Espoirs de renouveau en Italie

, par CABRAL Jean-François

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Le meeting « Mai 68-mai 2008 » qui s’est tenu à Paris le vendredi 30 mai et la conférence européenne qui a suivi ont été un incontestable succès, du fait notamment de la participation d’un grand nombre d’organisations très différentes issues de la gauche radicale et de l’extrême-gauche en Europe.
Le débat est désormais bien engagé. L’intervention de nos camarades italiens de Sinistra Critica l’atteste : les temps sont difficiles, la droite populiste et réactionnaire progresse, mais les clarifications à gauche également, source d’espoir et de renouveau.
En Italie, le score électoral obtenu par la coalition « Peuple de la Liberté » (PdL) dirigée par Silvio Berlusconi est sans appel : 47 % des voix à la chambre des députés contre 38 % pour le « Parti démocratique » de Walter Veltroni, un parti issu des Démocrates de gauche (provenant à leur tour de l’ancien Parti communiste italien dissous en 1991) et de la Marguerite, ex-Parti de la démocratie italienne.
La victoire de Berlusconi est celle d’une droite dure, populiste, capable, après des années d’attaques anti-ouvrières, de capter une partie des voix des classes populaires sur les thèmes de l’immigration et de l’insécurité. Son arrivée au pouvoir ne peut qu’aggraver les choses dans ce domaine. Mais cette victoire n’a été possible qu’avec la complicité d’une prétendue « gauche » qui vient de se reconvertir en parti démocrate pour mieux prendre ses distances avec ce qu’il reste du mouvement ouvrier, misant elle aussi sur le registre de l’insécurité...
Ce n’est donc pas un hasard si au sein de cette nouvelle majorité dirigée par Berlusconi, les partis de la droite xénophobe ont progressé plus que d’autres. La Ligue du Nord de Bossi a obtenu le score record de près de 9 % au niveau national. De son côté, l’Alliance Nationale de Fini, héritière du néo-fascisme en Italie, a consolidé ses positions au sein du gouvernement, tout en se présentant dans le cadre de la coalition de Berlusconi.
Outre la défaite prévisible de Veltroni, le fait le plus marquant a été la défaite de la coalition « Arc-en-ciel » réunissant le Parti de la Refondation communiste de Bertinotti, le Parti des communistes italiens (une dissidence de Rifondazione qui avait soutenu jusqu’au bout le gouvernement Prodi en 1998, déjà !), les Verts et la Gauche démocratique (une petite partie des Démocrates de gauche qui a refusé d’acter la disparition de leur parti).
Cette défaite sans appel s’est traduite par la disparition de la gauche de la gauche au parlement, alors que le score espéré sur la base des résultats précédents n’était pas négligeable, entre 10 et 12 %. Avec 3,5 % des voix, la coalition « Arc-en-ciel » n’a plus un seul député ni un seul sénateur. Rappelons que durant deux ans, Bertinotti a été le président de la Chambre des députés. Pour un parti qui a tout misé sur sa participation aux institutions, cet échec est évidemment une catastrophe...
C’est aussi une confirmation : lorsque la « gauche » fait une politique de droite, non seulement la droite finit par l’emporter, mais la chute est encore plus spectaculaire pour la gauche de la gauche qui n’a pas su rompre à temps avec la gauche libérale.
Le constat n’est pas nouveau. On en sait quelque chose en France où la même mésaventure est arrivée au PCF. Mais c’est une leçon très importante qui continue à faire débat au sein des milieux militants, comme le montre la progression de Die Linke en Allemagne qui participe déjà à des gouvernements régionaux mais pas (encore) à un gouvernement fédéral en suscitant malgré tout un certain nombre d’illusions. C’est aussi une discussion qui rebondira inévitablement dans d’autres pays, en Grèce notamment au sein de la coalition Syriza qui réunit actuellement un parti de la gauche anti-libérale Synapismos, de taille et d’influence non négligeable, et des petites organisations issues de l’extrême-gauche révolutionnaire.
En même temps, ce constat laisse entièrement ouverte une autre question : celle de construire une alternative véritable. Les évolutions récentes en montrent les possibilités, mais rien n’est gagné non plus. D’une certaine manière, et même si cela ne dépend pas que d’eux, les choix que feront les militants révolutionnaires, leur sens des responsabilités, leur capacité à donner des réponses à la fois politiquement claires mais débarrassées des vieux réflexes identitaire accumulés au cours d’une longue histoire minoritaire, seront évidement importants.

La faillite d’une prétendue gauche de gauche

L’effondrement du Parti de la refondation communiste n’est pas seulement le résultat d’une dérive à droite qui aurait commencé il y quelques années. La tentation de participer à des « gouvernements de gauche » a toujours été un aspect important de son orientation réelle, même si parfois une rhétorique mouvementiste a pu laisser croire le contraire.
Dès janvier 1994, la question s’est posée à l’occasion d’une possible victoire des partis de gauche et de centre-gauche aux législatives. Bertinotti qui venait d’accéder au poste de secrétaire général fut l’un des partisans les plus affirmés de cette participation gouvernementale. Sur le moment, cette décision ne porta pas trop à conséquence puisque c’est Berlusconi qui gagna les élections. Mais deux ans plus tard, en 1996, le débat rebondit avec la victoire de Prodi.
Le PRC choisit finalement de soutenir le gouvernement, sans y participer. Il finit même par rompre avec Prodi en 1998, le choix de l’équilibrisme entre la critique et la solidarité avec une majorité gouvernementale ayant malgré tout quelques limites. A cette époque, une minorité de militants - mais une majorité de députés - choisit de rompre avec Rifondazione en regroupant au sein du PdCI celles et ceux qui voulaient absolument poursuivre jusqu’au bout l’expérience de soutenir un gouvernement qui avait pourtant pris un grand nombre de mesures anti-ouvrières qui ne distinguaient en rien de la politique menée par la droite.
Le PRC eu malgré tout besoin de faire oublier ce soutien pour le moins compromettant, d’autant qu’il avait perdu en cours de route une partie importante de sa base ouvrière. Il prit ce que Bertinotti lui-même appela un " tournant à gauche ", plus apparent que réel, adoptant l’allure pendant quelques années d’un parti radical. Le contexte il est vrai s’y prêtait, avec l’émergence du mouvement altermondialiste, qui finit même par polariser une partie de la vie politique, notamment lors du sommet de Gênes en 2001.
Bertinotti n’avait pas renoncé pour autant à une participation gouvernementale, il eut l’occasion bien des fois de l’exprimer publiquement. Mais désormais dans le langage confus qui était le sien, propre à coller au « mouvement des mouvements » et à donner l’apparence de la radicalité, cela prit une étrange résonnance : il fallait, aimait-il à répéter, « porter dans les institutions le vent des mouvements qui traversent le pays ». En 2005 cela prit surtout l’allure d’un ralliement honteux à la nouvelle coalition de Prodi, même si durant quelques mois Bertinotti voulut faire croire qu’il pourrait négocier de « grandes réformes de rupture avec le cycle néo-libéral ».
En guise de grandes réformes, le bilan en deux ans a été terrible : augmentation de l’âge de la retraite et diminution du montant des pensions, mise en place d’un système de fonds de pension à l’échelle nationale, ticket modérateur dans les hôpitaux publics, réduction des effectifs dans la fonction publique, privatisation des transports publics, nouvelles lois contre les immigrés, augmentation de 24 % du budget militaire (et envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan et au Sud Liban pour compenser son retrait d’Irak)... Dans aucun domaine, il n’y eut même un semblant de ralentissement dans le rythme des attaques si on compare avec les gouvernements de droite.
La défaite de la gauche était prévisible. D’une certaine manière celle de Rifondazione Communista aussi, même si l’effondrement a été encore plus spectaculaire. En juin 2007 lors de la visite de Bush à Rome, le parti de Bertinotti, tout en taisant son soutien à Prodi, tenta d’organiser un concert de protestation contre sa venue. « Un pied dans le gouvernement, un pied dans la rue » aurait dit Marie-George Buffet. Mais il y eut à cette occasion à peine 300 personnes pour se rassembler alors qu’au même moment une manifestation alternative organisée par les mouvements sociaux, avec le soutien et la participation des camarades de Sinistra Critica qui venaient de rompre la discipline du PRC sur cette question, réunissait des dizaines de milliers de participants. En octobre de la même année, une manifestation -réussie cette fois- contre la réforme des retraites avec la participation des syndicats, donnait l’occasion au PRC de lancer la coalition « Arc-en-ciel ». Quelques jours plus tard, ces mêmes partis votaient la loi qu’ils venaient pourtant de dénoncer...
Ce qui est notable surtout, c’est que le PRC a fait cette fois le choix d’accompagner l’expérience gouvernementale jusqu’au bout, comme le PCF l’avait fait dans le gouvernement Jospin, en donnant dès le début les gages qu’exigeait Prodi. Cela n’a rien d’anecdotique : cela montre simplement que sa direction ne croit pas plus que les révolutionnaires aux marges de manœuvre possible qui subsisteraient dans ce système pour mener une politique réformiste.
Le capitalisme mondialisé dans sa phase actuelle ne laisse en effet guère d’autre alternative que s’adapter au cours néo-libéral et renoncer aux espoirs réformistes, ou mener une politique radicalement différente. C’est naturellement la première hypothèse qui prime en l’absence d’une alternative clairement exprimée en faveur d’un projet de transformation révolutionnaire de la société, en rupture avec les institutions de la classe dominante.
C’est aussi un choix qui n’a fait que laminer cette prétendue gauche de gauche. Pour justifier son soutien au gouvernement Prodi pendant plus de deux ans, Bertinotti avait expliqué en mars 1999 au congrès de Rimini :

« Si nous n’avions pas choisi de faire naître le gouvernement Prodi après la victoire face à la droite de Berlusconi et Fini, et donc si nous avions ôté la possibilité d’essayer de gouverner, nous aurions été balayés de la politique italienne, réduits à un petit groupe extrémiste ».

En 2006 la participation à un nouveau gouvernement Prodi lui a sans doute évité d’attraper le virus de « l’extrémisme ». Mais certainement pas de finir comme un petit groupe...

Aux révolutionnaires désormais d’offrir une autre perspective

La situation de la gauche révolutionnaire n’est pas facile pour autant. Au congrès de 1994, l’opposition animée par l’extrême-gauche au sein de Rifondazione avait obtenue 20 % des voix. Mais en 2005, la situation n’était déjà plus la même. Le courant Progetto communista (Franco Grisolia et Marco Ferrando) recueillait 6,5 % des voix, la même chose pour nos camarades de Sinistra Critica, soit un tiers de voix en moins, en ordre dispersé.
Le premier a quitté le PRC dès son arrivée au gouvernement, malmené par des divisions internes qui ont précipité son départ et provoqué plusieurs scissions. Le second a fait le choix de rester le plus longtemps possible en espérant que le débat sur cette participation rencontre un large écho au sein du parti et dans la classe ouvrière. Finalement le refus du sénateur Turigliatto de voter une motion de soutien à la politique extérieure du gouvernement - au moment où l’opposition dans la rue à cette politique commençait à prendre une ampleur significative - provoqua son exclusion et le début d’un processus qui a conduit depuis Sinistra Critica à rompre avec le PRC.
Le Parti communiste des travailleurs de Grisolia et Ferrando se définit désormais comme le seul vrai parti révolutionnaire, communiste, léniniste, « tribune de tous les opprimés », à la différence des « centristes » de Sinistra Critica. De leur côté nos camarades sont engagés dans un « processus constituant », pour une nouvelle force anticapitaliste large, en essayant de donner un correspondant politique aux mouvements sociaux dans une situation qui n’est pas particulièrement facile.
Aux élections, chacun des deux courants a obtenu un nombre à peu près équivalent de voix, autour de 0,5 %. C’est un fait politique important : pour la première fois depuis des dizaines d’années en Italie, des candidats révolutionnaires ont fait campagne ouvertement et directement pour leurs idées, à gauche du Parti communiste stalinien et de ses différents avatars.
Ce score doit donc être interprété à sa juste valeur, sans chercher à les comparer avec ce qui se passe aujourd’hui en France. Parce qu’en France justement, cela fait des dizaines d’années que l’extrême-gauche obstinément se présente aux élections indépendamment des réformistes même radicaux ! Cette indépendance et cette ténacité, à la longue, ont fini par payer...
C’est aussi le contenu de ces campagnes qui doit être apprécié. Malgré son sectarisme, le Parti communiste des travailleurs a réussi à faire un score non négligeable en menant une campagne qui n’avait rien de dogmatique ou de purement propagandiste en direction des couches populaires. Avec la candidature de Flavia Angeli, une femme jeune et précaire, au poste de président du conseil, Sinistra Critica a montré de son côté qu’elle est capable de mordre sur l’électorat populaire de Rifondazione. Parions que pour l’immense majorité des électeurs-trices, la différence entre les deux n’a pas dû paraître évidente !
Il ne s’agit évidemment pas de minimiser les divergences qui opposent depuis longtemps ces deux courants. Mais force est de constater qu’une même responsabilité attend désormais l’extrême-gauche dans son ensemble : construire dans la durée une alternative aux partis de gauche et aux directions syndicales qui accompagnent la régression sociale comme ici en France.
Cela suppose d’en finir avec le repli sectaire qui consiste à vouloir construire autour de soi le grand parti des travailleurs à quelques centaines de militant-e-s à l’exclusion de tous les autres. Cela exige en même temps un travail patient de clarification politique. Une gageure. Car plus qu’en France encore, la tentation existe au sein du mouvement social de contourner la question politique et plus encore celle du parti, ou de ne le concevoir que sur des bases très floues, très mouvementistes. Or un parti a aussi besoin d’un programme pour exister.
Son élaboration pourra difficilement faire l’impasse sur le bilan que l’on tire du passé, surtout après une expérience comme celle au sein de Rifondazione. Ce sera un débat utile, car ce sont aussi des bilans qui aident à faire progresser une discussion : la place dans les institutions, le rôle d’un parti dans la lutte de classe et dans les syndicats, les hypothèses stratégiques que nous pouvons évoquer lorsque nous parlons de rupture...
Ces débats sont les nôtres aujourd’hui. Mais c’est un fait acquis : ils traversent désormais l’ensemble de la gauche anticapitaliste en Europe.

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