- Olivier Neveu
- © Crédits : Anne Julien.
En ce moment, à la Comédie Française, on peut voir une mise en scène par le Belge Ivo Van Hove de Electre et Oreste, d’Euripide. Rappel de l’histoire telle qu’elle démarre dans le texte : Electre veut venger la mort de son père, Agamemnon. Il a été assassiné par sa mère Clytemnestre. Electre pousse donc son frère Oreste à accomplir le matricide. Cet acte sacrilège est souvent présenté dans les représentations théâtrales comme un acte légitime, justifié, presque juste. Au meurtre de leur père, les enfants ne pouvaient que répondre par le meurtre de leur mère.
Mais sur la scène de la Comédie Française, lorsque Clytemnestre s’avance, ce n’est pas une hystérique qui s’exprime, c’est une femme raisonnable et sensée et elle a ses raisons : si elle a tué Agamemnon c’est parce que son époux avait lui-même sacrifié une autre de leurs enfants, Iphigénie.
Pendant très longtemps, on a défendu l’idée que la relecture des classiques pouvait être un véritable enjeu politique, auquel je crois vraiment. On pourrait se dire que la politique peut effectivement résider dans une certaine façon de se poser la question de qui est défendable, qui ne l’est pas, qui est audible, qui est inaudible. Quelque chose peut venir désordonner nos perceptions coutumières, qui vient mettre un peu de désordre à l’intérieur d’un ordonnancement constitué. Olivier Neveux
- Pierre-Narcisse Guérin, « Clytemnestre hésitant avant de frapper Agamemnon endormi », 1817, musée du Louvre (Inv. 5185)
- Crédits : Domaine public via Wikipedia.
Ce que dit cette mise en scène du Belge Ivo Van Hove, c’est qu’on ne peut plus réduire Clytemnestre au cliché habituel : la mère sans cœur, l’hystérique sanguinaire assoiffée de pouvoir.
Ce changement d’optique, de focale, est-il politique ? Est-ce que faire de Clytemnestre une héroïne dont le geste peut se plaider, c’est faire du théâtre politique ?
Cette question, je voudrais la poser à notre invité du jour, Olivier Neveux, qui vient de publier, aux éditions la Fabrique, Contre le théâtre politique.
Le théâtre est une chambre d’écho. Quand on assiste à un spectacle, on y assiste en étant lourd, chargé, saturé de ce qu’on a vécu dans la journée, de la presse qu’on a lue, de l’époque dans laquelle on vit. Il est évident que les artistes créent avec cette chose-là. Olivier Neveux
Cet essai décortique les liens entre le théâtre et la politique. C’est un livre réjouissant qui multiplie les pistes de réflexion, qui attaque, qui défend, polémique, creuse, qui prend le temps et permet la distance. Un livre qui donne, vraiment, beaucoup de grain à moudre.
Cette inflation du signifiant politique s’inscrit dans une conjoncture néo-libérale. Le néo-libéralisme a à voir avec l’extinction, la disparition progressive de la politique, au sens où la politique est un lieu de conflictualité, de délibération, d’alternative. Nous sommes dans une société bureaucratiquement administrée avec une chose qui devient de plus en plus univoque (...) ce qui est intéressant, c’est l’inflation du terme politique dans le champ artistique au même moment où la politique subit des assauts très forts de la part de la classe politique. Olivier Neveux
À voir À découvrir
Electre/Oreste d’Euripide, mise en scène d’Ivo van Hove à la Comédie française, jusqu’au 3 juillet 2019. La pièce sera également projeté au cinéma le 16, 17, 18 juin prochain.
Bibliographie
Olivier Neveux, Contre le théâtre politique, La Fabrique, 2019.
Intervenant
Olivier Neveux, professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon.
Description
« Un impératif politique pèse sur le théâtre public contemporain. Il est sommé de créer du « vivre ensemble » et de parler du monde. Le théâtre doit s’impliquer dans la réalité, la documenter voire la critiquer.
Ce livre s’intéresse à la multiplication de ces spectacles citoyens ou engagés. Il tente d’en cerner les enjeux et, par là, de réfléchir au statut et au devenir de l’art par gros temps néolibéral. Non pas que la politique serait préjudiciable au théâtre ; Olivier Neveux prend le parti inverse : celui de la rencontre possiblement fructueuse des deux. Contre le théâtre politique signifie contre ce qui neutralise le théâtre et la politique dans le conformisme de leur alliance.
L’ouvrage saisit l’occasion de spectacles contemporains, mais aussi l’histoire, pour réfléchir à la possibilité qu’ont les œuvres de porter quelques coups à la réalité de la domination tout autant qu’à la domination de la réalité. Des coups incomparables, propres à ce que seul le théâtre permet. »
L’émission
Durée : 30’41’’