Avec plus de cinq millions et demi de votes « non » à la révocation de Chavez, le processus révolutionnaire en cours au Venezuela vient de remporter une huitième victoire électorale. Pas n’importe laquelle puisque Chavez obtient pas loin de deux millions de votes supplémentaires que lors de son élection à la présidence de la République en 2000. En montrant au monde entier l’ampleur de son soutien populaire, l’expérience vénézuélienne entame une nouvelle phase politique non dénuée de débats fondamentaux pour son avenir.
Malgré l’opposition acharnée des médias privés qui relaient continuellement une propagande pro-impérialiste dans laquelle ne manquent ni les accusations racistes, ni les appels à une intervention étrangère, ni même les appels au meurtre de Chavez, la « révolution bolivarienne » obtient son plus grand succès électoral depuis la première élection de Chavez en 1998. Plusieurs facteurs expliquent cette victoire : l’accélération de réformes cruellement absentes depuis 4 ans, la crainte d’un retour au pouvoir d’une opposition ouvertement néolibérale et pro-impérialiste, enfin la progression de l’organisation et de l’auto-organisation populaire.
Des réformes tout d’abord. En accélérant la politisation des couches les plus défavorisées de la population vénézuélienne, le gouvernement Chavez a aussi développé son niveau d’exigence politique. Or, depuis 1999, hormis la réforme qui a permis que naisse la nouvelle Constitution, les Vénézuéliens commençaient à douter des capacités de réformes du gouvernement. En reprenant le contrôle de l’industrie pétrolière au lendemain de l’échec du lock-out insurrectionnel qui paralysa le pays de décembre 2002 à février 2003, le gouvernement a vu ses marges de manœuvre budgétaires croître et les a mises à profit pour développer de nombreuses missions sociales : un million de personnes alphabétisées, le développement d’une médecine familiale avec le soutien de milliers de médecins cubains qui ont ouvert des dispensaires gratuits dans tout le pays, l’ouverture de trois nouvelles universités et des nouvelles bourses permettant le retour dans le système éducatif de milliers de Vénézuéliens pauvres, le développement de milliers de coopératives productives...
Par ailleurs, en votant « non » à la révocation de Chavez la majorité du peuple vénézuélien a surtout dit non à un retour au passé, marqué par le développement d’un régime corrompu et clientéliste, ouvertement aligné sur les intérêts des États-Unis, un non à l’opposition qui a méthodiquement sapé le travail de son gouvernement. D’abord par l’organisation du coup d’État d’avril 2002, ensuite en bloquant l’industrie pétrolière, principale ressource du Venezuela entre décembre 2002 et janvier 2003, enfin en organisant l’assassinat méthodique des leaders paysans mettant en œuvre la réforme agraire décidée en 2001. A chaque épreuve, les masses vénézuéliennes ont été actrices du renforcement de la position du gouvernement.
En avril 2002, des centaines de milliers de partisans de Chavez, au mépris des risques, ont encerclé les principales casernes du pays ainsi que le Palais présidentiel, obligeant l’état-major de l’armée à réclamer le retour du président constitutionnel du Venezuela. Lors du lock-out pétrolier de l’hiver 2002-2003, la résistance de la population a permis que l’épreuve de force se termine par la reprise en main de l’industrie pétrolière avec le soutien de l’armée et de la majorité des travailleurs de l’industrie. Et chaque épreuve de force est ponctuée de gigantesques manifestations de soutien à la « révolution bolivarienne ».
La victoire lors du référendum ouvre une nouvelle phase pour ce processus politique, phase dans laquelle est posé le rapport entre la population organisée, les partis politiques et le gouvernement. À l’occasion de la « bataille électorale » du 15 août est apparue une défiance grandissante entre la base sociale du régime Chavez et les partis politiques censés en être les corps intermédiaires. À tel point que Chavez a dû mettre à la retraite le commando Ayacucho (organisme rassemblant les différents partis politiques), accusé par la base d’avoir échoué à sa mission d’empêcher que l’opposition ne récolte les signatures déclenchant le référendum révocatoire. De fait, le reproche qui est fait aux partis politiques est qu’ils défendent avant tout leurs intérêts en termes d’espaces de pouvoir plutôt que de chercher à se lier au peuple qui ne les attend plus pour s’organiser. La nouvelle structure politique censée centraliser l’activité des partisans de la « révolution », le commando Maisanta, a donc intégré à sa direction des personnalités non identifiées aux partis politiques et généralement plus « à gauche » que les partis au pouvoir, et, à la base, a donné la priorité aux leaders « de quartier » distingués par la population pour leur activité sociale ou leur capacité de lutte en défense des intérêts des communautés les plus pauvres. De ce fait, les bases organisées ont assumé une place plus grande qu’auparavant dans la bataille électorale du 15 août, en allant chercher un à un les votants en faveur du « non » dans les coins les plus reculés du pays. Ils ne comptent plus laisser cette place aux partis de plus en plus accusés d’être des freins au développement et à la radicalisation de la « révolution » et de ne pas accompagner et relayer les aspirations populaires. Une nouvelle organisation politique apparaît de plus en plus nécessaire, malgré le refus de Chavez de s’engager dans cette voie.
De nombreuses protestations existent, au sein du bloc majoritaire, contre les candidats désignés aux prochaines élections régionales du 31 octobre. Protestations auxquelles s’ajoutent les querelles entre partis du bloc au pouvoir qui risquent de permettre à l’opposition de gagner certaines régions.
Dans ce nouveau débat, les camarades de OIR (Opcion de Izquierda Revolucionaria), regroupement marxiste-révolutionnaire, réclament, avec d’autres, l’organisation d’élections primaires pour désigner les candidats ayant le meilleur soutien de la base sociale de la révolution. Chavez a répondu à cette aspiration par un non catégorique qui n’a pas manqué de faire réagir de nombreux leaders de quartier. Même s’il est à prévoir qu’à l’occasion de ces élections chacun comprendra l’intérêt de ne pas diviser le bloc majoritaire, le rôle nouveau que compte jouer la base organisée est incontestablement le fait le plus intéressant de cette « révolution dans la révolution » comme l’appellent dorénavant les partisans de la « révolution bolivarienne ».