« Par quelque bout qu’on le prenne, Picasso ne sera jamais qu’un esprit superficiel doublé d’un pitre. Un pitre fade de surcroît. » En allant voir une petite exposition Dubuffet, où j’ai vu l’unique et magnifique marionnette de l’artiste [1], je me disais que cette citation plairait beaucoup à l’un de nos lecteurs [2] selon lequel l’un des plus grands peintre du XXe siècle, Dubuffet, est un « escroc ».
Picasso a répondu depuis longtemps à son détracteur, roi de l’arnaque aux propos odieux d’ardent défenseur du libéralisme et de ses tares. La citation est en effet de Michel Houellebecq, ce prosateur du tourisme culturel. Qu’a répondu Picasso ? « L’art c’est la totalité de toutes les destructions. »
Cézanne et Van Gogh
À la fin du XXe siècle, Cézanne a dit : « Je cherche à rendre la perspective par la couleur. » En inversant toutes les données en vigueur jusque-là, il a permis un bouleversement de la peinture et la naissance du cubisme. On peut me dire que Van Gogh, c’est bien plus beau que Cézanne, mais cela n’a rien à voir avec le rôle historique de tel ou tel artiste.
Michel Laszlo s’est fait « cartonner » pour avoir dit que Trenet était le plus grand chanteur français du siècle. Un lecteur lui a répondu qu’il préférait untel et untel. Eh bien moi je préfère Ferré, et je suis totalement d’accord avec Laszlo, Trenet est le plus grand et le plus important car, en introduisant la musique afro-américaine dans la chanson française, il l’a bouleversée. Brassens, qui a chanté en duo avec lui, l’a fort bien compris en intitulant une de ses premières oeuvres : « Je suis swing ».
La haine de l’art dit moderne dure depuis plus de cent cinquante ans. En 1789, la révolution bourgeoise est largement positive. En 1848, la bourgeoisie, qui ne joue plus le même rôle, se trouve directement exploiteuse face au prolétariat. Cachons la chose, restons-en au droits de l’Homme et à la démocratie.
Alors on aura les peintres dit « pompiers », les littérateurs un peu nostalgiques mais pas velléitaires. Et on aura surtout ceux qui vont refuser ce rôle de larbin, ceux qui lutteront pour leur liberté et celle des lecteurs : Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud et le flamboyant Lautréamont côté poésie ; les impressionnistes coté peinture. D’autres suivront.
Avant 1914, quelques crétins, futurs fiers défenseurs de l’Union sacrée, s’amuseront à faire peindre par la queue d’un âne un tableau qu’ils feront passer pour un Picasso. vers 1930, un célèbre critique écrira un livre antimoderne : Les Métèques contre l’art moderne. Un critique demandera même la peine de mort contre un surréaliste qui a calomnié la France. L’histoire continue. L’affaire va devenir très grave quand les nazis, en 1937, vont décréter que tout cet art créateur est dégénéré. Quelques citations, au hasard : « Le nègre devient un idéal de race dans l’art dégénéré », « idéal crétin et prostitué », « la folie comme méthode », etc. Conclusion : interdiction, emprisonnements, suicides.
Culture et lutte de classe
Revenons-en à Dubuffet. Le peintre écrira sept livres, correspondra régulièrement avec des grands esprits de son temps comme Paulhan, Michaux, etc. Sont-ils tous des escrocs ? Quand on se bat contre le capital, peut-on, en ce qui concerne la culture, se battre pour soi ? Etrange dualité ! Il est vrai que pour s’y retrouver dans ces problèmes complexes, notre lecteur est peu aidé par la direction trotskyste de la Ligue. Rien, dans tout le dossier consacré au « Retour de Marx », concernant les rapports entre création culturelle et lutte de classe.
J’emprunterai la conclusion à Michel Lequenne, avec qui je ne suis pas toujours d’accord. Il va au fond du problème en écrivant, dans Critique communiste : « Mais Dubuffet semble bien avoir senti un phénomène important. Ne sommes-nous pas là devant le premier signe que l’art sera désormais fait par tous ? » Eh oui, même par ceux qui détestent Dubuffet.