Les membres du Conseil constitutionnel se sont acquittés de leur tâche. Le texte peu ambitieux du gouvernement s’en est trouvé réduit à des mesures fiscales et à la mise en place d’un plan exceptionnel d’investissement (PEI) destiné à « combler les retards (sic) de la Corse en matière d’infrastructure et de développement » (Daniel Vaillant). Quant à l’enseignement de la langue corse, on s’en tiendra aux mesures prises par Balladur en son temps. L’assemblée de Corse ne pourra pas légiférer et aucune compétence en matière d’adaptation des textes en vigueur ne lui est accordée. Le projet de loi concocté par Jospin n’aura pas résisté à la Moulinette des parlementaires, pas plus qu’il n’aura été épargné par les man oeuvres préélectorales de Chirac et de ses amis. Il est vrai que le clan des nationalistes et autres souverainistes a exercé une pression constante, opposant une timide réforme aux intérêts, dits fondamentaux, de cette République « une et indivisible » dont ils n’ont de cesse de se réclamer.
Dans le camp de la gauche plurielle, des voix se sont élevées afin de ramener Jospin à un texte jugé plus conforme aux intérêts de la France, mais aussi aux intérêts des Corses (selon le PCF). A aucun moment l’idée de consulter le peuple corse n’a été émise. Il est donc assez curieux d’entendre des députés se prévaloir de la défense de femmes et d’hommes dont ni la langue ni la culture, sans parler des droits nationaux, ne sont reconnues. Cette protection toute paternaliste fleure trop les vieux relents coloniaux pour que nous puissions accorder un quelconque crédit aux âmes soudain si sensibles. Ames qui ne bronchèrent pas lorsque la Direction nationale antiterroriste et les juges de la quatorzième section se livraient à des centaines d’arrestations et perquisitions.
En voulant neutraliser les enjeux, Jospin a ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés le ban et l’arrière-ban de tous les démagogues qui ont utilisé le débat sur la Corse pour en faire des surenchères politiciennes destinées à miner le terrain de la présidentielle. Nous regretterons que dans cette période les mouvements « à la gauche de la gauche » n’aient pas donné de la voix, laissant au passage l’ex-candidat des Verts se faire lapider pour n’avoir qu’esquissé une ébauche de solution politique.
Il faudra se souvenir de tout cela dès les prochaines convulsions car, faute de trouver des solutions qui lui soient propres, la société corse, minée par une situation sociale voisine de la catastrophe, sera difficilement en mesure de se mobiliser pour mettre en échec les pires des tentations. De tous côtés, les indicateurs sont dans le rouge. La pègre a profité des derniers mois et d’une latitude totale pour régler ses comptes en assassinant des dizaines de personnes. Son pouvoir financier s’est considérablement étendu et son rôle dans une économie insulaire quasi exsangue est aujourd’hui de notoriété publique. Parallèlement, le chômage et la précarité gagnent du terrain en touchant particulièrement la jeunesse. Dans ce décor s’accumulent les fléaux d’autres violences, viols, agressions racistes, violences familiales, suicides et toutes les autres formes de déliquescence propres aux sociétés malades. A contrario des assertions du nationaliste Chevènement, régulièrement en charge de responsabilités tout au long des deux décennies passées, l’Etat français n’a pas servi de digue contre les assauts du capitalisme, pas plus que cette République magnifiée par ses soins. Les pratiques coloniales des gouvernements ont accentué les maux en paralysant toute une société. Cette globalisation libérale n’a donc pas épargné la Corse. Comme si cela ne suffisait pas, Jospin et les instances européennes ont décidé que le tout-tourisme devait s’imposer comme seul axe de développement. L’avènement d’un futur président et les perspectives d’une nouvelle législature ne sont donc pas vraiment choses faites pour nous rassurer.
S. Vandepoorte, membre de l’exécutif du mouvement A Manca naziunale.