À propos des grandes manoeuvres initiées en Corse par le gouvernement, de quoi parle-t-on ? De textes de loi déjà adoptés par le Parlement français... Il n’est en effet pas possible de modifier, par voie référendaire locale, tout ou partie des lois votées, sauf si la loi le prévoyait elle-même dans des cas précisément circonscrits. S’il avait donc été question de faire décider, a priori, les électeurs inscrits en Corse (faute d’une reconnaissance des droits du peuple corse), il aurait fallu modifier à cet effet la Constitution et soumettre au vote la question du pouvoir législatif.
Les électeurs de Corse seront donc consultés, « pour avis sur les orientations proposées » par le Parlement français, concernant l’organisation institutionnelle de l’île. Il leur faudra répondre par « oui » ou par « non », en bloc, aux problèmes soulevés dans un texte d’orientation de trois pages. Après quoi le Parlement traduira ces orientations en texte de loi. Le projet vise à ne garder qu’une seule collectivité territoriale, les départements actuels étant transformés en conseils territoriaux administratifs, placés sous l’égide de la collectivité territoriale et administrés par les élus des ex-départements à l’Assemblée régionale.
Le nombre des conseillers, les prérogatives de chacune des structures, tout est prévu. À prendre ou à laisser... On est bien dans « le cadre de la République », il n’est pas question de définir un corps électoral spécifique, il n’existe pas de possibilités d’amender le projet. Cerise sur le gâteau, seuls les partis ayant au moins trois élus dans les conseils généraux actuels, au Parlement ou à l’assemblée territoriale pourront bénéficier des moyens de la campagne consultative (panneaux et médias). Le 6 juillet prochain, les électeurs ne seront donc invités qu’à plébisciter Sarkozy et à conforter sa politique qualifiée, par A Manca naziunale, de « contournement de la question nationale ». L’objectif était déjà celui de Jospin.
Pas gagné d’avance
A Manca naziunale, qui est prête à prendre en compte toute avancée institutionnelle, même minime, refuse de cautionner cette parodie, qui vise à enchaîner le peuple corse, à le museler, en tentant de trouver sur place des complices. Il n’est pas davantage question pour elle de s’aligner sur tout ce que la Corse compte de réactionnaires, du Front national aux clanistes qui, ne pouvant se recycler dans les nouvelles institutions, font déjà campagne pour le « non ». Le peuple corse ne gagnera rien en allant voter un tel texte en l’état.
Du côté du nationalisme corse, les élus de Corsica Nazione et le mouvement Indipendenza se sont prononcés pour un « oui » nuancé. Cela ne va pas sans risques, face à une base encore peu encline à se satisfaire d’une autonomie très limitée. Cette base, pour partie, est déjà amplement gagnée à l’idée d’une assemblé nationale provisoire et elle s’est déjà engagée pratiquement sur ce chemin. Les emprisonnés et leurs familles qui, faute d’une amnistie, escomptaient au moins des mesures d’assouplissement, ne semblent pas se satisfaire d’un statu quo.
Ce dossier épineux engage la crédibilité des élus de Corsica Nazione. Ces derniers ont maintes fois rencontré les plus hauts responsables de l’Etat français. Tout ce qui apparaîtra comme un échec leur sera imputable. Qu’en sera-t-il, enfin, de la clandestinité ? Rien ne peut garantir qu’elle puisse suivre ses directions présumées. Dès aujourd’hui, le mouvement clandestin se trouve scissionné sur la question. Un « nouveau FLNC » refuse que la Corse ait « pour ambition de disparaître dans le moule de la décentralisation » et se réclame des orientations d’origine du mouvement.
Quant aux autonomistes du Partitu di a nazione corsa, formation d’essence libérale, ils trouvent leur compte dans le projet gouvernemental, tant au niveau des dispositions institutionnelles qu’à celui de mesures économiques et fiscales intéressant, au plus haut point, toutes les droites, nationales ou non.
Le 6 juillet constituera une étape importante pour Nicolas Sarkozy. Au sein de sa formation, comme au sein du gouvernement, certains ne répugneraient pas à le voir trébucher sur le « dossier corse ». Ils verraient même d’un bon oeil que ce dernier devienne un abcès de fixation, sans le moindre égard pour ce pays et les gens qui y vivent. C’est dans ce contexte que seront organisées des élections dites territoriales à l’horizon de mars 2004.
Le nouveau statut fait passer de cinquante à quatre-vingt le nombre des conseillers territoriaux, élus sur la base de listes où la parité sera exigée. Une perspective vécue comme un drame par les caciques, plus de la moitié d’entre eux sachant qu’ils ne retrouveront pas leurs mandats. Seules les listes ayant atteint au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour seront admises au second, alors que la barre éliminatoire était jusqu’alors fixée à 5 %. Sarkozy veut obliger les « grandes » formations à s’unir, mais sans doute espère-t-il aussi aboutir à la normalisation du mouvement national, ses diverses directions se voyant contraintes à l’alliance.
Ultra-libéralisme et tout-tourisme
Pour l’heure, les gagnants sont les milieux dits corsistes. Parmi ceux qui les animent, d’aucuns sont à la tête de fortunes captées sous d’autres cieux (en Afrique par exemple, grâce aux casinos, aux courses hippiques ou à la sécurité des exploitations pétrolières), lorsqu’ils ne sont pas suspectés par les juges du pôle financier d’avoir accumulé des capitaux par des moyens paralégaux. Ceux-là sont en quête de légitimité et ils escomptent bien devenir incontournables. Les milliards du plan exceptionnel d’investissement (PEI, créé par Lionel Jospin afin de combler « les retards structurels » de l’île), dont disposera la prochaine majorité à l’assemblée de Corse, comptent pour beaucoup dans les manoeuvres de l’heure.
Rien de tout cela ne fait apparaître une solution politique. Le danger est donc réel de voir la question nationale liquidée sous le double auspice d’un Etat fer de lance de l’ultralibéralisme et d’une classe politique corse majoritairement disposée à imposer le tout-tourisme comme vecteur de développement. Tant que perdurera un sentiment national, la Corse ne sera pas « pacifiée ». L’avenir dépendra des forces vives du pays, de sa jeunesse et du monde du travail. Le droit à l’autodétermination n’est pas soluble dans les toilettages institutionnels et il demeure la seule revendication qui permette de lier émancipation nationale et libération sociale.
Tout autre chemin ne conduit qu’à l’impasse.
- Des Corses discutent, le 4 juillet 2003 sur une placette d’Ajaccio, devant les panneaux électoraux présentant les affiches de campagne pour le référendum régional portant sur le nouveau statut de l’île. (-)
- © « Référendum : le précédent corse », DNA (Dernières Nouvelles d’Alsace), 23 décembre 2012.
Le choix de la gauche nationale
Le IIIe Congrès de U Muvimentu di a Manca naziunale s’est tenu au mois d’avril dernier. Ce mouvement fait désormais partie de la vie politique corse. Et il entend bien continuer à y défendre une alternative radicale aux clans, autant qu’à des directions nationalistes sensibles aux sirènes du libéralisme.
Le dernier congrès d’A Manca naziunale avait à discuter d’une motion d’orientation générale définissant plus précisément les contours d’un projet politique basé sur « l’édification d’une société débarrassée de toutes les formes d’exploitation ». Adopté à une forte majorité, ce texte affirme que « la pertinence d’une lutte basée sur un socle patriotique et anticapitaliste trouve donc toute sa justification, à l’heure où précisément se développe un mouvement international de résistance et se dessine une alternative au modèle dominant ». Les dangers qui planent sont bien réels et c’est à juste titre que les militants et militantes ont tenu à les identifier en précisant par ailleurs : « La société corse, mélange de structures archaïques qui servirent à la fois de lieux et moyens de résistance, est en voie d’implosion. Minée par une crise sociale où se côtoient la misère sociale et toutes les formes de déshérence, cette société est en passe de se dissoudre dans l’océan de la globalisation capitaliste. »
Les questions de l’heure ont également fait l’objet d’une prise de position sans ambiguïté et c’est ainsi que le congrès a affirmé que « dès l’amorce du processus dit de Matignon, A Manca naziunale a fait savoir qu’elle était favorable à l’acquisition de nouveaux pouvoirs et de nouvelles compétences au niveau de l’institution régionale. S’il s’agissait, bien entendu, d’une étape en vue de l’application du droit à l’autodétermination et non pas d’un bricolage institutionnel. Mais en lieu et place, c’est à une entreprise de détournement que la Corse est aujourd’hui confrontée ».
Les discussions ont également porté sur les questions sociales et un appel a été lancé à l’ensemble du monde du travail, dans le but de défendre le service public socialement utile et d’organiser une contre-offensive d’ampleur, y compris sur les retraites. Les travaux conduisirent à examiner une motion portant sur les prochaines consultations électorales à venir. Adoptée à une courte majorité, elle fit l’objet de débats de fond. Les opposants à ce texte ont tenu à affirmer qu’il n’était plus possible d’envisager des alliances avec des forces incarnant un « nationalisme de compromission ».
Cette motion devra, dans les mois à venir, être mise à l’épreuve. Elle indique : « Considérant l’agression toujours plus violente contre notre peuple ; considérant le pillage dont est l’objet notre pays ; considérant la situation d’extrême faiblesse dans laquelle se trouve notre culture ; considérant la diversité politique, désormais réelle et publique, de ceux qui se réclament de l’idée nationale ; considérant la place incontournable qui est celle de A Manca naziunale dans le processus de libération nationale ; considérant les attentes et les espoirs de notre peuple dans une démarche cohérente et publique de l’ensemble des forces nationales et patriotiques : A Manca naziunale propose à tous les patriotes, à tous les nationalistes, à tous les Corses souhaitant faire accéder notre pays et son peuple au rang des nations souveraines, de participer de manière libre et équitable à une liste unique lors des territoriales de 2004. Cette liste devra respecter les choix politiques de chacune des parties. Chacune des parties pourra développer, pendant la campagne, les choix de société qui sont les siens dans le respect d’une démarche d’union. Les élus de cette liste d’union seront libres d’affirmer et de proposer, à la collectivité territoriale de Corse et ailleurs, les choix politiques et de société qui sont les leurs. »
La base du mouvement national sera-t-elle sensible à cette interpellation ? La question est posée.
S. V.