des marchés sud-américains, les classes dominantes sud-américaines ont besoin du marché américain...

Pour l’indépendance des classes travailleuses

Certes, en même temps, les gouvernements de l’ALBA qui s’appuient sur les peuples pour défendre leur l’indépendance nationale contre le pillage impérialiste ont émis leurs réserves en rappelant leur soutien au seul exclu du sommet, Cuba. Ils ont refusé de signer la déclaration finale. Mais ces résistances ne font pas une politique à même de s’opposer à la pression américaine.

L’embargo se poursuivra au nom du manque de liberté à Cuba, malgré même les intérêts des USA, car le gouvernement de la principale puissance impérialiste ne peut se dédire. Et l’ami des USA, Uribe, dont le gouvernement assassine des milliers de militants par an (44 dirigeants ouvriers ces 15 derniers mois), dont les paramilitaires ont spolié et fait déplacer 3 millions de paysans, pourra toujours, lui, parler de liberté !

Ces mêmes dirigeants de l’ALBA qui ont défendu la fin de l’embargo à Cuba, acculés à la situation de crise mondiale, au lieu d’exiger le non paiement de la dette, la rupture avec le FMI, ont applaudi Obama et parlé de « sommet presque parfait » (Chávez).

Le « socialisme du XXIe siècle » dont celui-ci se targue avec Morales ou Correa, ne pourra se construire dans le cadre imposé par cet impérialisme libéral qui perpétue l’embargo sur Cuba au nom de la raison d’Etat, pour ne pas céder, qui impose la crise aux peuples et prépare de nouvelles guerres en s’appuyant sur les régimes sanglants comme celui d’Uribe. La politique proposée par Obama est un jeu de dupes qui ne peut déboucher que sur des désillusions, de cruelles déceptions, une misère toujours plus grande pour les masses populaires.

Les acquis qui ont pu être obtenus par les accords de l’ALBA dans le domaine de l’éducation ou de la santé l’ont été sous la pression de la mobilisation constante des peuples d’Amérique latine.

Car l’issue ne peut venir que des peuples. Ce sont eux que les dirigeants comme Uribe craignent, lui qui a demandé aux USA des aides face au danger « d’anarchie et de violence » sociale.

Aujourd’hui, des manifestations et grèves se multiplient : des milliers le 16 avril au Chili, du public et du privé, contre les licenciements, sous le mot d’ordre « ce n’est pas aux travailleurs de payer la crise ». Oui, quelque soit le régime en place, ce n’est pas aux travailleurs et aux peuples de payer leur crise. Les marchandages diplomatiques et économiques des classes dirigeantes ne pourront empêcher cette idée de faire son chemin, de s’emparer des consciences pour que se rassemblent autour d’elle les millions de femmes et d’hommes animés de l’impérieux besoin de se réapproprier les richesses qu’ils produisent et qu’ils ont produits pour enfin liquider le passé des veines ouvertes de l’Amérique latine...

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