Les militants de gauche ont de nombreuses très bonnes raisons de contester les dirigeants libéraux du Parti Démocrate, qui mettent l’accent sur la stratégie électorale pendant qu’au quotidien ils trahissent les idéaux progressistes. Malheureusement, à l’échelle nationale, le Parti Vert envoie aujourd’hui de nets signaux illustrant la tendance inverse : mettre l’accent sur des idéaux admirables, mais sans stratégie crédible.
Il est impossible de savoir si, en nombre de voix, la différence entre Bush et son concurrent démocrate sera faible ou importante en novembre 2004. Je n’ai jamais entendu un argument crédible pour expliquer qu’une campagne Nader pourrait aider à la défaite de Bush l’an prochain. Une campagne Nader pourrait n’avoir aucun effet significatif sur les chances de Bush — ou bien elle pourrait s’avérer une aide à la victoire de Bush. Si l’on considère l’importance des enjeux, voulons-nous vraiment nous en remettre au sort de cette manière ?
On nous dit qu’une campagne Nader aiderait à construire le Parti Vert. Mais les chances que Nader approche son score de 2000 — 2,8 millions de voix à l’échelle nationale — sont très minces : il est beaucoup plus probable que sa campagne de 2004 obtiendra beaucoup moins de suffrages, ce qui passera difficilement pour le témoignage d’un développement national du parti, ou d’une contribution à ce développement.
Des militants prétendent que les Verts feront pression sur le parti Démocrate en affichant la ferme intention de présenter un candidat aux élections présidentielles. Je pense que c’est fondamentalement une illusion. La perspective d’une campagne présidentielle des Verts a de très faibles répercussions sur la bataille pour la désignation du candidat démocrate, et il n’y a pas de raison pour que cela change. Les démocrates sont à peu près assurés de désigner un porte-parole « modéré ».
Howard Dean [1] doit être classé dans cette catégorie. Prenons-le au mot : « J’étais un centriste avant que Clinton ne le soit. De toute mon âme, je suis modéré. ». Si Dean devient le candidat Démocrate l’an prochain, à ce moment-là, il y aura beaucoup de bonnes raisons pour le considérer comme un instrument utile pour battre Bush. Mais, dans le même temps, l’appui et l’énergie des progressistes devront aller ailleurs.
« Hors du champ de bataille »
Il y a une tendance gênante au sein du Parti Vert à mettre dans le même panier les Démocrates et les Républicains. Oui, les programmes des deux partis dominants se recoupent. Mais ils diffèrent également. Et à bien des égards, n’importe quel prétendant Démocrate serait franchement meilleur que Bush — à l’exception de Joseph Lieberman [2], dont la nomination apparaît tout à fait improbable.
Pour la gauche, se situer « en dehors du champ de bataille » serait une grosse erreur. Que le gang de Bush revienne ou non au pouvoir pour quatre années supplémentaires, voilà qui devrait nous concerner au plus haut point — plutôt que de susciter l’indifférence ou un intérêt mitigé.
Je ne suggère pas que les progressistes ne doivent plus faire entendre leur voix. Il est toujours impératif de continuer à se faire entendre et à s’organiser. Comme Martin Luther King Junior le disait en 1967 : « Quand les machines et les ordinateurs, la recherche du profit et les droits de propriété sont considérés comme plus importants que les gens, le trio infernal du racisme, du militarisme et de l’exploitation économique ne peut pas être renversé. » La gauche devra continuer à dénoncer toutes les propositions et les politiques destructrices, qu’elles émanent des Républicains ou des Démocrates.
Mais nous ne devons pas nous dissimuler le fait que l’équipe de Bush se rapproche de certaines particularités du fascisme dans sa gestion quotidienne — et des forces dans l’administration Bush seraient bien placées pour aller encore plus à droite après 2004. Nous n’avons pas envie de découvrir quel degré de fascisme pourrait atteindre un second mandat de Bush. Les circonstances désastreuses actuelles devraient nous arrêter net et nous forcer à réévaluer notre approche de 2004. La gauche a la responsabilité de contribuer à battre Bush l’an prochain, à travers une large coalition.
Élever les enjeux
Aucun doute, trop de dirigeants du Parti Démocrate ont été arrogants à l’égard des militants du parti Vert. Tom Hayden le faisait récemment remarquer dans un article sur Alternet : « Les démocrates doivent regarder la réalité et se rendre compte que s’ils évoluent trop à droite, des millions d’électeurs vont leur faire défection ou voter pour des candidatures alternatives. Bien que ce soit pour eux dur à avaler, les Démocrates doivent admettre le droit du Parti Vert et de Nader à exister et à se présenter. » Mais Hayden ajoutait de façon convaincante : « Nader et les Verts doivent se confronter à la réalité. L’idée que les deux partis dominants sont d’une manière ou d’une autre identiques peut être un argument pour construire un Troisième Parti, mais elle insulte l’intelligence de millions de Noirs, Latinos, femmes, homosexuels, écologistes et syndicalistes qui ne peuvent pas se permettre le luxe d’une autorité Républicaine. »
La présidence de George Bush n’est pas une administration républicaine ordinaire. En déchaînant sa politique dans ce pays et ailleurs dans le monde, le gang de Bush a radicalement élevé les enjeux de la prochaine élection.
Dans un essai paru en août, Michael Albert, de Z Magazine, a écrit : « Un effet de l’élection que nous voulons obtenir est la retraite de Bush. Aussi mauvais que puisse s’avérer être son remplaçant, le remplacement de Bush va améliorer l’état de la planète et ses chances de survie. Bush ne représente pas toute la classe dirigeante et l’élite politique, mais seulement une petite partie de celles-ci. Cette partie, pourtant, essaie d’influer sur le cours des événements de telle sorte que le monde soit dirigé comme un empire américain, et que les programmes et les rapports sociaux qui ont été conquis au cours du siècle précédent soient également démantelés. Ce que ces objectifs parallèles sur les plans national et international ont en commun, c’est qu’ils visent à enrichir et rendre encore plus puissants ceux qui sont déjà très riches et très puissants. »
Regardant au-delà de l’élection, Albert vise également juste : « Nous voulons que n’importe quelle administration en place après le jour de l’élection ait sur les bras un mouvement d’opposition déterminé qui ne se contente pas d’un Armageddon simplement ralenti, mais qui réclame plutôt des progrès sociaux innovants et offensifs. Nous voulons qu’un mouvement post-électoral ait plus de conscience, plus d’espoir, plus d’infrastructures et une meilleure organisation, en raison de l’approche qui aura été la sienne lors du processus électoral. »
Je suis un Vert. Mais, ces jours-ci, dans la bataille pour la Présidence, je ne suis pas un Vert. Ici, aux États-Unis, le Parti Vert doit faire avec un système électoral très différent du système parlementaire qui a constitué un terreau fertile pour les partis Verts en Europe. Nous sommes confrontés au système états-unien du winner takes all [3]. Oui, il y a des efforts en cours pour mettre en place un système électoral plus démocratique et plus proportionnel, mais ces efforts ne vont pas transformer le paysage électoral dans la décennie à venir. Et nous devons nous concentrer sur cette décennie, précisément parce qu’elle va ouvrir la voie aux suivantes.
À l’heure actuelle, c’est un secret de polichinelle que l’an prochain Ralph Nader sera à nouveau dans la course présidentielle. Nader a été un militant progressiste brillant et une source d’inspiration depuis plusieurs décennies. J’ai soutenu ses campagnes présidentielles en 1996 et en 2000. Je ne le ferai pas en 2004.
Les raisons de ce choix ne concernent pas le passé, mais le futur.