L’Ajustement structurel néolibéral imposé aux États africains subsahariens dès les années 1980 du XXe siècle, en programmant le démantèlement de « l’État-Providence » sous-développé ou dépendant des premières décennies de « l’indépendance », a suscité la contestation populaire dans bon nombre de pays subsahariens. Cette dynamique de perte de légitimité des régimes néocoloniaux traditionnels a permis une relative « ouverture démocratique » en matière de liberté d’expression, de multipartisme, d’alternance au pouvoir, par la voie électorale plutôt que par des coups d’État militaires. Parallèlement, en Afrique du Sud prenait fin le régime de l’apartheid constitutionnel, la majorité noire retrouvant ainsi la légalité politique perdue en 1948.
De façon générale, cette « ouverture démocratique » s’avère sans pluralisme politique, car contrôlée en fin de compte par des élites acquises au néocolonialisme devenu néolibéral. Ces élites sont liées de façon différenciée aux intérêts capitalistes internationaux, au service desquels elles instrumentalisent et politisent de manière nocive les solidarités identitaires (ethniques, nationales, religieuses...). La « démocratisation » a ainsi consisté, jusqu’à présent, en un renvoi des majorités sociales au statut de victimes-spectatrices, après des élections peu ou prou démocratiques. La « démocratisation », c’est-à-dire le passage du monopartisme au multipartisme tant redouté par J. Chirac [1], a favorisé surtout la recomposition des « classes politiques » néocoloniales, souhaitée dans certains cas par la métropole impérialiste. Concernant l’Afrique francophone, François Mitterrand politicien plus habile que Chirac avait, lors du Sommet franco-africain de La Baule en juin 2000, recommandé la « démocratisation » aux chefs d’État africains. La démocratie étant entendue comme multipartisme et « économie de marché » ou la néolibéralisation organisée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM). Cela a permis une certaine légitimation du néolibéralisme, facilitant les « ajustements structurels » ce mécanisme de reproduction de la dépendance/domination prenant appui sur l’endettement public extérieur organisé par l’impérialisme dont les premières mesures avaient occasionné la contestation populaire.
Paupérisation
L’économie africaine subsaharienne demeure maintenue dans la dépendance, sous la domination impérialiste, bien que de façon différenciée. Le cercle vicieux de l’endettement public extérieur des États sert de justification aux politiques dites « d’ajustement structurel », c’est-à-dire de la privatisation bradée des entreprises d’État les plus rentables pour le Capital international [2], du désengagement économique de l’État, de la libéralisation des marchés au profit des multinationales et aux dépens des petits producteurs locaux. Ces politiques ne font qu’accroître la paupérisation en milieu rural agricole, désormais dépourvu de l’aide des offices étatiques, plus exposés à la baisse des cours des produits de base sur le marché mondial. Elles conduisent à la détérioration accentuée des termes de l’échange, induite par la priorité à l’exportation imposée par les « ajustements structurels » à tous les pays dépendants.
Des pays tels le Congo-Brazzaville (pétrolier), la Côte d’Ivoire (principale économie de l’Union Économique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest, francophone ), le Nigeria (6e producteur de l’OPEP et principale économie de la Communauté Économique et Douanière de l’Afrique Occidentale) auparavant classés « pays à revenu intermédiaire » sont désormais candidats à l’initiative Pays Pauvres Très Endettés, avec leur 70 % de la population vivant en-deçà du seuil de pauvreté au Nigeria et 50 % au Congo. L’espérance de vie estimée moyennement à 58 ans en 1950, passée à 56 ans en 1992 a été ramenée à 51 ans en 2000. Des pays tels que le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Zimbabwe [3]), la Zambie affichent une espérance de vie en deçà de 50, voire de 45 ans. Mentionnons encore le chômage massif en milieu urbain, résultant de la privatisation des entreprises d’État, du gel des emplois voire du « dégraissage » de la fonction publique et de la déscolarisation massive de la jeunesse, surtout féminine, issue des couches paupérisées. Il est certes question d’un retour de la croissance en Afrique ces dernières années (au moins 3 %, depuis 1995), mais c’est une croissance non suivie de bien-être pour les majorités sociales (des classes moyennes salariées au lumpen-prolétariat).
La paupérisation et la misère ont favorisé le développement du trafic des enfants en Afrique centrale et occidentale : 200 000 petits béninois, burkinabés, maliens, togolais par an sont, selon l’UNICEF, condamnés à trimer dans les champs de café ou de cacao... par exemple en Côte d’Ivoire. Enfants exploités, avec le consentement de leurs parents paupérisés et misérables, par certains acteurs de « l’Afrique qui gagne », selon l’expression de la presse panafricaine parisienne [4]. Le dernier rapport du PNUD sur le développement humain confirme les craintes exprimées dans le rapport précédent : la pauvreté s’est aggravée et risque de s’aggraver les années suivantes. Dans quatorze pays africains subsahariens les indices du développement humain (IDE) accusent un évident recul. Parmi eux l’Afrique du Sud, qui elle aussi a connu ces dernières années des licenciements massifs, consécutifs à la privatisation des entreprises publiques et aux « restructurations » néolibérales des grandes entreprises privées, comme Toyota.
Cette paupérisation n’est pas sans conséquences sur certains secteurs du capitalisme occidental : la baisse du pouvoir d’achat, la chute dans la pauvreté de certaines couches de la petite bourgeoisie salariée, voire de petits entrepreneurs locaux dépendant du salariat, réduit la demande de certains produits occidentaux et conduit à la baisse de certaines importations africaines.
La croissance africaine subsaharienne légèrement en recul : 2,6 % en 2002 contre 3,2 % en 2001 est due surtout à l’exploitation minière et pétrolière et non à l’accroissement de la production agricole dont la baisse des prix sur le marché mondial est, ces dernières années, la règle plutôt que l’exception. Ce qui est la conséquence de la surproduction organisée au nom de la priorité à l’exportation et du recul de la consommation des ménages dans les pays importateurs.
La production pétrolière de plus en plus importante avec la découverte de nouveaux gisements (Congo, Gabon, Nigeria), même en période de guerre et l’arrivée de nouveaux pays dans le club des pétroliers (Guinée équatoriale, Soudan, Tchad), consolident la présence impérialiste en Afrique subsaharienne et sa vocation capitaliste rentière. Les capitalismes surtout états-unien, mais aussi japonais voire chinois manifestent ouvertement leur intérêt pour les richesses naturelles de l’Afrique subsaharienne. Avec l’assurance d’y réaliser un surprofit néocolonial, le retour sur investissements étant considéré plus rapide en Afrique que partout ailleurs, grâce aux Codes des Investissements et du Travail (libre exploitation d’une main-d’oeuvre très bon marché au mépris des droits sociaux universels). Ces Codes ont été dictés aux gouvernements par le FMI, la BM, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Les parlements « démocratiquement élus » [5] se sont limités à les enregistrer, disposés qu’ils sont à transformer l’Afrique subsaharienne en zone franche, selon les souhaits de l’impérialisme européen, dans le cadre de l’accord léonin UE-ACP (actuellement Accords de Cotonou entre 78 États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et 15 États de l’Union Européenne). Accord, qui sous l’apparence d’avantages réciproques, profite, depuis trois décennies, à la partie européenne [6] et participe de la volonté actuelle d’autonomie relative de l’impérialisme européen à l’égard de l’impérialisme états-unien.
Rivalité inter-impérialiste
Mais, depuis l’an 2000 les États-Unis semblent réaliser l’idée du secrétaire d’État au commerce, Ronald Brown : les États-Unis, disait-il, doivent être « plus agressifs, plus présents sur le terrain, indiquer clairement que nous sommes là en qualité de concurrents. Nous avons longtemps ignoré le marché africain et cela a été une erreur coûteuse, tant du point de vue de l’Afrique que de celui des États-Unis... Nous n’allons plus laisser les marchés africains à nos amis européens. L’Afrique est l’un des derniers bastions qui doivent tomber sur le plan commercial. Le climat est prometteur. » [7]. Ainsi, le « partenariat » ACP-UE est, depuis l’an 2000, discrètement concurrencé par l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) [8], auquel Georges W. Bush, à son arrivée au pouvoir, avait promis ne pas accorder quelque intérêt. Mais qu’il a fini par reconsidérer, jusqu’à effectuer une tournée éclair, du 8 au 12 juillet 2003, au cours de laquelle il a été davantage question, entre autres, d’une future base militaire au... Sénégal, du Sida [9], des OGM qui sous l’influence de la propagande européenne semble-t-il, n’enthousiasment pas les Africains [10] que du pétrole nigérian.
Quoi qu’en dise Colin Powell, c’est surtout le pétrole, plutôt que la « lutte contre le terrorisme », qui explique ce nouvel intérêt pour l’Afrique. Le projet états-unien est d’être plus présent dans les champs pétroliers du Golfe de Guinée, passer des 17 % actuels de part africaine de l’approvisionnement des États-Unis à 25 %, réduisant ainsi la dépendance à l’égard du pétrole du Moyen-Orient. La sortie du Nigeria (cinquième fournisseur des États-Unis) de l’OPEP est même plus que souhaitée par l’équipe Bush [11].
Par ailleurs la présence du capital états-unien en Afrique subsaharienne passe aussi par des entreprises canadiennes (170 sociétés dans 26 pays d’Afrique subsaharienne) très présentes dans le secteur minier et dont « les dépenses pour l’Afrique ont atteint 662,6 millions de dollars US en 1997, une augmentation de plus de 50 % par rapport à 1996, et représentent maintenant plus de 16 % des dépenses d’exploration dans le monde. » [12]
Certes les investissements états-uniens en Afrique peuvent être considérés insignifiants, mais il n’est pas négligeable, du point de vue capitaliste, que « les exportations américaines vers l’ASS [Afrique subsaharienne] aient bondi, atteignant 6,8 milliards de dollars US en 2001 contre 5,6 milliards en 2000. Ces exportations sont composées d’équipements de transports (42,4 %), de produits chimiques (11,6 %), de produits électroniques (10,4 %) et de machines-outils (9,9 %) » [13]. Il n’est pas non plus négligeable que l’Afrique « permet à la France de réaliser avec elle un solde positif de 3,2 milliards d’euros, très proche de celui réalisé avec l’Europe qui est de 3,3 milliards d’euros » [14]. Ainsi, le discours sur la « marginalisation de l’Afrique dans la mondialisation » tend à couvrir ces bonnes affaires que chaque impérialisme souhaite bien monopoliser, sans passer par des guerres inter-impérialistes directes, vu, par ailleurs, le caractère multinational du capital de nombreuses grandes firmes.
Élites rentières
Cette rivalité inter-impérialiste profite bien aux élites africaines, qui trouvent leur compte dans la reproduction aggravée de la dépendance/domination et dans le statut rentier des États africains. Car c’est pour le contrôle de cette rente versée même en temps de guerre et la conservation de certaines positions privilégiées impérialistes que sont organisées des élections frauduleuses et les nouveaux coups d’État militaires (Centrafrique, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Niger) et que sont menées des guerres dites identitaires (ethniques, religieuses...) entre fractions néocoloniales locales (Angola, Congo, Côte d’Ivoire, Niger, Soudan) [15]. Ces élites, qui au-delà du statut de rentiers s’associent aux firmes multinationales pour des guerres de monopolisation des ressources minières, morcelant des pays (Liberia, R. D. Congo, Sierra Leone) en vue d’établir des fiefs de pillage et d’exportation des ressources minières par des seigneurs de guerre, gouvernementaux et rebelles. Les chefs de milices privées recrutent massivement dans la jeunesse lumpen-prolétarisée par le néocolonialisme classique et néolibéral et s’appuient sur des mercenaires de tous les horizons, barbares à l’égard des populations. La participation de plus en plus ouverte ou établie, même par l’ONU, des gouvernants des pays subsahariens (Burundi, Ouganda, Rwanda, Zimbabwe en R. D. Congo, Côte d’Ivoire et Burkina au Liberia, en Sierra Leone et en Angola...) à ces entreprises barbares d’accumulation capitaliste, leur permettant de mieux participer à la restructuration néolibérale de l’économie capitaliste mondiale(acquisition locale des entreprises privées n’intéressant pas particulièrement le grand capital, co-actionnariat local avec le capital allogène, placement dans les paradis fiscaux...) [16]. Ce néocolonialisme identité différenciée, hiérarchisée des intérêts, pouvant dans certains cas être conflictuelle devenu néolibéral est souvent présenté de façon moraliste comme un rapport de corruption, à propos duquel on parle beaucoup plus des corrompus que des corrupteurs [17]. L’on dirait qu’une espèce d’inconscient raciste empêche certains d’admettre l’existence de capitalistes négro-africains, partie prenante du capitalisme international, ces « sauvages » ne devant relever que de la morale, non de la science économique. L’histoire économique académique étant, bien sûr, expurgée de la corruption permanente, des scandales qui s’y inscrivent presque consubstantiellement.
Le cynisme économiquement motivé des élites néocoloniales subsahariennes a culminé dans le meurtrier dépeçage de la Somalie aux gisements de pétrole convoités par l’impérialisme états-unien, dans le génocide des Tutsis et des « Hutus modérés » grande tragédie humaine de la fin du XXe siècle, presque banalisée dans ce Rwanda quasi intégralement une zone franche, remboursant laborieusement sa dette publique extérieure (ce qui ne pouvait favoriser l’acceptation, par l’oligarchie, du partage des rentes réduites avec des exilés en attente de retour, parmi lesquels des investisseurs virtuels, ayant en partie financé la guerre menée par l’armée du FPR contre l’armée officielle ruandaise appuyée par l’armée française de 1990 à 1993), dans les trois millions de morts, victimes directes et indirectes, médiatiquement discrètes, dans les fiefs de la rébellion, de la guerre pour le diamant, le cuivre, le colombo-tantalite ou coltan (indispensable pour la téléphonie cellulaire, pour l’aérospatiale), l’or, etc. en R. D. Congo (ex-Zaïre), que la convoitise capitaliste rêve de dépecer. Hideur du capitalisme contemporain souvent évacuée par l’évocation de la prétendue marginalité de l’Afrique subsaharienne.
La criminalité du lumpen-capitalisme subsaharien, bien que rappelant par certains aspects le capitalisme des siècles passés (la mutilation des bras en Sierra Leone n’est pas sans rappeler les bras des indigènes coupés par les soldats de Léopold II au Congo, qui ne s’empêchaient pas de punir des cadavres, héritage sans doute de l’Inquisition chrétienne, les oreilles coupées par les soldats français pendant les opérations de répression coloniale des rebelles indigènes... pendant les cinq premières décennies du XXe siècle) n’étant pas moins contemporaine que le capitalisme des firmes de téléphonie cellulaire reliées aux seigneurs de guerre pillards et saigneurs de l’Est congolais par la division capitaliste internationale du travail, ou la criminalité financière si décriée actuellement dans les centres du capitalisme. Les guerres profitent bien aux marchands d’armes : l’Afrique souffre actuellement d’une prolifération d’armes légères, détenues par des miliciens privés, des civils Le capitalisme semble condamné, par nécessité, à être très hideux, très irrationnel en Afrique subsaharienne. L’entreprise d’amnésie de la barbarie capitaliste coloniale puis néocoloniale n’est pas, heureusement, une réussite absolue [18].
La promesse de progrès du bien-être collectif de l’Afrique subsaharienne, grâce aux ajustements structurels du néolibéralisme s’avère mensongère pour ceux et celles qui s’étaient illusionnés. Les investissements promis, créateurs d’emplois, facteurs de bien-être pour les peuples africains ne suivent pas, à la surprise même de certains gouvernants néocoloniaux, devant, semble-t-il, se contenter des discours, des sommets internationaux sur le « développement » et « l’aide »... ou encore du cynisme capitaliste des États-Unis voulant aider les populations menacées par la famine en Afrique australe en leur offrant du maïs transgénique, qu’elles finiraient par consommer ordinairement, acheter par la suite... « Trade not aid ». En même temps, selon les chiffres officiels, l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du Sud non comprise, continue à transférer en Occident plus qu’elle ne reçoit de capitaux [19]. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des ressources naturelles pillées et transformées en Occident, des fonds publics détournés placés dans les banques « occidentales » et utilisés par celles-ci qui ne sont pas comptabilisés. Ainsi, la néolibéralisation de l’Afrique subsaharienne s’avère être une paupérisation en permanence aggravée des populations, favorable au développement des formes nocives de la conscience (ethnisme, communautarisme) obstruant l’élaboration collective de tout projet émancipateur.
Le NEPAD au service des multinationales
La fraction se voulant éclairée de l’élite néolibérale africaine, préoccupée par la « Renaissance Africaine », cet avatar de la version senghorienne de la négritude, a mis en chantier l’Union Africaine (1999), copie non conforme de l’Union Européenne [20], née en juillet 2002 des cendres de la déjà néocoloniale Organisation de l’Unité Africaine (OUA). L’Union Africaine étant censée conduire à terme le projet d’intégration continentale, de la Méditerranée à l’Océan Indien, dont les essais sous-régionaux, des décennies écoulées, ne sont pas louables. Mais, en même temps, les États cofondateurs mènent des politiques xénophobes, faisant des ressortissants des autres pays subsahariens des boucs émissaires de l’échec de leurs politiques sociales marquées par le néolibéralisme : expulsion et destruction des villages de petits pêcheurs ouest-africains du Gabon ; affirmation de « l’ivoirité » contre les originaires du Burkina, du Ghana, de Guinée, du Liberia et du Mali voisins en Côte d’Ivoire ; violences impunies sur les Africains subsahariens en Libye (le président libyen M. Khadafi étant le principal chantre de l’UA) ; préférence nationale contre les travailleurs immigrés mozambicains (importante force de travail sous l’apartheid constitutionnel) et autres subsahariens en Afrique du Sud (Nelson Mandela étant vénéré en Afrique subsaharienne, Thabo Mbeki étant le principal chantre de le « Renaissance Africaine »). Sans parler des guerres entre États voisins (Éthiopie-Erythrée, Guinée-Liberia, Tchad-Centrafrique, Rwanda-R.D. du Congo).
Cette Union Africaine a pour programme économique le Nouveau partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD, acronyme anglais). Programme, répète-t-on à satiété, « conçu par des Africains, pour les Africains », mais dont la légitimité n’a pas été recherchée par consultation populaire, même limitée aux sociétés civiles. C’est plutôt l’impérialisme qui a été consulté : multinationales réunies à Dakar (avril 2002) et le G8 à Kananaskis (Canada), où a été adopté le Plan d’Action du G8 pour l’Afrique. Les chefs d’États-chantres du NEPAD, ayant pris un plaisir particulier et intéressé à gober les couleuvres de « l’aide des pays riches au développement », ont aussi décoré les récents sommets de Davos et le G8 d’Evian. L’État français ayant même son délégué au NEPAD, l’ancien directeur du FMI, Michel Camdessus... La seule consultation africaine étant celle des « entrepreneurs privés » censés représenter toutes les sensibilités de la société civile en Afrique.
L’ambition du NEPAD est de jeter les bases du décollage économique de l’Afrique « parvenir à une croissance annuelle moyenne du produit intérieur brut de plus de 7 % et s’y maintenir pendant les quinze prochaines années » et d’ici à l’an 2015 « réduire de moitié... le pourcentage des gens vivant dans des conditions d’extrême pauvreté », grâce aussi à un apport extérieur de « 64 milliards de dollars » (devant « combler le déficit annuel de 12 % de son PIB »), à l’allégement de la dette et à la transformation de l’aide publique au développement... [21] Il s’agit en fait d’une soumission volontaire au Consensus de Washington, projet économico-social néolibéral relativement renégocié, dans lequel les objectifs du développement social, favorables à la majorité, ont un air incongru.
Il n y a pas, dans ce NEPAD, de revendication de l’annulation inconditionnelle et globale de la dette publique extérieure dont le remboursement asphyxie les budgets sociaux des États. Il n’y a pas d’arrêt du processus de privatisation des entreprises publiques stratégiques qui accroît l’hétéronomie financière (arrêt qui devrait être suivi d’une renationalisation, avec au moins gestion transparente, des entreprises déjà privatisées). Bien au contraire, puisqu’il s’agit de « partenariat » avec les entreprises privées, les États font de plus en plus preuve de zèle dans le processus de privatisation. Ainsi, par exemple, au Nigeria, qui reçoit le plus d’investissements ces dernières années, la réélection d’Obasanjo (2003), président du Comité de mise en oeuvre du NEPAD, est aussi la programmation de la privatisation des entreprises les plus stratégiques de l’État nigérian. Par ailleurs le ministère de l’Économie a été confié à une haute fonctionnaire nigériane de la Banque mondiale... Sont aussi exclus du programme : la restauration améliorée des droits sociaux universels en général et des droits des salariés en particulier, mis à mal par les nouveaux Codes de travail, néolibéraux, adoptés partout dans le cadre de l’ajustement structurel. Il n’est pas question de restaurer les mécanismes de protection de la petite production face aux multinationales paupérisantes. Les Codes des investissements établissant l’égalité entre les multinationales et les petits entrepreneurs locaux font partie des mesures structurelles néolibérales... Il s’agit en fait d’une utopie socialement néfaste, en cas de non-résistance organisée et émancipatrice des peuples africains. Utopie dont la mise en chantier se limiterait à l’établissement d’un grand marché pour les multinationales de construction et d’équipement. Les chantres du NEPAD (Bouteflika d’Algérie, Mbeki d’Afrique du Sud, Obasanjo du Nigeria, Wade du Sénégal) attendent des multinationales une grande participation au financement dudit programme. Mais le soutien des multinationales a été conditionné par la réunion des garanties de sécurité et de rentabilité de leur apport financier.
Soumission hiérarchisée
Il s’agit donc ni plus ni moins que d’un projet de reproduction néolibérale de la domination impérialiste dont des fractions de la bourgeoisie africaine, en général, attendent un profit non négligeable. Conscientes qu’en capitalisme le partenariat ne peut être que hiérarchisé, même entre impérialismes, dont les complicités et rivalités seront dans ce cadre plus déterminantes pour l’avenir de l’Afrique que les ambitions de cette non-démocratique Union Africaine. L’impérialisme, cela va de soi, ne pourrait financer un programme qui annihilerait son emprise sur les richesses africaines. Ainsi, le capital privé sud-africain, (intégrant en permanence des cadres de l’ANC, une infime minorité de l’élite noire) ambitionne une posture de mini-puissance, en Afrique subsaharienne en particulier, dans toute l’Afrique en général. La fin de l’apartheid était aussi, pour la partie éclairée de la bourgeoisie sud-africaine, nécessaire pour accéder au marché continental, accès limité à trop peu de pays à cause de boycott par l’OUA. Depuis, le capital sud-africain, à la faveur de la privatisation des entreprises d’État et de la libéralisation des marchés, se trouve en concurrence dans certains secteurs (infrastructures portuaires, exploitation minière, etc.) avec le capital non africain. La « Renaissance Africaine » réellement promue par Thabo Mbeki dans le sillage de Nelson Mandela, aussi partisan du néolibéralisme, malgré tout c’est surtout cette expansion continentale du capital privé sud-africain, des îles de l’Océan Indien à la façade africaine de la Méditerranée.
En fait avec le NEPAD l’économie devrait être essentiellement privée et entre les mains des multinationales surtout. Pour autant l’on ne cesse de parler d’économies nationales africaines ou de l’économie africaine, alors qu’il s’agit plutôt des capitaux surtout « occidentaux » investis en Afrique échangeant avec des capitaux « occidentaux » d’ailleurs.
Malgré son « africanité » en permanence proclamée, il n’y a pas de consensus populaire autour du NEPAD. La non-consultation des sociétés civiles nationales est très critiquée par des ONG de développement et de défense des droits humains. Il s’agit souvent de critiques souhaitant des amendements du dit programme, sans remise en question fondamentale du paradigme néolibéral dans lequel il s’inscrit. Tel a été le cas de la quasi-totalité des intervenants africains sur le NEPAD au Sommet Pour un Autre Monde (SPAM), d’Annemasse, dans le cadre du « contre-G8 » d’Evian. Mais, il existe une dynamique encore très minoritaire, symbolisée par le Forum des peuples de Siby (Mali) et Jubilé Sud (Afrique), qui inscrit sa critique radicale du NEPAD dans le cadre de l’altermondialisation : annulation inconditionnelle de la dette publique extérieure, rejet du Consensus de Washington La privatisation et la cessation des subvention des prix des produits de première nécessité, par exemple, sont de nouveau très contestées dans certains pays, le syndicalisme connaissant une espèce de réveil. Ainsi au Nigeria, où en l’espace de deux ans les syndicats pétroliers ont pu réussir deux grèves générales en réaction à la hausse des prix des produits pétroliers à la pompe. Celle de juin-juillet 2003 a quasiment paralysé le Nigeria pendant une semaine, jusqu’à l’obtention d’un compromis avec le gouvernement d’Obasanjo, à la veille de la tournée de G.W. Bush.
Cependant, dans presque tous les pays d’Afrique subsaharienne, il manque un pôle de radicalité politique pouvant converger avec les secteurs progressistes de la « société civile » et le mouvement syndical. La « démocratisation » marquée par la « fin du communisme » a favorisé un certain reflux de la conscience anti-néocoloniale capitalisé par les partis limitant leurs ambitions à l’alternance au pouvoir d’État néocolonial. Ainsi la dégradation des conditions sociales d’existence arrive à faire bon ménage avec la prolifération des partis oligarchiques néolibéraux.