Paris, le 22 mai 2007
Par ce courrier je démissionne de la LCR. J’aurai pu attendre quelques semaines voire quelques mois, ce qui n’aurait eu aucun sens. La Ligue comme organisation a su, durant les années 1980-1990, préserver intact l’esprit de révolte qui manque souvent à la gauche. Elle est composée de militants exceptionnels, désintéressés et extrêmement utiles, d’une culture politique élevée. Comme élu au Bureau Politique, au Comité Central, à la CNO et à la CNE, j’ai pu mesurer la qualité de ces militants qui, à tous les niveaux de la LCR, se dépensent sans compter pour, dans les entreprises et les associations, résister à la dérive de la gauche vers la droite. J’ai tenté toutes ces années de servir cette cause du mieux possible. J’aimerai donc démissionner de la Ligue en toute amitié militante.
Mais, à mes yeux, seule une gauche de gauche unie, ou confédérée, peut aujourd’hui faire contrepoids à la gauche qui dérive, et à ce qu’annonce Sarkozy. L’auto-satisfaction de la LCR, consécutivement aux résultats du premier tour de la présidentielle, était, sous ce rapport, déplacée. Dans un champ de ruine, sauver sa peau ne donne pas matière à réjouissance.
Et la construction de la seule LCR comme perspective stratégique n’est pas une réponse, dans la mesure où, trop ouvriériste, elle ne parvient toujours pas à intégrer pleinement dans ses campagnes, l’écologie critique, le féminisme, les revendications homosexuelles, de même qu’un socialisme libertaire pragmatique — bref toutes les traditions de lutte : le rouge, le noir, le vert, le mauve. Cette force arc-en-ciel, de toutes les couleurs, reste à inventer, et rapidement. La LCR est la LCR, mais n’est pas cette force.
Je démissionne de la LCR pour des raisons stratégiques et théoriques, exprimées de longue date :
- L’indépendance vis-à-vis du PS est obligatoire, la Ligue l’affirme à juste titre. À condition qu’elle n’enferme pas dans l’impuissance. Je crois, pour ma part, que seule une tension productive entre gauche de gauche et gauche de droite peut servir. Et il s’agit d’être utile, les mains sales si nécessaires : comment, très concrètement, le plus possible, le plus vite possible, changer au maximum les conditions d’existence de ceux qui ne peuvent se satisfaire de proclamations aussi maximalistes qu’inutiles. Ce n’est pas l’extériorité satisfaite qui a pu réduire le rôle des multinationales de l’eau dans la gestion des eaux de Paris, comme Anne Le Strat l’a fait. La gauche critique doit devenir une gauche du « faire ». Au lieu de rester une gauche du verbe.
- Les incantations guévaristes ou « révolutionnaires » m’apparaissent, sous ce rapport, déconnectées de l’enjeu (et, pour tout dire, d’insupportables poses, car personne n’est révolutionnaire antérieurement à une révolution, et les révolutionnaires auto-proclamés ont généralement trahis les processus révolutionnaires). Je ne crois, par ailleurs, ni à « la » rupture, ni au grand soir, ni aux avant-gardes, ni à l’héroïsation en politique, je crois à l’enchaînement des réformes imparfaites et humbles qui, se consolidant, se rectifiant, révolutionnent.
- Les théories du Pouvoir et du Capital, qui s’inspirent de Trotski et prévalent à la Ligue, n’ont pas intégrées, comme l’indiquaient Foucault et Bourdieu, que les pouvoirs et les capitaux sont partout, et partout des relations, non pas des substances, qui de surcroît agiraient « comme un seul homme ». De sorte qu’à la manière proudhonienne, je crois qu’il faut travailler les tensions entre les pouvoirs, et leurs équilibrages libertaires - au lieu de prétendre remplacer « le » Pouvoir (qui n’existe que comme fétiche) par un autre Pouvoir (qui risque fort, pensé dans ces catégories, d’être aussi tyrannique et fantasmatique que le premier).
- Faute d’une théorie de la capitalisation en politique, la LCR reproduit aussi, depuis 30 ans, en son sein, de très conventionnelles monopolisations des pouvoirs de décider pour l’organisation. Je crois, à l’inverse, qu’il faut casser ces vieux modèles de délégation (et d’identification aux leaders).
J’ai cru devoir énoncer ces divergences (connues) car l’engagement politique — débuté il y a 30 ans à la Fédération Anarchiste — est une affaire sérieuse, qui exige d’être, entre nous, transparents. Faut-il répéter toute l’estime que je porte aux militants de la LCR, et la quitter ne s’effectue pas sans peine. Mais j’espère que nous nous retrouverons vite, coudes à coudes, dans les luttes, puisque la Fondation Copernic, depuis 1998, n’a cessé de faire trait d’union entre toutes les composantes de la gauche de gauche.
Amitiés libertaires
Willy Pelletier