Retraites, nos propositions

, par DURAND Maxime

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Les agressions du Medef contre la retraite à 60 ans ont inévitablement débouché sur un débat d’ensemble : court terme-long terme, privé-public, financements, démographie, espérance de vie. Les 21 heures de négociation, le 10 février, entre patronat et syndicats ont ainsi accouché d’une véritable plate-forme politique libérale, mettant au pied du mur les candidats à la présidentielle. Nous avons résumé nos contre-propositions en six questions-réponses.

1. De Charpin au Medef, tous se basent sur l’évolution démographique des 40 ans à venir pour prédire les scénarios-catastrophes. Ceux qui ont toujours appelé à la prudence des prévisions sont-ils des irresponsables ?

Nous avions totalement raison de ne pas tirer de conséquences mécaniques sur des projections démographiques souvent évolutives et prévisibles seulement dans certaines limites. Ainsi, moins de deux ans après sa parution, les prévisions du rapport Charpin sont largement obsolètes. Les résultats du dernier recensement font en effet apparaître une remontée significative des taux d’activité des 15-24 ans et des 55-64 ans. Les prévisions dramatiques du Medef (un déficit cumulé de 160 milliards de francs pour les seules retraites complémentaires à l’horizon 2020) se sont inversées et les plus récentes projections Arrco-Agirc [1] font état de 200 milliards de francs d’excédent à la même date. Tout cela démontre la volonté de dramatisation qui existait dans le rapport Charpin et de la part du Medef, dans le but évident de créer un sentiment de panique.
Cela dit, des évolutions démographiques sont indéniables, et en premier lieu un allongement de la durée de vie. À moins d’envisager une euthanasie des retraités, cette évolution n’est pas un choc, ni un vieillissement, mais une bonne nouvelle. Elle reflète plutôt un « rajeunissement biologique » en moyenne aux âges plus élevés, dû aux progrès de la santé publique. Il est même tout à fait envisageable qu’il y ait des ajustements démographiques passant par l’immigration ! Ainsi la part des actifs dans la population ne devrait pas reculer significativement. Cette évolution nécessite donc des modifications tout à fait normales dans la répartition du revenu global. Les gains de productivité donnent à long terme les marges de manoeuvre pour accompagner le mouvement.

2. Est-ce possible de consacrer une part beaucoup plus grande de la richesse au financement des retraités qui auront doublé en nombre d’ici 40 ans ?

Au fond, le choix est simple : ou bien on organise la répartition des revenus de manière à ce que tous, actifs et retraités, voient leur niveau de vie progresser avec l’activité économique ; ou bien on organise un appauvrissement relatif des salariés, retraités ou actifs, au profit des revenus financiers.
Prenons les choses autrement : la part des personnes de plus de 60 ans dans la population va augmenter régulièrement. À moins de choisir de les appauvrir petit à petit, ce qui a commencé avec les réformes Balladur de 1993, il faut bien que leur part dans le revenu national augmente. Et la manière dont on la finance — répartition ou fonds de pension — ne change rien à l’affaire.
On nous dit qu’entre aujourd’hui et 2040 il faudra augmenter de 4 % la part des retraites dans le PIB. Or un tel déplacement n’a rien d’insurmontable : il a déjà eu lieu dans le passé. Entre 1960 et 2000, la part des retraites est passée de 4 % à 12 % ! Entre 2000 et 2040, elle progresserait de 12 à 16 %. Etalée sur 40 ans, cette évolution est à peu près imperceptible : il suffit d’y consacrer chaque année environ un tiers de point de progression de la productivité. C’est parfaitement supportable si la part des salaires au sens large dans la valeur ajoutée est rétablie (elle a baissé de près de 10 % sur 15 ans), et maintenue à un niveau correct.
À l’intérieur de cette masse salariale, l’évolution du rapport retraités-actifs doit être accompagnée par celle du taux de cotisation, ce qui est la logique profonde des retraites par répartition.

3. Avec les mesures Balladur de 1993, puis de 1996 sur Arrco-Agirc, comment évoluent mécaniquement les retraites actuelles ? Et que signifie la notion de « neutralité actuarielle » défendue par le Medef en même temps que l’augmentation à 45 annuités ?

Avec les mesures Balladur en 1993 sur les retraites de base, et l’accord absolument régressif déjà signé (à l’exception de la CGT) pour les retraites complémentaires en 1996, nous sommes déjà sur une tendance de dégradation très forte. Jusqu’à aujourd’hui, le taux de remplacement (rapport entre la pension et le dernier salaire) dans le privé avoisine les 75 %. D’ici 2020, à législation inchangée, il va chuter autour de 60 % (encore plus pour les cadres : 50 %) si les mesures Balladur de 1993 et celles de 1996 ne sont pas annulées et corrigées (sources : Analyses et documents économiques CGT n° 79).
De plus, l’allongement de la durée de cotisation n’est pas un moyen de modifier le rapport actifs-retraités en raison de l’état du marché du travail, tel qu’il est organisé par les « plans sociaux » pour les moins de 60 ans. Aujourd’hui, deux personnes sur trois ne sont déjà plus en situation d’emploi au moment de faire valoir (à 60 ans) leurs droits à la retraite. Tant que ces poches de sous-emploi n’ont pas été résorbées, l’allongement de la durée de cotisation signifie inciter au départ avant d’avoir accès à une retraite à taux plein. C’est une « dévaluation » de la retraite, estimée à 20 % en moyenne lors du rapport Charpin.
L’hypocrisie est patente : d’un côté, les patrons veulent repousser l’âge de la retraite comme moyen d’augmenter l’activité ; de l’autre, ils multiplient les plans de départ en préretraite. On a rarement vu discours aussi cyniquement incohérent.
Quant à la « neutralité actuarielle » du Medef, c’est le principe de la capitalisation : je reçois durant ma retraite ce que j’ai placé durant ma vie active. C’est un principe réactionnaire, c’est la loi de la jungle, et toute civilisation progresse au contraire par la socialisation qui fait vivre un principe de solidarité.

4. Le Medef exige du gouvernement qu’il modifie le régime de base. Jospin avait annoncé début 2000 la création d’un fonds de réserve de 1 000 milliards pour 2020. Est-ce une bonne précaution ou le cheval de Troie des fonds de pension ?

On veut à tout prix nous inculquer l’idée de l’épargne longue, la théorie du « bas de laine », du stock d’argent accumulé aujourd’hui pour les besoins de demain. Or il faut en finir avec les illusions financières. Un stock de richesses (d’épargne) varie dans le temps selon les conjonctures et les rythmes de l’économie réelle à l’instant donné. Dans une année, les revenus versés aux retraités ont toujours pour contrepartie des biens et services produits pendant l’année. C’est vrai aussi dans un système de fonds de pension : les retraités, pour toucher leur rente, vendent leurs actions aux actifs qui épargnent pour leurs retraites. Une part des revenus perçus par les actifs est ainsi transférée aux retraités, d’une manière qui ne diffère pas d’un système de répartition. Mais alors que celui-ci est socialisé, transparent et aisément régulé, la capitalisation introduit l’individualisation, l’opacité et le risque. Dans la répartition, les flux de richesses produites sont redistribués aussitôt. Dans les fonds de pension, ils transitent par la Bourse où ils alimentent la spéculation, et poussent aux licenciements pour maximiser les profits (Michelin, Danone).
Car il n’y a pas de magie financière. L’euphorie boursière est derrière nous et même si elle reprenait, la sanction interviendrait au moment du départ à la retraite : les ventes massives des nouveaux retraités risqueraient de ne pas trouver en face d’eux des acheteurs en nombre suffisant. Et cela pour les mêmes raisons démographiques qui sont censées déstabiliser le système par répartition.
Un fonds de réserve pourrait être envisagé à l’intérieur d’un système de répartition pour lisser des évolutions brusques de cotisations. Mais celui de Jospin a surtout une fonction pédagogique en faveur de la capitalisation.

5. L’idée d’une retraite « libre » est-elle bonne ? N’est-il pas plus juste de bénéficier de la retraite à taux plein au bout de 40 annuités (voire 37,5) au lieu d’attendre un âge précis ? Le chiffre de 60 ans ne fait-il pas l’effet d’un « couperet » ?

600 000 ou 700 000 salariés auront atteint le taux plein avant les 60 ans. On peut très bien imaginer qu’on les autorise à prendre leur retraite sans attendre 60 ans, s’ils le souhaitent. Mais une mesure de ce type, juste pour une partie des retraités, peut être utilisée à tel ou tel moment, selon le rapport de forces, pour enfoncer un coin contre des garanties plus générales. C’est ainsi que la CFDT a permis l’opération du Medef. En mettant en avant prioritairement cette question, elle ouvrait un boulevard au patronat, surtout soucieux de faire sauter le verrou des 60 ans. Or partir à 60 ans avec la garantie d’un taux plein est fondamental, notamment parce que si les retraités en moyenne vivent plus longtemps, l’espérance de vie à 60 ans varie beaucoup selon les catégories sociales (18 ans pour un ouvrier, 24 ans pour un cadre, en 1996 selon l’Insee). Tant que le plein emploi n’est pas atteint et que les conditions de travail exercent leurs ravages, pas touche aux 60 ans !
Quant à la retraite à la carte, ce peut être la pire et la meilleure des choses. L’idée d’une retraite progressive choisie semble évidemment préférable à une mise au rebut brutale. Mais dans le contexte actuel, elle risque bien d’être un moyen assez pervers d’étendre une situation de préretraite à mi-temps financée en partie sur fonds publics.

6. Les différences entre régimes de retraite (surtout entre régimes publics et privés) alimentent en permanence une campagne pour l’alignement sur les plus dégradés au nom de la « justice ». Quels peuvent être des objectifs unifiants pour les retraites ?

En 1945-1946, l’objectif des retraites du régime général de Sécurité sociale était bien de parvenir à un régime d’égalité — et même universel — entre les catégories de salariés et de population. Les disparités maintenues sont évidemment l’occasion de toutes les divisions et d’un subtil mouvement de va-et-vient : on passe à 40 ans dans le privé, puis on se tourne vers les fonctionnaires pour dénoncer leurs privilèges.
L’harmonisation devrait se faire autour de trois principes clairs :
— des règles comparables d’accès au taux plein, en âge et en annuités, ce qui veut dire retour aux 37 ans et demi pour tous et départ garanti à 60 ans ;
— un taux de remplacement semblable : par exemple 75 % du dernier meilleur salaire ;
— une règle de progression de la retraite, qui devrait être l’indexation sur l’évolution du salaire net moyen.
Si ces trois principes étaient clairement énoncés, alors on pourrait envisager une harmonisation entre privé, public et régimes spéciaux, mettant en oeuvre une logique de caisse de compensation. Si cette harmonie vers le haut n’est pas atteinte, l’argument louable de l’équité risque bien de servir à une dégradation générale.

P.-S.

Rouge, n° 1909, 8 février 2001.

Notes

[1Arrco : Association des régimes de retraite complémentaire. Agirc : Association générale des institutions de retraites des cadres.

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