1. Après des années de violence terrible et l’effondrement social causé par la thérapie du FMI, les élections présidentielles anticipées se sont déroulées dans un contex- te de crise larvée du régime et de faiblesse du mouvement social. Les masses étaient peu enthousiastes de se rendre aux urnes encore une fois après les échecs successifs autour d’un changement possible, les élections de 1999 ont confirmé que les masses, dans un vote-refuge, ont sanctionné les partisans islamistes de la lutte armée sans pour autant retirer leur confiance à l’aile légale de l’intégrisme. L’islamisme a subi une défaite militaire, ses partis légaux ont subi une régression politique, mais il demeure un pôle.
2. Après le départ de Zéroual, consécutif à l’intensification des affrontements entre les différents clans du régime autour d’enjeux sécuritaires et économiques, les contradictions internes ont éclaté au grand jour avec l’explosion de ses différents relais politiques dans l’État et la société civile. L’épisode d’émiettement du Rassemblement national démocratique (RND) et des organisations de masse, la dissension dans les partis politiques en sont l’illustration.
3. C’est dans cette ambiance que la caste militaire tente de mettre en place une solution pour maintenir son hégémonie. La crainte d’un processus démocratique incontrôlable, le syndrome islamiste, les incursions de la revendication sociale dans le champ politique et la faiblesse du régime interdisaient un processus électoral qui ne soit pas étroitement balisé.
4. Dans ce contexte Bouteflika a été désigné comme candidat du pouvoir. Ce favori du parti des mandataires, dont la caste militaire est la colonne vertébrale, était prêt à jouer le rôle d’un homme au dessus des clans, une pâle image de Boumedienne, figure d’un État fort et stable, d’où sa qualification d’homme de consensus, mais le rapport de forces entre les clans l’a empêché dès sa désignation de jouer le rôle d’arbitre et l’a contraint à négocier un plébiscite artificiel. Dans un contexte où le régime bénéficie de l’aspiration à la stabilité après des années de guerre, la caste militaire a fait émerger Bouteflika dont la campagne autour de l’âge d’or boumedienniste rassurait les masses écrasées par l’effondrement économique. Mais d’autres candidatures issues du pouvoir expriment les différents calculs des clans et assurent l’apparence du pluralisme.
5. C’est donc dans cette évolution ambiguë et incohérente du pouvoir qu’ont émergé les candidatures balisées par des procédures contraignantes dans le ramassage des 75 000 signatures, dans les moyens financiers et dans l’expression politique. En l’absence d’une opposition conséquente, ces candidats pourtant issus du régime sont apparus comme une contestation de la candidature Bouteflika, autrement dit celle du pouvoir. Ils se sont présentés comme les défenseurs de la transformation du régime, de l’intérieur. Leur caution à l’ensemble du processus électoral déloyal confirme bien qu’ils ne constituent pas un pôle démocratique radical mais un courant hétéroclite polarisé par l’ambition personnelle et par le discours libéral. La campagne monocorde de ces candidats proposant tous le libéralisme, malgré les élans populistes de certains, offrant tous, malgré leurs nuances, le dialogue politique, a maintenu la suspicion des masses qui se préparaient néanmoins, pour une bonne part, à voter pour le moindre mal. Une fraction significative de l’électorat se cantonnait, elle, dans l’expectative et la méfiance.
6. Leur retrait à 12 heures du vote, s’il a déçu leurs électeurs potentiels, les a placés en tant qu’illusion d’alternative démocratique face à un régime discrédité par la fraude. Porte-voix d’une transition démocratique « soft » sous la tutelle militaire et soutenus par le capitalisme international et par une bourgeoisie algérienne en plein essor, ils pourraient donner l’illusion d’une solution de rechange.
7. Bouteflika, dont la légitimité en sort très affaiblie, est obligé de faire des concessions. Son pouvoir sera soumis au contrôle de la caste militaire, véritable pouvoir occulte. De leur côté, les chancelleries des créanciers impérialistes pèseront de tout leur poids.
8. La cristallisation d’un pôle de gauche, déjà fragilisé par la guerre civile larvée, n’a pu se concrétiser malgré l’ampleur des luttes de la rentrée. Les errements de Louisa Hanoun, à la recherche d’un consensus national pour la paix, son opportunisme vis- à-vis des islamistes et sa complaisance vis-à-vis du pouvoir, l’ont conduit à diluer son identité politique. Le PST, malgré l’écho de ses propositions et malgré son action pour aider à la convergence du mouvement social, des noyaux socialistes et des syndicalistes n’a pu déboucher sur l’affirmation forte d’une alternative de gauche.
9. Le score significatif des islamistes, même dans ce vote entaché de fraude, confirme leur poids sur l’échiquier politique. Si l’expérience du FIS a enterré le radicalisme religieux ; l’islamisme politique demeure. Le désarroi peut encore trouver un refuge dans ce repaire identitaire. La trêve de l’AIS, la cohabitation avec le pouvoir va réconforter le bloc islamiste sur le champ politique. L’islamisme, malgré sa domestication actuelle, pourrait même, en l’absence d’une alternative politique globale, capter de nouveau le mécontentement social (y compris celui des couches moyennes désabusées) dans les crises politiques des années qui viennent.
10. Ce scrutin indique aussi un autre rôle de stabilité électorale, celui de la Kabylie que conforte un vote fortement identitaire. Par contre, les scores de Sifi, Hamrouche et Khatib sont un véritable désaveu.
11. Les résultats gonflés d’Abdelaziz Bouteflika constituent une victoire amère, car elle est délégitimée par l’accusation de fraude et déshonorée par le retrait des six. Il dispose de peu de délai de grâce pour renforcer son pouvoir dans un système fissuré par les affrontements. L’illégitimité des résultats interdit à Bouteflika de se présenter comme l’homme du consensus dans le bloc social au pouvoir et interdit au régime une fermeture du champ politique. Le risque d’un effondrement du régime n’est pas à l’ordre du jour.
12. Le PST doit maintenir le cap d’une alternative démocratique anti-libérale. Le PST peut converger ponctuellement avec les six et l’opposition sur des actions contre la fraude et pour la démocratie mais ne doit pas, dans son expression, les inno- center dans ce processus électoral, ni se placer sous la direction d’une opposition qui défend le libéralisme sans parler de la présence d’islamistes ou d’anciens fraudeurs comme Sifi.
Alger, le 22-23 avril 1999
Direction nationale du PST