Corse

Rafales et cynisme

, par VANDEPOORTE Serge

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Une fois encore, le glas a résonné après que des armes automatiques ont fauché un homme. François Santoni ne comptait pas parmi nos amis politiques. Bien au contraire, il symbolisait partiellement ce contre quoi nous nous étions élevés tout au long des dernières années. Mais il est impensable que nous puissions admettre que l’exécution sommaire puisse se substituer à une justice digne de ce nom.

Depuis les accords de Migliacciaru, dont A Manca naziunale n’est pas signataire, nous savions que dès lors que les mécanismes continueraient d’être opérants, d’autres drames frapperaient le mouvement national et endeuilleraient notre communauté. Alors laissons les simulacres de compassion à ceux dont les discours démagogiques s’apparentent à une forme de pornographie politique. Il leur serait toutefois ardu de surpasser l’hypocrisie et le cynisme des responsables de l’Etat français qui, loin de se préoccuper du sort du peuple corse, ont tout fait pour accompagner des fractions du nationalisme sur les chemins de leurs dérives. C’est à eux d’abord à qui nous sommes en droit de demander des comptes. À ces ministres de l’Intérieur successifs qui ont oscillé entre le bâton de la répression et l’arme de la corruption. Car nul n’ignore que les divers gouvernements ont laissé à des services de l’appareil d’Etat le soin d’annihiler par tous les moyens les légitimes prétentions de tout un peuple. La mort d’un ex-responsable central, quels que soient les auteurs de cet assassinat, s’inscrit dans une logique infernale qui n’a pour seul but que de discréditer aux yeux des Corses une lutte à laquelle ils continuent, sous des formes variées, à s’identifier.

Caricature

Toute la question est de savoir jusqu’à quand les femmes et les hommes de notre pays pourront résister à ces offensives. Depuis ces trente dernières années, le mouvement nationaliste a reçu le soutien actif d’un nombre sans cesse grandissant de Corses, au grand dam des supporters du colonialisme. Il serait toutefois illusoire d’imaginer que cette situation peut perdurer, alors que les perspectives d’une vraie solution politique s’estompent au profit de ce processus de Matignon qui n’est qu’une grossière caricature du droit à l’autodétermination.
C’est précisément à cela que s’oppose le candidat Jospin. Ce nouveau statut en gestation n’a dans son esprit qu’un but très immédiat : traverser sans encombre une campagne présidentielle en évitant que le « problème » corse ne vienne troubler les débats. Ainsi, le cadeau somptueux fait à tous les prédateurs qui s’apprêtent à s’emparer des espaces publics maritimes, via la mofification de la loi Littoral, est le hochet doré agité sous le nez de toute la droite insulaire. Le fait est que depuis lors, les plus ardents zélateurs du processus siègent sur les bancs du RPR ou de Démocratie libérale, associés momentanés à une fraction du nationalisme corse. Seuls les clanistes dits de gauche se montrent encore réticents, englués qu’ils sont dans leurs pratiques clientélistes et bureaucratiques. Ces mêmes pseudo-progressistes dont les homologues parisiens réclament aujourd’hui la tenue d’un référendum qui devrait, toujours selon ces derniers, permettre aux Corses de s’exprimer sur les accords de Matignon. Quelle contradiction pour ceux qui se refusent toujours à reconnaître l’existence même du peuple corse ! Là encore l’hypocrisie est de règle, car ni le MDC ni le Parti radical de gauche n’ont comme dessein de laisser aux Corses le soin de choisir librement leur destinée.
Jospin a donc cru se défaire momentanément d’une épine, mais il marche désormais sur des bancs d’oursins consciencieusement entretenus par Chevènement et toute une partie de la droite française, idéologiquement de plus en plus proches et qui voudraient bien voir le Premier ministre s’engluer définitivement. Pour tous ces gens, la Corse n’est pas une préoccupation en elle-même, et de plus en plus de Corses se rendent compte qu’ils ne sont que des pions au coeur de stratégies politiciennes totalement étrangères à leur sort.

Vigilance

Dans les mois qui viennent, il nous faudra user d’une vigilance de tous les instants afin de faire échouer les manoeuvres qui ne manqueront pas de voir le jour. A Manca naziunale continuera de proposer sans relâche la démilitarisation du champ politique, non pas en souscrivant à un pacifisme bêlant, mais parce qu’il faut assécher le marais dans lequel on voudrait bien voir s’empêtrer définitivement les forces vives du mouvement national. Une campagne d’ampleur portant sur l’édification d’une Assemblée nationale provisoire sera lancée dans les jours qui viennent, et nous savons déjà qu’une majorité de nationalistes sont prêts à s’engager sur cette voie. Prendre nos affaires en main en rompant définitivement avec la politique des marchandages plus ou moins secrets, voilà la seule solution.

P.-S.

Rouge, n° 1935, 6 septembre 2001.

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