Pour les luttes, rompre avec le « dialogue social »

, par SEILLAT Denis

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La grève du 10 juin dans la Fonction publique, la SNCF et l’Education nationale est en très net recul par rapport à celle du 15 mai dernier contre les suppressions d’emploi dans le secteur public. Cet échec annoncé interpelle tous les militants du mouvement ouvrier, tous ceux qui cherchent une politique pour organiser la riposte contre Sarkozy à un moment où celui-ci veut accélérer les mauvais coups.
« Réformes sociales : le gouvernement à l’offensive » titre Le Monde car, dès le lendemain de la manifestation, le conseil des ministres étudiait deux dossiers : le service minimum dans les écoles pour attaquer le droit de grève et « l’offre raisonnable d’emploi » pour sanctionner davantage les chômeurs.
Alors que Sarkozy est en chute libre dans les sondages et aux prises avec sa propre majorité et les rivalités dans son propre camp, les travailleurs ne parviennent pas à prendre l’initiative, faute d’une politique pour cela. Du coup, au mépris de l’opinion, le gouvernement Sarkozy-Fillon peut continuer ses attaques et ses contre-réformes anti-ouvrières : réforme des conditions de travail, massacre du Code du travail, attaques contre le droit syndical sous couvert de représentativité, mise à mal du statut de la fonction publique.
Et pourtant la colère gronde contre la baisse du niveau de vie, les salaires à reculons et les prix de l’essence ou des produits alimentaires qui s’envolent aussi vite que les rémunérations des patrons du CAC40. Des luttes éclatent sur les salaires dans des entreprises qui n’avaient jamais fait grève, dans des services contre la dégradation des conditions de travail, etc. À Quimper, des milliers de personnes ont manifesté contre les fermetures de services dans les hôpitaux de la région, s’affrontant aux gendarmes mobiles. Beaucoup regardent avec sympathie les luttes de différentes catégories sociales contre les hausses de prix du carburant et la nécessité d’une riposte d’ensemble des salariés est largement ressentie. Mais les directions syndicales se montrent bien plus préoccupées de leurs intérêts d’appareil que d’organiser réellement la lutte.
La politique du « dialogue social » qui conduit les directions syndicales à négocier les mauvais coups du gouvernement et du patronat, à signer des accords défavorables aux salariés crée un profond désarroi parmi les salariés et les militants.
C’est cette politique qui permet aujourd’hui à Sarkozy de reprendre la main. Son objectif est de paralyser les travailleurs en décrédibilisant les directions syndicales qui se prêtent à ce jeu de dupes.
Engluées dans ces négociations avec le pouvoir, prises au piège, celles-ci tentent de donner le change en appelant à quelques luttes. Mais comme elles le font sans y croire elles-mêmes, divisant les luttes, appelant à des journées sans lendemain, elles affichent leur impuissance et entretiennent le doute, un sentiment d’impuissance voire une démoralisation.

Mener la bataille « idéologique », contester radicalement la politique du patronat

Récemment, Sarkozy déclarait à propos de la représentativité qu’il voulait des « syndicats forts » et surtout « responsables, pour qu’on ne s’arrête pas à l’affrontement stérile, caricatural, idéologique ». C’est ainsi que depuis des années le pouvoir a réussi à entraîner les directions syndicales dans une politique d’accompagnement des contre-réformes dans l’objectif de paralyser les travailleurs.
Depuis février 2005, celles-ci ont discuté de la recodification du code du travail qui vient d’aboutir au nouveau code sorti le 1er mai dernier. Alors que des militants dénoncent le « massacre », il n’y a pas eu un mot pendant toutes ces années pour prévenir les salariés des sales coups qui se préparaient. De même, après le mouvement contre le CPE, le Medef a ouvert des négociations sur la réforme du marché du travail, qui a abouti à un texte signé par 4 syndicats. Le gouvernement est en train de le traduire en une loi qui prévoit l’allongement de la période d’essai, la rupture d’un « commun accord » du CDI ainsi que le « CDD à objet défini » pour le temps d’une mission qui pourra atteindre 36 mois !
Que les syndicats signent ou pas, leur attitude accrédite le pouvoir, démoralise et déstabilise les salariés. Ils minimisent ainsi les attaques qui passent, en douceur alors qu’elles remettent en cause des dizaines d’années de conquêtes ouvrières. Quant aux militants, beaucoup sont incrédules et pensent que vu l’attitude de leur direction, cela n’est sans doute pas si grave.
Dernier épisode de ce jeu de dupes, la représentativité syndicale vient de montrer comment Sarkozy roule dans la farine les directions syndicales. S’appuyant sur la « position commune » de la CGT, de la CFDT et du MEDEF qui prévoit « à titre expérimental » la possibilité pour l’employeur de dépasser le contingent conventionnel d’heures supplémentaires, le gouvernement met les syndicats au pied du mur en voulant faire passer dans la loi sur la représentativité la remise en cause des 35 heures.
Les Sarkozy, Fillon, Devedjian se répartissent les rôles pour attaquer le « carcan des 35 heures », en rappelant à tout le monde ce que veut dire pour eux le « dialogue social ». Comme l’explique Xavier Bertrand : " « nous les avions prévenus que nous irions plus loin et aujourd’hui, nous l’assumons pleinement »...
Face à cette provocation, les directions syndicales se retrouvent piégées à leur propre jeu, se justifiant, réclamant le « dialogue » avec des adversaires qui ne cherchent qu’à infliger leurs mauvais coups.
La CGT, dans une note à ses syndicats, dénonce « l’instrumentalisation que fait Nicolas Sarkozy du dialogue social au service de la mise en œuvre de son programme présidentiel »... Belle découverte !
Chérèque interpelle même le gouvernement pour lui donner ses conseils avisés : « Comment le gouvernement espère-t-il avancer durant les quatre ans qui viennent en ayant rompu la confiance que nous avons tant de mal à faire vivre en France ? Avec qui le gouvernement veut-il conduire les réformes qu’attendent les Français ? ». Le voilà sur le même terrain des « réformes » voulues par Sarkozy !
Quant à la déclaration commune de Thibault et Chérèque du 26 mai, elle ne combat même pas le fond du projet de loi sur les 35 heures, mais réclame... des négociations dans « le respect des principes introduits par la loi sur le dialogue social de janvier 2007 » !
Pas étonnant que dans ces conditions, les directions syndicales aillent à reculons sur la journée du 17 juin, à l’image de Chérèque qui explique : « avec son texte, le gouvernement nous amène à réagir simultanément sur le temps de travail et les retraites. Cela nous entraîne dans une mobilisation globalisante, ce contre quoi j’ai toujours résisté, y compris dans la CFDT ».
Quant à FO, elle refuse d’appeler à la grève contre les mauvais coups du gouvernement, en faisant de la surenchère sur le texte de la représentativité qu’elle n’a pas signé car il est moins favorable à ses intérêts d’appareil. Elle n’avait pas eu la même retenue pour signer la « modernisation du marché du travail » avec le Medef !
Cette politique, menée systématiquement par le gouvernement, ne concerne pas que les 5 grandes confédérations. Ainsi, six syndicats viennent de signer dans la Fonction publique la « rénovation du dialogue social », dont Solidaires et la FSU.
Même si le texte est différent de celui du privé, il obéit à la même logique. Quelles que puissent être les avancées pour les syndicats, ceux-ci donnent du crédit au « dialogue » de Sarkozy, alors même que le gouvernement s’en prend au droit de grève des fonctionnaires et prépare un « plan social » à l’échelle de toute la fonction publique. Le texte prévoit même la mise en place du nouveau conseil supérieur « interfonctions publiques » juste au moment où le gouvernement veut imposer la mobilité des fonctionnaires.

« Bousculer les appareils syndicaux, sortir de l’hypocrisie du dialogue social »

Au vu des attaques menées par le gouvernement, nous avons tout intérêt à nous emparer de la journée du 17 juin qui, sur les salaires, les retraites et contre la remise en cause des 35 heures, pourrait concerner l’ensemble du monde du travail public comme privé. Nous n’avons pas d’autre moyen de dire que nous ne sommes pas d’accord, que nous ne capitulons pas, que nous ne voulons pas dialoguer.
Les obstacles sont nombreux. Bien des travailleurs sont échaudés et ne veulent pas perdre une journée de plus de salaire pour des intérêts d’appareils qui essaient de donner le change, pris à contre pied, ridiculisés par le pouvoir qui se sert de leur faiblesse pour les discréditer encore davantage. Et en fait, il s’agit de se convaincre que nous pouvons faire grève, manifester en toute indépendance des calculs des bureaucraties. C’est nécessaire si nous voulons être en mesure d’agir demain pour aller vers des mouvements qui pourraient se généraliser et, pour cela, de mener une politique qui corresponde aux intérêts des travailleurs et non à ceux des bureaucraties syndicales.
Pour redonner confiance, il nous faut avoir confiance en nous, dans les travailleurs, leur capacité d’initiative pour défendre leurs intérêts par la lutte collective, dans la solidarité et en rompant avec tous les « diagnostics partagés » et autres « partenaires sociaux » qui ne servent qu’à museler et contenir leur révolte.
La sympathie très large que rencontre l’appel à un nouveau parti lancé par le dernier congrès de la Ligue atteste d’un renouveau politique au sein du monde du travail. Il nous faut amplifier ce mouvement vers l’unité des jeunes sans passé politique, des travailleurs du rang, des militants radicaux de tous les syndicats, pour que nous ayons la force, les moyens, les idées afin de proposer des perspectives de lutte sérieuses, de les préparer, de les organiser, de les diriger collectivement et démocratiquement.

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