Mai-juin 2003 : une nouvelle secousse sociale et politique

, par SABADO François

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Dix ans après la révolte antilibérale de l’hiver 1995, contre le plan Juppé, le pays vient de connaître une nouvelle secousse sociale et politique. D’une ampleur exceptionnelle, plus forte qu’en 1995.

Des millions de travailleurs y ont participé. De nouvelles générations de salariés sont entrées en lutte. Presque toutes les villes et communes du pays ont connu des manifestations.
— Une grève générale enseignante reconductible, de plus de deux mois dans certaines régions. Phénomène historique, sans précédent depuis Mai 68.
— Six journées d’action, de manifestations et de grèves — les 13 et 19 mai, les 3, 10 juin et 19 juin —, précédées par deux grandes journées de mobilisation les ler février et 3 avril, et une manifestation nationale historique, le 25 mai, sans oublier le 1er mai 2003. Plusieurs millions de salariés ont ainsi participé au mouvement !
— Des grèves générales reconductibles partielles dans une série de secteurs, tels que la SNCF, la Poste, France Telecoms, les impôts, les territoriaux, l’Anpe...
— Une participation significative du secteur privé aux journées-temps forts des mobilisations, plus forte qu’en 1995, et plus importante dans les villes de province que dans la région parisienne.
— La mise sur pied, sous l’impulsion des enseignants le plus souvent, « d’inter-pros » de villes, de quartier, prenant de nombreuses initiatives de mobilisations.
— Des grèves générales régionales reconductibles, d’un type particulier, dans une série de regions, notamment dans les Bouches-du-Rhône et dans le Puy-de-Dôme, des mobilisations exceptionnelles à Toulouse, Montpellier, Rouen...
Telles sont les principales manifestations d’une lame de fond qui a déferlé sur tout le pays.

La force sociale du mouvement, avec ses limites, jette un nouvel éclairage sur les rapports de forces sociaux et politiques du pays. Cela confirme une nouvelle fois la résistance de larges couches de la population à la contre-réforme libérale. Depuis une vingtaine d’années, les classes dominantes relayées par les gouvernements successifs ont marqué une série de points contre le monde du travail : restructurations, déréglementation, privatisations, baisse des salaires, montée de la précarité... Ils ont affaibli, parcellisé et divisé les salariés. Mais toutes ces attaques n’ont pas eu raison de la résistance des classes populaires : le libéralisme n’a pas conquis le pays. C’est un point capital de l’analyse de la situation politique nationale. Dans le même temps, ont pesé sur le débouché de la lutte la transformation social-libérale de la gauche traditionnelle, le « recentrage » des secteurs dominants du mouvement syndical vers un syndicalisme de négociation, les effets négatifs de la crise de conscience, d’organisation, et de direction du mouvement ouvrier, les faiblesses face à cette dérive d’une alternative anticapitaliste... Le mouvement a été assez fort pour entraîner des millions de salariés dans la mobilisation, mais il ne s’est pas transformé en crise politique ouverte, globale, posant la question du pouvoir.

La mobilisation du printemps 2003 est, à sa manière, la réponse du mouvement social au 21 Avril 2002. Ce jour-là, la crise sociale et politique latente qui couvait depuis des années, le désaveu des partis traditionnels, se sont manifestés de manière spectaculaire avec la poussée du Front National et sa présence au 2e tour de la presidentielle. Les commentateurs avaient relativisé un autre phénomène politique : les 3 millions de voix qui s’étaient portées sur l’extrême gauche. Aujourd’hui, cette même crise s’est traduite par l’irruption de millions de salariés sur la scène politique et sociale, pour tenter de répondre par l’action et la mobilisation sociale aux problèmes posés par la politique libérale menée depuis des années. Le 21 Avril a mis en lumière la réponse nationaliste, réactionnaire au libéralisme. Le printemps 2003 propose une réponse « luttes de classes ».
Ces grèves s’inscrivent dans une situation d’accumulation des tensions et de polarisation sociale et politique. Ce qui explique l’organisation en fin de mouvement de la manifestation réactionnaire des antigrévistes. Dans ce contexte, le gouvernement n’est pas parvenu durant le mouvement à gagner la bataille de l’opinion. Au contraire, plus de 60 % des sondés ont manifesté, en pleine mobilisation, leur sympathie pour le mouvement.
La grève a renforcé une crise de légitimité des institutions. Elle rappelle que Chirac n’a rassemblé que 19 % des voix au ler tour de la présidentielle. Contrairement aux déclarations de Raffarin, pour lequel la « rue ne gouverne pas », la mobilisation de millions d’enseignants, d’employés, d’ouvriers est apparue, aux yeux d’une partie de l’opinion, aussi légitime, sinon plus, que la majorite UMP à l’Assemblée.
Le gouvernement a cherché l’épreuve de force, en accumulant les projets de réforme : retraites, decentralisation, autonomie des universités... Sous la pression de la grève, il a dû reculer en partie sur ces deux derniers projets. Et s’il a gagné sur l’enjeu clé : la loi Fillon sur les retraites, il sort contesté par la puissance sociale du mouvement. L’assise du gouvernement ne semble pas être renforcée par l’issue de l’affrontement. Nous n’avons pas une situation comparable à celle de la Grande-Bretagne des années 80, lorsque le gouvernement Thatcher avait réussi à écraser la grève des mineurs et à casser durablement le mouvement syndical.
Le gouvernement Raffarin a cherché et réussi à obtenir la signature d’une des deux plus grandes confédérations, tout en neutralisant l’autre qui a participé aux négociations durant des semaines. Mais ce scénario n’a pu être conduit jusqu’au bout, du fait de la puissance du mouvement.
Le contexte international actuel n’est plus celui des années Thatcher : la contre-réforme libérale est contestée. Le mouvement anti-globalisation est passé par là... Il est trop tôt pour apprécier, secteur par secteur, les leçons qui seront tirées du mouvement, mais on ne peut exclure l’hypothèse qu’une victoire du gouvernement sur les retraites ne signifie pas que le mouvement social sorte vaincu de la bataille.
Une mobilisation sociale exceptionnelle, des millions de salariés mis en mouvement, une « grève générale potentielle »... Pourquoi n’y a-t-il pas eu de « grève générale » ? Certaines explications sont liés à la situation générale du monde du travail : un affaiblissement global du mouvement ouvrier traditionnel, le poids des pressions patronales dans le secteur privé. La hauteur des enjeux sociaux et politiques dans ce contexte général a aussi provoqué une série d’hésitations, d’interrogations, a mis des freins à la mobilisation. Depuis des mois, la réforme des retraites était présentee comme un impératif démographique, technique, imposant l’alignement des fonctionnaires sur les mesures prises en 1993 pour les salaries du privé. Et le consensus entre gauche et droite pour imposer au public le passage aux 40 annuités s’était manifesté en mars 2002 au sommet de Barcelone.

Les directions des condérations syndicates abordaient ce dossier sur la défensive, refusant de remettre en cause les reculs de 1993 et de défendre les 37,5 annuités pour tous, public-privé. Plutôt que d’assumer une épreuve de force centrale sur un choix de société, elles s’apprêtaient à rechercher le meilleur compromis avec le gouvernement. Raffarin le confirme lorsqu’il explique : « La CGT est un syndicat important : nous pensions qu’elle pouvait adhérer au moins partiellement à la réforme. Sans doute, son analyse de la mobilisation du 13 mai l’a-t-elle conduite à des positions plus tranchées. » La plate-forme du 7 janvier, et aussi le congrès CGT, témoignaient de cette orientation. Pourtant, le vote des salariés de l’EDF en janvier 2003 marquait déjà le décalage entre ces orientations d’accompagnement et l’état d’esprit des salariés. Et les mots d’ordre scandés dans les manifestations du 1er février et du 3 avril donnaient une place centrale aux revendications traditionnelles du mouvement syndical, notamment le retour aux 37,5 annuités...

Le mouvement de grève de l’Éducation nationale, sa transformation en grève générale reconductible a bouleversé les données. En prenant la tête de l’épreuve de force, les enseignants ont aussi donné au mouvement un contenu revendicatif radical, ils ont dessiné la réponse alternative permettant le lien public-privé, ils se sont faits les propagandistes de ces réponses avec les réunions enseignants-parents et la mise sur pied d’« interpros ». Cette situation a créé un changement d’état d’esprit des salariés quant au fond de la réforme des retraites. Il s’est opéré un basculement entre les mois de février-mars et les mois d’avril, mai et juin, lorsque, selon les enquêtes d’opinion, la majorité des personnes interrogées demandait le retrait du plan Fillon et l’ouverture de nouvelles négociations. Cela n’effaçait pas dans certains secteurs des problèmes de division syndicale ou de mobilisations minoritaires, ni la réelle impréparation de nombreuses équipes syndicales à la nécessité de l’épreuve de force et à la possibilité de l’assumer par une grève générale. Il faut aussi souligner les limites des mobilisations dans la jeunesse scolarisée. À la différence de 1986 et 1995, les jeunes n’auront participé que très partiellement aux manifestations, même si leurs mobilisations ont été plus importantes dans certaines villes de province, notamment au moment des examens dans les universités. Mais, malgré ces obstacles, le mouvement parvenait à se frayer un chemin, s’étendait, gagnait toutes les couches de la société. Les journées d’action des directions confédérales, qui devaient segmenter la mobilisation, sont devenues des « temps forts », dans lesquels s’engageaient des centaines de milliers de salariés.

Il a manqué peu de choses pour que le conflit se généralise. Et, sur ce point, la responsabilité des directions confédérales est écrasante. Le rôle de la direction CFDT est entendu. Comme en 1995, elle soutient un gouvernement de droite et adhère à l’accompagnement des réformes libérales. L’accumutation de positions systématiquement social-libérales contre les mobilisations a d’ailleurs provoqué un saut qualitatif dans la conscience d’une série de secteurs de la confédération, ce qui débouche aujourd’hui sur une nouvelle crise aiguë de la CFDT... Mais les directions de la CGT et, à sa manière, de FO n’ont pas voulu d’une grève générale reconductible. Par trois fois, le 14 mai, le 26 mai et le 4 juin, la direction de la CGT, qui est largement majoritaire, a refusé d’engager toutes ses forces pour reconduire les grèves. Entre le 13 et le 26 mai, en particulier après le 13 mai, existait une réelle possibilité de généraliser les conflits, en particulier à partir de la SNCF. Rappelons les chiffres de grévistes le 13 mai : 65 % de grévistes à la SNCF et à EDF, 60 % à France Telecom, 52 % à la Poste... Des grèves à Thomson, à Avantis, Michelin, les Chantiers de l’Atlantique. La direction de la CGT s’y est opposée, à la SNCF, à la RATP, à la Poste, à France Telecom, en différant la reconduction de la grève... au 3 juin. Quels étaient ses arguments pour ne pas lancer d’appel à la grève générale ?

  • Premier argument : la grève générale ne se décrète pas. Certes, elle se prépare. Mais la question posée était la volonté des directions syndicales d’aller dans ce sens, de se borner des objectifs de mobilisation à la hauteur du bras de fer engagé par le gouvernement, et effectivement à un certain moment d’appeler à la grève générale.
  • Deuxième argument : il nécessite que le privé s’engage. Au nom de cet argument, la CGT n’a avancé ni l’exigence des 37,5 annuités, ni celle du retrait du plan Fillon. En un mot, la CGT ne voulait pas lancer la grève générale de la fonction publique qui aurait pourtant représenté une force d’entraînement décisive. Le secteur privé s’est partiellement engagé dans la bataille, davantage qu’en 1995. De grosses entreprises ont connu des taux de grévistes minoritaires mais significatifs : Renault Cléon, les Chantiers de l’Atlantique, gaz de Lacq, Michelin... De nombreuses petites entreprises ont débrayé, en province, pour aller aux manifestations. Dans le privé, peut-être plus qu’ailleurs, un appel à la grève générale pouvait constituer un élément important du rapport de forces. La crainte d’une opposition public-privé, et de l’utilisation populiste qu’aurait pu faire Le Pen d’une grève des fonctionnaires, trouvait pourtant un cinglant démenti dans la popularité du mouvement, malgré un puissant travail de propagande gouvernementale relayé par les médias.
  • Troisième argument : les grèves étaient trop minoritaires pour continuer. Là aussi, la question doit être discutée dans le détail. À la SNCF, les grèves des 14 et 15 mai étaient minoritaires, mais plus importantes qu’en 1995. Dans une telle situation d’ensemble, les grèves minoritaires, lors d’une première phase, peuvent avoir une signification majoritaire... Minoritaires au début, elles pouvaient, comme dans l’enseignement, devenir des grèves majoritaires. Non, il manquait la volonté politique ! Déstabilisée par l’accord CFDT/gouvernement, et par une mobilisation enseignante exceptionnelle, la direction de la CGT a refusé une convergence des luttes qui aurait debouché sur un mouvement qu’elle n’aurait plus contrôlé. Comme l’indique une interview de Le Duigou au journal Le Monde la direction de la CGT a mis en oeuvre sa stratégie de « re-syndicalisation » : « Notre stratégie n’est pas politique. Elle ne vise pas à abattre tel ou tel gouvernement ou à démontrer que celui-ci est un gouvernement de droite... Il n’y a pas de mot d’ordre, fût-il celui de la grève générale, que la CGT n’a d’ailleurs lancé que dans des conditions exceptionnelles... » En clair, la CGT ne devait pas ouvrir de crise politique gouvernementale. Alors que, face au gouvernement, il fallait concentrer le tir, centralisé l’affrontement, elle a essoufflé le mouvement de masse par des journées d’action à répétition. Le choix d’une pseudo-stratégie de construction du mouvement sur la longue durée, autour d’une succession de journées d’action, a ainsi conduit Bernard Thibaut à déclarer, à France Europe Express, le 15 juin, presque deux mois après les premiers jours de mobilisation « qu’on était au début du mouvement » ! Il faut mettre en rapport ces choix avec une évolution en profondeur de la CGT : l’unité avec la CFDT comme axe stratégique, le type d’intégration à la CES, l’évolution sur une série de questions revendicatives, bref un recentrage vers un syndicalisme de négociation... Quant à la direction de FO, elle a lancé tardivement le mot d’ordre de « grève générale interprofessionnelle », pour marquer le coup, mais elle aura pendant tout le mouvement adhéré au calendrier de la CGT. Seules la FSU — en phase avec la pression du mouvement et les propositions des secteurs les plus combatifs de la fédération — et l’Union syndicale G10 Solidaires auront sous des formes propres posé la question de la grève générale.

Ce débat doit être mené dans tout le mouvement syndical et politique, car il indique des lignes de recomposition pour l’avenir. Mais, pour le mener, il faudra prendre en compte, la diversité des réactions et de la prise de conscience selon les secteurs et l’expérience vécue. Si les secteurs les plus avancés tirent les enseignements de la tactique CGT, d’autres considérent la CGT et FO comme les syndicats qui ont organisé la mobilisation.

La massivité est une des caractéristiques du mouvement, mais la détermination des secteurs les plus combatifs lui a aussi imprimé une dynamique tout à fait exceptionnelle. La puissance de la mobilisation a d’abord contourné la division syndicale résultant de l’accord entre le gouvernement et la CFDT. L’appareil de la CFDT n’a pu empêcher le développement de la lutte. Entraînés par les enseignants qui ont realisé leur unité, au travers de leurs assemblées générales, de leurs syndicats et de leurs coordinations, les autres secteurs ont, en général, organisé leur mobilisation de manière unitaire. Dans certaines régions, ce sont les Unions départementales, y compris dans certaines régions avec les UD-CFDT, qui appelaient aux mobilisations. Dans le milieu enseignant ce sont les coordinations d’établissements en lutte et les fédérations syndicales qui organisaient le mouvement. Dans la région rouennaise, c’est un comité de liaison interprofessionnel, autour principalement du comité de grève éducation nationale puis des comités de grève cheminots, qui a organisé une coordination interprofessionnelle de délégations syndicales et d’assemblées générales... La démocratie s’est exercée au travers des assemblées générales. C’est cette démocratie qui s’est déployée, dans les rencontres inter-professionnelles, entre assemblees générales de secteurs en gréve ou en lutte. Ces rencontres ont permis de tisser une série de liens entre les animateurs du mouvement dans les différents secteurs. Les contacts entre assemblées générales ont permis de poser des jalons pour l’extension du mouvement. Ce processus d’auto-organisation, mêlant AG et sections syndicates dans la lutte et coordinations inter-pros à la base, est un des acquis fondamentaux de ce mouvement, prometteur pour l’avenir.

Ce mouvement aura des conséquences sur le plan de la recomposition syndicale. Mais d’ores et déjà une perspective de réorganisation syndicale doit prendre appui et sur le contenu et sur la dynamique du mouvement. Sur le contenu, le triptyque revendicatif — 37,5 annuités, 60 ans, 75 % taux de remplacement — et la nécessité de s’attaquer aux profits capitalistes peuvent constituer un point d’appui important pour dessiner une démarche revendicative syndicale. Il est clairement porteur d’une alternative de choix de société qui, face au libéralisme, se retrouve dans tous les dossiers sociaux présents et à venir : retraites, services publics, protection sociale... Quant à la dynamique, les propositions pour construire une grève générale reconductible doivent nourrir une relance d’un syndicalisme combatif. Cela dessine les contours de relations intersyndicales unitaires entre toutes les organisations et sections syndicales qui se sont engagées dans le mouvement. Cela devrait conduire à soutenir toute relance de propositions du type « comité de liaison unitaire » pour regrouper toutes les organisations syndicales disponibles pour un syndicalisme unitaire de transformation sociale. Le mouvement dégage de nouvelles possibilités de relations unitaires liées au mouvement. Alors que l’axe CGT-CFDT est devenu problématique, se sont affirmées des convergences entre la FSU, l’US G10-Solidaires, la CGT et les « CFDT en colère ». Il crée aussi de nouvelles conditions pour favoriser les convergences des courants les plus combatifs. Il ouvre aussi la possibilité d’accords d’appareil entre la direction de la FSU, de la CGT et de l’UNSA. II existe la possibilité de créer les conditions pour que la dynamique du mouvement se traduise dans les avancées vers une recomposition d’un mouvement syndical combatif et de transformation sociale.

Sur le plan politique, le bilan confirme le décalage entre les partis de l’ancienne gauche plurielle et les exigences du mouvement. Il confirme aussi l’existence d’une gauche radicale, en phase avec ces exigences, dont les militants ont été totalement investis dans le mouvement et dont les réponses politiques esquissent un projet de société fondé sur les besoins sociaux, mettant à nouveau à l’ordre du jour la nécessité d’une force à même de le porter. Il y a bien deux gauches, l’une d’accompagnement du libéralisme, l’autre clairement anticapitaliste. L’effet « congrès de Dijon » du PS, réclamant le retrait du plan Fillon, a été annulé par les dissensions internes à ce parti et par la logique des amendements à l’assemblee nationale, qui s’inscrivaient dans le cadre d’une autre réforme... mais sociale libérale. Les engagements de Jospin au sommet de Barcelone se retrouvent dans l’acceptation par la direction du PS de l’allongement de la durée de cotisations. Sans doute le mouvement lui permettra, aprés coup, de se placer en candidat à l’alternance espérant profiter de l’usure du gouvernement Raffarin lors des prochaines échéances électorales... Même si la grève indique une nouvelle fois l’affaiblissement des liens entre le PS et le mouvement social, un secteur important de l’électorat populaire est susceptible de se saisir du vote « socialiste » contre la droite. Les Verts, totalement silencieux dans ce mouvement, ont souscrit à l’approche du PS. Le PCF, collant davantage au mouvement, s’est gardé de toute prise de position sur la mobilisation et la nécessité de la grève générale. Il a rencontré des difficultés à intervenir en tant que force politique propre. Il paie, d’une certaine manière, les effets différés de la catastrophe électorale de Robert Hue lors de l’élection présidentielle. Fondamentalement, les deux partis, Verts et PCF, ne paraissent pouvoir rompre avec les accords électoraux avec le PS, contradictoires avec toute logique de radicalisation sociale.
Cette situation mettrait à l’ordre du jour, d’une part, les appels à l’unité d’action de toute la gauche sociale et politique, sur la base des revendications et des formes de lutte du mouvement, et, d’autre part, la discussion sur les orientations politiques globales, qui faisait apparaître les deux orientations fondamentalement présentes à gauche, deux gauches, une gauche d’amendement de la réforme Fillon, d’accompagnement sociale libérale, et une gauche anti-capitaliste, au coeur de la mobilisation sociale.
Si avec les militants de LO, nous sommes intervenus pour lancer, animer, étendre les grèves, avec cette organisation deux problèmes sont à noter. Le premier, c’est le refus de porter l’objectif de grève générale : problème de terminologie ou divergence d’appréciation sur la dynamique du mouvement ? Le deuxieme renvoie à la démocratie dans le mouvement de masse. Pour LO la question clé, comme ils l’ont déclaré dans un débat lors de la Fête de LO, « c’est l’efficacité de la lutte, la démocratie ne renvoie qu’aux formes de la lutte ». Du coup, les coordinations ne sont envisagées que comme le rassemblement des radicaux autour de LO, et non comme l’expression d’un mouvement de masse auto-organisé, unitaire et démocratique. Tous les mécanismes démocratiques de représentation du mouvement dans des coordinations élues sont ainsi relativisés. Nous sommes intervenus « côte à côte », et pas « ensemble ». Néanmoins, pour le grand public, les militants d’extrême gauche ont poussé dans le même sens, ce qui nous donne des responsabilités particulières.

La situation sociale et politique francaise reste exceptionnelle. En une année, le pays aura connu trois vagues de mobilisation rassemblant des centaines de milliers voire de millions de personnes : contre Le Pen, contre la guerre, contre les réformes libérales.

Le point positif essentiel, dans cette bataille, c’est l’émergence de nouvelles générations d’animateurs des luttes, de ces syndicalistes, de ces jeunes enseignants animateurs de coordinations. Il est trop tôt pour apprécier leur degré d’engagement dans une action politique de parti, mais il faut discuter les formes d’expression politique de ces milliers de salariés combatifs, pour avancer vers une alternative anticapitaliste. Cela doit passer par des initiatives d’action et de débat rassemblant ces animateurs, afin de rassembler la gauche anticapitaliste. Cette expérience politique aura des conséquences majeures sur la formation, les références et l’entrée en lutte de nouvelles générations. En effet, le fil rouge de ces mobilisations, c’est un rejet de la contre réforme libérale qui épouse des réponses anti-capitalistes, c’est l’appel des assemblées générales à une gauche de combat contre le gouvernement, c’est l’exigence d’une nouvelle perspective qui écarte les combinaisons « de type gauche plurielle ou union de la gauche relookée » et s’appuie sur la dynamique de la mobilisation sociale et d’objectifs de rupture avec le systéme capitaliste.

La mobilisation a fait apparaître à une échelle de masse une réponse qui conteste le fond des contre-réformes libérales, sur le terrain des services publics comme sur celui de la protection sociale : une réponse anticapitaliste. En ce sens, elle est une confirmation sur un autre plan des résultats électoraux de l’extrême gauche. Elle fait aussi durement sentir le manque d’une force politique radicale, organisée, implantée dans tous les secteurs populaires se battant de maniére coordonnée pour la construction de la grève générale. Ces expériences, faites en commun par des courants politiques organisés et surtout par de très nombreux militant-e-s et grévistes, peuvent modifier la donne et créer de nouvelles conditions, plus favorables, pour avancer vers une nouvelle force politique anticapitaliste. En ce sens, la LCR annoncera publiquement des initiatives qui, s’appuyant sur l’expérience des forums réalisés au printemps 2003, permettront d’offrir des cadres d’action et de débats aux militants politiques, syndicaux et associatifs pour débattre du contenu et des contours d’une nouvelle force politique anticapitaliste.

F.S.

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