Jean-Toussaint Plasenzotti

Pas de nouvelle donne

, par NAZIER Alain, PLASENZOTTI Jean-Toussaint

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Jean-Toussaint Plasenzotti, professeur de langue corse, est membre de l’exécutif du Muvimentu di a Manca Naziunale, dont il est l’un des cofondateurs. Ancien prisonnier politique, il a d’abord milité à la Consulta di i cumitati naziunalisti (CCN) et au FLNC. En 1983, après la dissolution de la CCN, il a été nommé secrétaire général adjoint du Muvimentu corsu pè l’autodéterminazione (MCA). Il fut l’un des principaux animateurs d’A Chjama et de la CNTI (syndicat enseignant). Il est très actif, notamment dans les combats pour la défense de la langue corse et du littoral.

  • Raffarin et Sarkozy se disent très « ouverts » sur la Corse. Jean-Guy Talamoni déclare qu’ils ont fait naître l’espoir. Y a-t-il une nouvelle donne et si oui laquelle ?

Jean-Toussaint Plasenzotti — Depuis quelques années, chaque fois qu’il y a changement de majorité en France, il y a « nouvelle donne » en Corse. L’essentiel, c’est qu’il y ait des « négociations ». C’est dire à quel point le mouvement national, dans son ensemble, manque de ligne politique claire et unitaire. En réalité, ce nouveau changement en France met en relief, une fois de plus, l’absence d’un projet national et social cohérent qui aurait l’adhésion d’une grande majorité de patriotes, ce qui contraint Corsica nazione et le FLNC à naviguer à vue. Fondamentalement, il n’y a pas de nouvelle donne dans la mesure où le processus de colonisation est toujours aussi virulent. Cela se traduit par une déculturation accélérée de notre peuple, une pénétration, cette fois massive, du capital financier, qui est d’autant plus redoutable qu’il bénéficie de l’appui des secteurs obscurs de la société corse. Notre terre, y compris les espaces collectifs (littoral et montagne), subit une pression spéculative d’ampleur inégalée jusqu’ici. Le tout-tourisme nous est présenté comme l’horizon indépassable pour la Corse, or il n’est porteur que de prédation pour notre pays et de précarité pour notre peuple.
Les déclarations « apaisantes » du nouveau gouvernement traduisent, au fond, une tactique, déjà éprouvée, pour gagner du temps, car le temps joue contre nous.

  • Précisément, y a-t-il un risque de mainmise des « secteurs obscurs », voire mafieux, sur la vie politique et sociale en Corse ?

J.-T. Plasenzotti — Nous sommes déjà dans ce cas de figure. Rappelons, pour mémoire, qu’un procureur de Bastia, dans un rapport à Elisabeth Guigou, avait qualifié la situation corse de « prémafieuse ». La cote d’alerte ayant été atteinte, on aurait pu penser que des actions seraient entreprises, et bien non, rien de tangible n’a été obtenu dans la lutte contre la « prémafia ».
Dans un pays où le premier employeur est l’Etat, où les plus gros donneurs d’ordres sont la puissance publique et les collectivités (conseils généraux, municipalités, chambres de commerces...), où le Plan exceptionnel d’investissement de deux milliards d’euros sur quinze ans suscite déjà des appétits à sa mesure, dans ce pays où l’argent public est une des clés de voûte de l’économie, plutôt que de chercher un grand manitou du crime, c’est à la corruption qu’il faut s’attaquer (élus et administrations), au favoritisme, au mode de passation des marchés publics, à la fraude électorale et aux trafics d’influence.
C’est comme toujours l’articulation entre la société corse et l’Etat qui pose problème, c’est là que la couche intermédiaire sévit. Mais ce n’est pas demain que l’Etat va la détruire, car elle est la condition fondamentale du maintien de la « République » en Corse. Il s’accommode donc de cette frange parasitaire voire, s’il le faut la nourrit et la renouvelle . En Corse, l’Etat français corrompt par défaut.

  • Le FLNC parle de « maîtrise des flux migratoires ». Est-ce un renouveau xénophobe qui pourrait justifier des actions violentes contre des personnes issues de l’immigration ?

J.-T. Plasenzotti — Tout mouvement de libération, tout Etat constitué, a vocation à maîtriser les flux migratoires autant qu’il est possible. Il n’y a pas de « renouveau xénophobe » en Corse. Il y a des actes racistes, mais ce phénomène n’est pas encore irréversible. De nombreux freins existent dans la société corse. Mais, curieusement, ce sont les personnes d’origine maghrébine, qui ne détiennent pas de secteurs entiers de l’économie, n’accaparent pas le littoral, n’imposent pas leur langue, ne sont pas les gros bonnets du banditisme en Corse, qui sont visées. Il se développe donc un racisme, phénomène relativement nouveau qui va au-delà de la xénophobie, et qui est un exemple supplémentaire du processus d’acculturation.
Ici aussi, le colonialisme français, avec la vieille expérience qui est la sienne, crée des situations qui lui permettent de jouer sur du velours.

  • Avec des associations de défense du littoral, vous vous êtes opposés, avec succès, à l’abolition de la loi littoral. Malgré tout, est-elle encore détournée ou menacée ?

J.-T. Plasenzotti — C’est une victoire provisoire, car nous ne doutons pas que les prédateurs vont revenir à la charge avec un gouvernement qui est encore plus soucieux de leur bon plaisir. De nombreuses constructions sont maintenues dans la plus complète illégalité, et ce depuis des années. L’Etat n’applique pas l’Etat de droit, malgré les irrégularités et les trafics en tout genre constatés devant le tribunal administratif.
Nous savons pertinemment que le littoral et la montagne sont, avec la neutralisation de notre langue, les dernières frontières que le colonialisme veut franchir, avec la complicité du système clanique, pour achever son oeuvre et mettre un point final à la question nationale corse.

  • Vous avez été parmi les premiers à définir les perspectives d’une Assemblée nationale provisoire (ANP). Est-ce une simple union des nationalistes ? Comment voyez-vous son rôle dans la situation actuelle ?

J.-T. Plasenzotti — A Manca Naziunale a effectivement popularisé l’ANP qui est la solution juste et durable pour le mouvement national. Mais les conditions dans lesquelles ses promoteurs actuels veulent la mettre en place ne nous conviennent pas. L’ANP ne peut être une union de mouvements ou de nationalistes, elle ne doit pas être une illusion fourre-tout destinée à masquer l’indigence ou l’inexistence de projet politique stratégique. L’ANP est, et doit être, le coeur du projet national, le processus de rupture avec le système colonialo-clanique et l’affirmation, dans sa pratique, de la future démocratie corse. La question est loin d’être close, et A Manca Naziunale pèsera de toute manière sur le débat.

P.-S.

Propos recueillis par Alain Nazier.

Source

Rouge, n° 1982, 5 septembre 2002.

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