Dniepropetrovsk, 20 septembre 1998. La septième année d’indépendance de l’Ukraine, fêtée le 24 août dernier, a été marquée par l’accomplissement, dans « la voie de l’édification du capitalisme », de la destruction complète de tous les acquis soviétiques, ce qui a mené 80 % des citoyens jusqu’aux limites de la misère morale et matérielle. Le pouvoir en Ukraine, comme dans les autres républiques de la CEI, s’est transformé en une corporation criminelle afin de correspondre aux standards mondiaux de l’économie de marché. Cette corporation regroupe l’appareil d’État ainsi que le grand capital sous toutes ses formes et le business criminel. C’est une véritable tumeur maligne qui se développe sur le corps de la société avec un seul but : faire des bénéfices à n’importe quel prix.
La septième année d’indépendance à atteint un record pour le non-paiement par l’État des pensions, des allocations et des salaires. Bien que misérables ils ne sont plus versés depuis 2-3 mois. Un tel état de fait dure au minimum depuis trois ans.
Une question demeure malgré toutes les lois établies par le pouvoir en Ukraine et dans la CEI depuis non pas les sept mais bien les dix dernières années : quand donc l’État, les ministères ou les entreprises vont-ils payer et qui indexera leur dû sur l’augmentation du coût de la vie de 300 % pour les 3 dernières années ?
En effet la perestroïka ne s’est pas terminée en août 1991 mais, si l’on juge rigoureusement, fin 1988-début 1989 ! Il y eut un vide politique, un affrontement entre le sommet et la base mais si l’on s’en tient aux résultats des années 1991-1993, aucun résultat social positif.
Ainsi donc, « le développement de l’économie de marché » en CEI a entraîné une crise profonde à l’origine de changements qualitatifs.
Reprenons le cas particulier de l’Ukraine. Depuis le 25 août, en liaison avec la hausse du cours du dollar US, les prix ont augmenté : d’abord sur les diverses variétés de boissons alcoolisées, les cigarettes et l’essence, puis deux semaines après, sur tous les produits alimentaires importés. Le cours du dollar était de 1 $ pour 2-2,2 hrivna (la monnaie nationale ukrainienne). Fin septembre il devait connaître des fluctuations : 1 $ pour 3,6-4 hrivna. Les prix ont grimpé de 40 % sur presque tous les produits alimentaires, de 30 % sur les vêtements et les chaussures, de 20-25 % sur les articles ménagers et industriels. L’État a réussi à hausser de 100 % le prix de l’essence et à infliger à tous les producteurs de boissons alcoolisées un impôt indirect complémentaire pour financer les salaires et l’entretien des tchinovniks (bureaucrates).
Une seule chose est claire actuellement : que le cours du dollar retombe à son point de départ de 1 $ pour 2 Nrivna ou qu’il monte progressivement : les prix ne baisseront pas. Seuls les salaires, les pensions et les versements sociaux de l’État n’ont pas bougé. Comment peut-on d’ailleurs définir un salaire moyen si un travailleur sur trois ou quatre n’est pas déclaré et travaille pratiquement de façon illégale. On ne peut non plus établir le pourcentage des chômeurs, l’État ne comptant que ceux qui se sont adressés à un service d’emploi et ont essuyé un refus. Les autres ne perçoivent pas d’allocation de chômage. Il est donc naturel que 60 % des citoyens ne payent ni le loyer, ni le gaz, ni l’électricité, ni les autres services.
Les sommes dues par l’État en salaires, pensions et allocations dépassent de 3-4 fois l’ensemble des dettes de loyer des citoyens mais l’État se refuse à annuler celles-ci et au contraire menace d’en majorer le pourcentage. La pension minimale en Ukraine est de 37 hrivna : fin septembre 1998 cela ne dépassait pas 10 $ US. La pension moyenne est de 60-70 hrivna et la pension élevée de 100-120 hrivna. Le salaire minimum est de 70 hrivna, le salaire moyen entre 180 et 200 hrivna et un salaire de 300 hrivna est considéré comme élevé. Cependant pour une famille de deux personnes 300 hrivna par mois ne couvrent que les produits alimentaires et les petites dépenses (transports, articles ménagers).
Les revenus des directeurs, des businessmen et des banquiers, de même que les salaires des tchinovniks de rang moyen et supérieur demeurent des secrets commerciaux et étatiques et défient toutes les normes et toutes les lois.
En février 1998, le Soviet suprême d’Ukraine a fixé le salaire des députés à 700 hrivna (soit 10 fois le salaire minimum) et leur pension à 570 hrivna. Ainsi siéger 4 ans dans un fauteuil de député peut rapporter chaque mois un cadeau de la part de l’État équivalant à 10 pensions moyennes.
Le 29 mars 1998 se sont déroulées les élections au Soviet Suprême d’Ukraine et aux Soviets des différents niveaux — région, ville, quartier. Les suites de ces élections se firent voir très rapidement : elles n’apportèrent rien de positif aux citoyens.
Le personnage politique le plus en vue de ces élections était l’ex-premier ministre de Leonid Koutchma, Pavel Lazarenko. Il avait été limogé par un décret de L. Koutchma et accusé de corruption, de détournement du budget de l’état et des grandes ressources financières au bénéfice de la compagnie Systèmes énergétiques unifiés d’Ukraine (l’interlocuteur privilégié de la compagnie russe Gazprom). En tant que premier ministre, P. Lazarenko avait vidé les budgets urbains et les avait transférés dans le complexe agro-industrlel. Aux postes d’administrateurs principaux dans la majorité des régions d’Ukraine il avait fait nommer responsables agricoles les anciens de la nomenklatura du PCUS. C’est ainsi qu’apparurent en Ukraine de gros propriétaires dans l’agriculture. Une grande partie en avait été privatisée depuis longtemps. Un parti agrarien était apparu (regroupant les gros propriétaires des moyens de production et du sol) ainsi qu’un réseau de banques agricoles. Il s’agissalt véritablement d’un processus criminel se déroulant en dehors de toute loi. D’après les lois ukrainiennes les kolkhozes et les sovkhozes sont toujours là et la propriété du sol appartient toujours à l’État avec vente interdite. Les bases matérielles de l’agriculture ne furent pas renouvelées sous Brejnev et demeurent sous la dépendance des ressources laissées en héritage par l’URSS. La situation des villageois est bien pire que celle des habitants des villes.
En ce qui concerne les récentes élections on peut les caractériser ainsi :
- le conflit entre le président L. Koutchma et l’opposition des « défenseurs du peuple » en la personne du Soviet Suprême d’Ukraine sortant n’était qu’une farce pré-électorale de la part des partis, mouvements et personnalités qui s’efforçaient de remplir à leur usage le nouveau Parlement ;
- il n’existe aucune opposition de gauche ou de droite au président ni aux structures de son pouvoir. Il n’y a qu’une lutte des clans financiers et industriels pour le partage du pouvoir. Tous les partis et groupements du parlement ne sont que des partis du pouvoir. Ils ne sont que des fragments de l’état et du gouvernement ;
- les députés et les élus au niveau du quartier, de la ville et de la région représentent une partie de l’appareil des tchinovniks, supports de l’activité de l’administration étatique.
Trois mois avant les élections du 29 mars, dans toutes les régions de l’Ukraine a été constitué le parti Hromada (Ensemble) avec à sa tête Pavlo Lazarenko. Ce parti représente la direction politique de l’un des plus puissants clans des possesseurs de terre, d’entreprises d’alimentation, de matériel agricole et de capital financier, sans oublier la nomenklatura économique et administrative du PCUS.
Pendant la campagne électorale le parti Hromada s’est présenté comme un « Conseil des ministres oppositionnel » dirigeant la lutte contre l’emprise du capital étranger sur le pays. Pour mener sa campagne Hromada a dépensé, selon les données de la presse, environ 100 millions de dollars US, principalement en corruption, pots-de-vin et achat de places au parlement. Tous les autres partis réunis ont dépensé environ 50 millions de dollars. En dépit de ce financement gigantesque, Hromada n’a reçu les voix que de 8-10% de tous les participants au vote.
À la suite de Hromada se profila le Bloc des partis socialiste et paysan, financé par le parti agrarien et, séparément, le PC d’Ukraine (KPU), lui, sous les auspices de Hromada.
L’ensemble de ce pseudo-bloc socialiste-communiste-paysan a rassemblé environ 30 % des voix. Sur 90 places à pourvoir au parlement sur liste de candidats de partis [1] les socialistes-communistes en vendirent 40 en bloc aux représentants de Hromada, dont celles de P. Lazarenko, de banquiers, de directeurs et de riches agrariens. C’est un fait que dans les régions industriellement développées de l’Ukraine pas un seul candidat du PC ou du PS n’a gagné dans aucune circonscription. Telle est leur popularité personnelle.
Les élections à peine terminées, il ne restait plus trace de l’activité publique des partis politiques. Demeurait sur le papier le programme du Conseil des ministres oppositionnel : « Cent semaines pour une vie digne ».
Pendant le semestre de son existence le nouveau parlement qui s’était défini « le seul défenseur du peuple » face au pouvoir anti-populaire du Président, ne manifesta aucune apparence d’activité.
Fin septembre il était déjà évident que la crise s’aggravait à grande allure, cependant au sein des sommets politiques de l’élite ukrainienne c’était l’accord parfait. Pas un seul député, pas un seul parti ou groupement ne s’est efforcé de prendre la défense des citoyens. La majorité de ceux qui constituent l’élite ont de profondes racines dans le passé, dans les organes nomenklaturistes du PCUS. Avec leurs clans familiaux ils ont volé le présent et maintenant ils s’efforcent de voler à des millions d’hommes leur futur.
L’existence de la CEI à la place de l’ancienne URSS, avec ses monstres étatiques dégénérés, a complètement démoli toutes les théories pseudo-démocratiques et pseudo-socialistes sur le capitalisme populaire, la régulation étatique des prix dans l’intérêt du consommateur, les entreprises de propriété collective des producteurs, l’existence de secteurs entiers de l’industrie en autogestion sur la base du marché. La réalité a très vite détruit le mythe des chefs patriotes dont le but dans la vie serait de se soucier du bien-être des travailleurs et de faire revivre le PCUS qui en un an rétablira l’URSS et tout ce qui existait avant 1985.
Et quelle est l’issue dont il faut rechercher non pas l’achèvement mais le commencement ?!
Le commencement il est seulement dans la lutte de ces mêmes millions d’hommes et de femmes que l’on vole au nom du « communisme soviétique » tout en le reniant chaque jour. L’essence du marxisme consiste à faire renaître des forces capables de lutter et de se développer. Non pas pour intensifier la misère des citoyens et renforcer le pouvoir de l’oligarchie mais pour libérer des millions d’hommes de la misère morale, physique et sociale. Alors pourra être emprunté le chemin vers la victoire lorsque des millions de citoyens, encouragés par une meilleure situation sociale, sauront pour quoi et contre qui ils mènent la lutte.