Syndicalisme et représentativité

Qui est représentatif et pourquoi

, par MORDER Robi

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Le projet de loi sur les 35 heures réforme le droit syndical en introduisant la notion de représentativité majoritaire. C’est au nom de cette disposition que les confédérations FO, CFTC, et partiellement CFDT, refusent un front commun avec la CGT qui soutient cette mesure.

On le sait, CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC demeurent les seules confédérations légalement représentatives alors que l’émergence de nouveaux syndicats ou fédérations du type SUD ou FSU posent le problème d’une réforme plus vaste.
Aux origines, pour leurs fondateurs, les syndicats, parce qu’ils existent en tant que force collective organisée, représentent la classe ouvrière. Cette conception peut s’apparenter à l’élitisme. Seuls les travailleurs syndiqués sont organisés, conscients. Fussent-ils minoritaires, ils représentent seuls les intérêts de la collectivité. Ce système s’oppose au modèle « parlementaire » où les partis tirent leur légitimité des suffrages. Ainsi, des projets d’élection de délégués des travailleurs (Jaurès, Millerand) se heurtent à l’opposition de la jeune CGT. « Enfantine et pitoyable tentative de parlementarisation du syndicalisme », c’est ainsi que les dirigeants syndicalistes-révolutionnaires, tels Merrheim, caractérisent ces idées.
Au fur et à mesure que des droits sont reconnus (signature d’accords collectifs, sièges dans des organismes consultatifs), et alors que la liberté syndicale permet la pluralité, des règles déterminent quels syndicats jouissent de ces prérogatives et ce dans des contextes politiques particuliers, favorisant ou écartant telle ou telle organisation. Ainsi, dans les années 1920, seule la CGT (« réformiste ») siège dans ce type d’organismes, pas la CGTU. En 1936, seule la CGT réunifiée participe aux accords Matignon et pas la CFTC.

Le système actuel est issu de la loi du 11 février 1950 sur les conventions collectives. Chaque syndicat reconnu représentatif (selon cinq critères : effectifs, cotisations, activités, indépendance vis-à-vis du patronat, expérience et attitude sous l’Occupation) peut signer seul un accord d’entreprise ou de branche. À l’époque de la guerre froide avec une CGT majoritaire, cette mesure visait à donner une reconnaissance pour la CFTC et FO. Un arrêté ministériel du 31 mars 1966, après la scission CFDT, désigne ensuite cinq confédérations représentatives, dont la CFTC maintenue. Toute organisation affiliée à une des « cinq grandes » est automatiquement représentative dans son entreprise ou sa branche et bénéficie des droits (négocier et signer, présenter des listes au premier tour, délégués syndicaux, locaux, etc.). La fonction publique obéissait à des règles différentes, mais la loi Perben du 16 décembre 1996 renforce les obstacles pour les nouveaux syndicats (notamment SUD et FSU).
Ce système a fonctionné tant que les conventions n’apportaient aux salariés que des avantages supérieurs à la loi, et qu’il s’agissait de contrer les « syndicats jaunes ». Mais l’introduction de la flexibilité dans les lois Auroux en 1982, ainsi que les restructurations du champ syndical ont rendu ces dispositions dépassées.
En effet, les « accords dérogatoires » comportent des avantages et des inconvénients pour les salariés. La signature d’un seul syndicat suffit, sauf si un ou plusieurs syndicats représentant la moitié des inscrits aux élections usent de leur « droit d’opposition ». Le projet Aubry modifie ce dispositif en subordonnant la validité d’accords sur le temps de travail à la signature des syndicats majoritaires ou à la consultation des salariés.
Par ailleurs, l’existence de nouveaux syndicats et fédérations à une large échelle, aucunement assimilables aux syndicats jaunes pro-patronaux, bouscule la donne. Comment légitimer une rente de situation pour des syndicats affiliés aux confédérations sans reconnaître les mêmes droits à des syndicats parfois plus importants ?
Il est évident qu’il n’y a pas de solution juridique techniquement neutre. De plus, les règles juridiques ont des implications dans la tactique syndicale et modifient le paysage. Dans la fonction publique, la loi Perben oblige au regroupement entre plusieurs syndicats puisque, pour être représentatifs, il faut être présents dans les trois fonctions publiques (d’Etat, territoriale, hospitalière).
Dans le secteur privé, notamment dans les PME, il est quasiment impossible de constituer un syndicat non confédéré. Le temps d’obtenir une reconnaissance, ses représentants (non protégés) seront licenciés. La dispersion syndicale est plus difficile. Mais on constate que c’est dans ces secteurs que les sections des « cinq grandes » sont inexistantes, ou ont disparu. Par contre, dans de grandes entreprises où existent déjà plusieurs syndicats, et donc un certain rapport de forces, de nouveaux syndicats arrivent à se créer et à obtenir des tribunaux la représentativité. Et dans le secteur public, ni l’arrêté de 1966, ni les dispositions du droit syndical dans la fonction publique n’ont empêché la naissance et l’existence d’un pluralisme syndical (SUD-PTT, SUD-Rail, FSU, UNSA). La réalité infirme donc une certaine théorie selon laquelle l’arrêté de 1966 empêche une plus grande division.
Avec le dispositif de mandatement de la loi Aubry (un salarié non syndiqué peut négocier un accord RTT), le danger du « syndicat jaune » est à nouveau d’actualité. Certes, seuls les syndicats représentatifs peuvent procéder au mandatement, c’est même un moyen de créer de nouvelles sections. Mais il est des « déserts syndicaux » où l’on se montre peu regardants du moment que le sigle est présent dans une nouvelle entreprise. Or, si la vigilance manque, le mandaté est un salarié ou un cadre désigné par le patron.

Pistes de réflexion

On ne peut plus écarter le critère électoral pour déterminer la validité d’accords et la représentativité. On pourrait combiner des règles accordant certes la représentativité aux confédérations, mais permettant aussi aux autres syndicats de se présenter aux élections, les droits de la représentativité étant accordés en fonction des résultats. Ce qui implique l’abrogation des mesures Perben et le retour à la liberté de candidature. À partir du moment où il y a liberté syndicale, il convient de renforcer la protection des délégués. Quant à empêcher que les patrons ne créent des syndicats pour signer n’importe quoi, il faut en revenir à une règle simple : tout accord collectif ne peut déroger que dans un sens favorable aux salariés.
Mais l’essentiel est ailleurs. Les syndicats deviennent de plus en plus des appareils sans adhérents, se contentant de militants élus d’un côté, et une masse d’électeurs ponctuels. Tout le travail de « socialisation », certes difficile avec les modifications du monde du travail, a été délaissé. La réprésentation pourtant passe par là : retrouver les voies et moyens de (re) constitution des collectivités de travailleurs.

Source

Rouge, n° 1844, 7 octobre 1999.

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