Les accords de paix de Stormont en lrlande ont ouvert les portes de l’espoir dans le conflit du Pays Basque. L’Irlande a toulours été une référence pour l’Euskadi, et c’est plus vrai encore avec l’ouverture du processus de paix. Le Pays Basque avait jusqu’alors tourné son regard vers les processus de paix en Amérique centrale et en Palestine, mais après l’échec des négociations d’Alger entre l’ETA et le gouvernement socialiste espagnol, l’espoir s’était évanoui ; il renaît aujourd’hui, nourri par l’expérience irlandaise et l’échec de toutes les tentatives avortées de l’État espagnol, entre autonomie et repression.
1. Un déficit démocratique
Un Forum pour la négociation vient de s’achever, à l’heure où nous écrivons ces lignes. ll a réuni, à l’initiative de Herri Batasuna, le nationalisme basque modéré, la gauche abertzale (Herri Batasuna, Batzarre et Zutik), l’ensemble du syndicalisme basque (ELA-LAB, ESK, STEE et le courant de la Gauche syndicale dans les Commissions ouvrières), Ies mouvements sociaux pacifistes et les cercles les plus actifs de l’Église au Pays Basque. D’autres partis se sont prononcés en faveur d’un règlement négocié du conflit basque, à l’image de la Gauche unie et de la Convergence démocratique de Navarre (un groupement politique de centre droit qui a établi des relations institutionnelles avec le Pays Basque pendant les années où il a assuré la présidence de la Communauté forale [1] de Navarre). C’est aussi le cas de la minorité du Parti socialiste basque, dirigée par le secrétaire général de la province de Guipùzcoa, Egiguren, et le maire de Saint Sébastien, Odon Élorza. En face campent les partis de la droite espagnoliste (le Parti populaire et l’Unité du peuple de Navarre), le Parti socialiste d’Euskadi et les confédérations syndicales (les Commissions ouvrières et l’UGT) [2].
2. Deux fronts nationaux
Cette distribution des forces ne doit rien au hasard. Rien d’étonnant à la collaboration de Herri Batasuna (et par son intermédiaire de l’ETA) dans la recherche d’un engagement commun pour la paix, dans la mesure où ils sont depuis longternps conscients que les rapports de forces politiques ne permettent pas la conquête de l’indépendance nationale par la lutte armée. Rien d’étonnant non plus à la participation du syndicalisme basque et des mouvements sociaux pacifistes, quand on sait qu’ils ont permis, principalement par l’union des syndicats ELA et LAB, la rencontre des trois partis nationalistes qui constituent la référence politique du syndicalisme basque. Les dispositions de la Gauche unie à rejoindre ce processus étaient inscrites dans l’évolution différenciée entre la Gauche unie au Pays Basque et dans le reste de l’État espagnol. Rien d’étonnant non plus au front commun formé par le Parti populaire au pouvoir, le PSOE, les Commissions ouvrières et l’UGT, parce que derrière la proposition d’une paix négociée réapparaît l’affrontement féroce et tenace entre deux conceptions contradictoires de la nation et de l’État.
Pas de surprise non plus dans les conclusions provisoires de ce premier Forum pour la paix. L’engagement commun des participants à le laisser ouvert jusqu’à parvenir à des bases politiques communes, ne témoigne pas seulement de leur ferme volonté d’exprimer le sentiment majoritaire de la société basque en faveur d’une paix négociée, mais quelque chose de beaucoup plus important la volonté de la faire alors même que les armes ne se sont pas tues et que l’ETA poursuit ses attentats.
Cette disposition des forces répond en réalité à une conjonction de circonstances qui marque l’ouverture d’un nouveau cycle politique en Euskadi. On avance souvent comme explication la « sagesse populaire », le constat qu’il n’y a pas de solution policière à un conflit qui dure depuis 35 ans, mais même si ce facteur est très présent, il s’y mêle d’autres causes. Trois changements structurels se sont produits simultanément : l’impasse conjointe du statut d’autonomie et de la lutte armée menée par l’ETA ; la crise du modèle de l’État des autonomies dans le cadre de l’union monétaire européenne, et la crise de l’identité nationale de l’État espagnol résultant des deux facteurs précédents.
3. Une crise de direction nationale
L’autonomie basque a vu le jour il y a 20 ans, expression d’un pacte impossible entre le maximum que pouvait accepter l’État espagnol (reconnaissance formelle des droits historiques mais affirmation institutionnelle de l’unité de l’Espagne) et le minimum de souveraineté que la majorité nationaliste du peuple basque exigeait (droit d’autodétermination et unité territoriale). Cette contradiction a été vécue comme un « diktat centraliste » par la majorité du peuple basque et a engendré un sentiment de frustration nationale si profond qu’il suffit à expliquer la radicalisation politique du nationalisme et le soutien social à la résistance armée des indépendantistes basques [3].
La constitution espagnole a explicitement rejeté le droit à l’autodétermination nationale, divisé le territoire basque en deux communautés autonomes indépendantes, le Pays Basque et la Navarre, et privé les nationaiités de la souveraineté en matière législative. Et les compétences gouvernementales qu’elle leur a conférées, même si elles sont, sur le papier, relativement larges dans le cas basque, restent soumises à la volonté politique de Madrid qui les délègue au gouvernement autonome. Ces entraves constitutionnelles ont altéré les bases politiques de l’alliance entre le PSOE et le PNV à l’époque de la guerre civile et sous la dictature franquiste, le Parti socialiste basque ayant fait siennes, au cours de ses 40 années de participation au gouvernement basque en exil, les revendications d’autodétermination nationale et d’unité territoriale d’Euskadi. Le renoncement à ces revendications a détruit la possibilité d’intégrer l’ensemble du peuple basque dans un projet national partagé par le nationalisme basque et le socialisme autonomiste, et s’est alors ouverte une profonde crise de direction nationale qui dure encore.
Mais la bourgeoisie basque, fidèle à son pragmatisme de classe congénital, a fini par accepter à contrecceur le statut (bien réel) plutôt que d’assumer le risque (aléatoire) d’une confrontation politique avec les appareils d’État hérités du franquisme. Elle a justifié sa « claudication nationale » (c’est ainsi que le nationalisme radical désigne l’autonomie basque) en arguant d’une menace politique sur le gouvernement central. Le statut d’autonomie était pour le PNV un outil visant à conquérir de nouveaux quotas de souveraineté nationale, et cette promesse (qui rendait bien compte du malaise de la bourgeoisie nationaliste avec la formule d’« autonomie sous tutelle ») poussait le nationalisme modéré à une attitude de revendication nationale permanente.
La lutte pour la direction politique en Euskadi s’est donc livrée sur un terrain délimité par la confrontation entre deux projets nationaux opposés : le projet de construction d’une nation basque distincte de la nation espagnole, et le projet d’imposition de l’idée nationale espagnole au peuple basque. Cette division s’est combinée à deux autres fractures superposées : les différences de classes, autrement dit le contenu social de l’autonomie basque (quelle nation construire), et les divergences sur les méthodes d’action politique (l’appréciation de la lutte armée menée par l’ETA). L’entrecroisement des projets et le relatif équilibre des forces en présence ont donné à cette lutte pour la direction un caractère tumultueux, et une « apparence de labyrinthe » où s’entrecroisent en permanence les alliances politiques.
On a vu se former ainsi une « alliance démocratique » de tous contre le terrorisme, mais où chacun comprend à sa façon la solution à la question de la violence (solutions policières pour ce qui est du Parti populaire et du PSOE, solutions politiques négociées pour ce qui est des natio- na istes basques et de la Gauche unie). Mais cette alliance n’a pas empêché que fonctionne un « accord de facto » entre le mouvement nationaliste basque pris dans son ensemble (l’idée d’une nation basque unifiée et indépendante) qur représente la majorité de la société basque, face à une autre ailiance, également « de facto », entre les forces politiques espagnolistes (PP, UPN et PSOE), qui regroupent une forte minorité sociale derrière l’idée nationale espagnole incarnée dans un État unifié des autonomies. ll y a encore d’autres alliances croisées sur les questions sociales, qui opposent la gauche sociale et poliiique (la Gauche unie, Herri Batasuna et les syndicats ELA, LAB, Commissions ouvrières et UGT) face aux poiitiques sociales néolibérales que représentent à l’unisson le PNV le PSOE et Ie Parti populaire.
4. Ombre et lumières de l’autonomie
Les résultats contradictoires du gouvernement autonome basque confirment l’impasse du statut d’autonomie comme solution à la crise de direction politique en Euskadi. Le statut a servi à consolider un certain niveau de construction d’un Etat basque (hypothèse du PNV en jetant les fondations d’une solide administration nationale (Parlement et gouvernement autonomes) dans un régime de « souveraineté sous tutelle » avec l’administration centrale de l’État, concernant quelques sujets d’importance primordiale comme la politique fiscale, la concertation économique et l’ordre public.
Ertzaintza, la police basque, fortement marquée idéologiquement par son opposition aux corps de police de l’État espagnol, est une police intégrale qui exerce tous les pouvoirs sauf pour ce qui touche à la lutte antiterroriste, où les compétences sont partagées, même si chaque police travaille selon ses propres critères. Le transfert des compétences en matière d’ordre public au gouvernement basque touche directement à la question de la défense des libertés démocratiques menacées par l’État central sous le prétexte de combattre le terrorisme (tentatives pour déclarer HB illégal et fermer les moyens de communication aberlzales, pressions pour décréter l’état d’exception et militariser le territoire basque, création des GAL,etc.)
En matière fiscale, le Pays Basque prélève la totalité de l’impôt, sur des critères parfois différents de ceux de I’État central, dispose d’une indépendance absolue pour administrer son budget, et verse une redevance au titre des services assurés par l’administration centrale, dont le montant est fixé par les autorités basques. Ce système relève très largement d’un régime de souveraineté partagée, et a permis de mener à bien un vaste programme de construction nationale qu’on ne peut ignorer. Le coût social de la reconversion industrielle a été très élevé, mais moindre toutefois que dans d’autres regions de l’Etat espagnol. Le taux de chômage est élevé (17 % de la population active) mais d’importantes aides sociales à la reconversion ont été accordées (retraites anticipées avec maintien de 100 % du salaire, indemnités très élevées, etc.). La bourgeoisie basque a réussi à moderniser ainsi l’appareil productif et à le rendre compétitif sur le marché mondial (le taux de croissance de la production industrielle des deux dernières années atteint 9 %), en faisant porter sur l’État central la responsabilité morale et sociale de la reconversion, et finalement le coût politique du chômage et de la précarisation de l’emploi. On peut encore apprécier les avancées en matière de construction nationale dans le domaine de l’éducation et de la culture. Le gouvernement basque y dispose également de compétences exclusives, ce qui lui a permis de renforcer l’université publique basque, d’inscrire l’apprentissage de la langue basque (euskera) dans tous les établissements d’enseignement public, et d’édifier un système complexe d’aides à la réappropriation de la langue et au développement de l’identité nationale basque (canaux spécifiques de radio et télévision, promotion de l’édition en euskera, construction d’une historiographie basque différenciée de sa version espagnole, etc.). Cela a permis notamment l’intégration nationale de la communauté immigrante de deuxième génération et l’affirmation d’une conscience nationale plus nettement différenciée de l’identité espagnole.
Mais ces progrès ne peuvent dissimuler de graves carences dans le domaine de la construction nationale, qui ont laissé de profondes blessures dans la société basque. Nous en retiendrons trois parmi les plus importantes.
4.1 Un déficit démocratique
Un déficit démocratique, inscrit dans le déni constitutionnel de décider librement du destin national (autodétermination), et qui s’est aggravé ensuite sous le gouvernement central socialiste, avec la législation antiterroriste, le confinement des prisonniers politiques basques à des centaines de kilomètres de l’Euskadi, l’organisation du « terrorisme d’État » (les GAL) orchestrée dans les locaux mêmes du Comité fédéral du PSOE, la pratique courante de la torture lors des interrogatoires de la police, et la manipulation des tribunaux qui n’ont pas hésité à prononcer leurs condamnations sur la base des seules preuves apportées par les rapports de police résultant d’interrogatoires en l’absence de tout défenseur.
ll faut préciser que si nous parlons de « tutelle centraliste » et de « crise de légitimation sociale » de l’autonomie basque, nous nous démarquons aussi bien de l’idée d’une autonomie imposée par la répression — thèse que défend l’ETA jusqu’à présent, que de l’idée d’absence de tout soutien socialau régime autonomiste issu de la transition démocratique.
La répression politique ne s’est pas exercée collectivement sur le peuple basque, mais sélectivement contre l’ETA, même si elle s’est évidemment accompagnée d’une altération des normes les plus élémentaires de « l’État de droit ». Et si le statut d’autonomie a été contesté par la majorité du peuple basque, il a néanmoins reçu le soutien des partis « espagnolistes », le Parti populaire, le Parti socialiste et l’Union du peuple de Navarre. Ces partis représentent ensemble 40 % de l’électorat basque-navarrais, et même s’il s’agit d’une base sociale démobilisée en comparaison avec le nationalisme basque, cette position illustre la résistance au processus d’intégration nationale et la lenteur de sa progression, sous l’impact actif d’« idéologies nationales » espagnoles [4].
Au-delà du conflit entre identités nationales, il faut souligner que la majorité sociale (13 % à en croire les sondages) rejette ouvertement la légitimité des « deux violences face à face » qui sévissent en Euskadi (celle du pouvoir central et celle de l’ETA), ce qui témoigne avec éloquence de la profonde culture démocratique du peuple basque, et des profondes carences du Parti socialiste dans ce domaine. ll n’en reste pas moins que le choc de ces deux violences nourrit l’intolérance politique et la dégradation de la convivialité citoyenne, comme en témoigne la kale borroka (des actes de sabotage réalisés par des groupes de jeunes de la gauche abertzale), la permanence de la « culture de résistance armée » et de son opposée, la « culture répressive pour rétablir l’ordre autant que de nécessaire » [5].
4.2 La séparation de la Navarre
La séparation territoriale de la Navarre a été assurée au début de la transition, dans les longues années où le Parti socialiste gouvernait à la fois à Madrid, en Navarre et en Euskadi, même si c’était ici en coalition avec le PNV. Le Parti socialiste s’est allié avec la droite antibasque et a congelé la sécession du territoire navarrais en bloquant les relations institutionnelles entre les deux communautés autonomes, et en construisant une identité navarraise et espagnole qui s’emploie à se différencier de l’identité basque par un discours d’opposition à une prétendue ingérence d’Euskadi dans les affaires de la Navarre. Ce discours tire sa force d’une population qui parle majoritairement le castillan, de la tradition forale d’un territoire qui a donné, avec le carlisme, une base sociale à la droite franquiste dans la guerre civile des craintes séculaires d’une assimilation par le nationalisme basque, et des erreurs historiques de ce dernier qui n’a pas su construire un discours national adapté aux spécificités historiques de la Navarre. C’est ainsi que perdurent des institutions séparées, dont la distance augmente au fil des rancoeurs, et la construction d’une identité navarraise qui inclut en son sein les ambivalences de deux référents nationaux antagoniques, basque et espagnol.
4.3 Haines nationales
L’exacerbation des haines nationales est une conséquence inévitable des aberrations socialistes dans le traitement de la question basque. ll a fallu attendre vingt ans le transfert des compétences gouvernementales reconnues dans le statut d’autonomie, et chacune a dû être arrachée au pouvoir central au prix d’une exacerbation des tensions nationales. À chaque fois, ce transfert de compétence a été présenté comme une concession à la « voracité nationaliste » en contrepartie de son engagement dans la Iutte contre l’ETA, un message clairement adressé à l’opinion publique espagnole dont on cherche à stimuler le sentiment national blessé par « l’égoisme national des Basques ».
Une dialectique infernale s’est alors instaurée, dans la mesure où ce discours nationaliste de la « raison d’État » a provoqué à son tour la réaffirmation de « sentiments anti-espagnols » parmi le peuple basque, dont on s’est servi par ailleurs pour nourrir la résistance à l’intégration nationale de la communauté des citoyens basques provenant de l’immigration.
Ce sont les organisateurs des GAL à l’époque où ils étaient dirigeants du Parti socialiste basque, Garcia Damborenea, Txiki Benegas, etc., qui ont théorisé la division du peuple basque en deux communautés nationales : la communauté basque, qualifiée de bourgeoise et raciste par référence au PNV et au discours de son fondateur, Sabino Arana (→ Sabino Arana Goiri), et la communauté espagnole, provenant de l’immigration, qualifiée d’ouvrière, socialiste et universaliste, immunisée de ce fait contre tout « préjugé national ».
Tous les pas en avant en matière d’intégration nationale qui s’étaient produits dans Ia solidarité de la lutte antifranquiste ont eté remis en cause. La modernisation du discours national du PNV (abandon de l’idéologie de ségregation et des conceptions ethniques de la nation) a laissé un espace dont s’est emparé le Parti socialiste, avec une « idéologie de ségrégation espagnoliste », pour s’opposer au processus d’intégration basque de la communauté immigrante. Mais il s’est heurté à la force de conviction d’un nationalisme basque qui a toujours recherché l’intégration et I’égalité des droits de tous les citoyens basques, quelle que soit leur origine. Les politiques de normalisation linguistique fondées sur le respect du choix volontaire de chacun, ont permis l’intégration des immigrants de la deuxième génération à marche accélérée, le plus normalement du monde, mais bien moins pour ceux de la première génération marqués par les préjugés nationaux encouragés par le Parti socialiste. La division du mouvement ouvrier basque en deux fronts syndicaux qui s’opposent sur la question nationale (les Commissions ouvrières et l’UGT d’une part et, d’autre part, tous les autres syndicats qui, soit dit en passant, représentent la majorité) est une autre conséquence de ces haines nationales encouragées au nom de la « raison d’État ».
La frustration nationaliste dans le cadre du statut d’autonomie n’a cessé de croître, et le choc des identités nationales entre la majorité abertzale et la forte minorité de citoyens basques et navarrais qui se considèrent, eux, basques et espagnols ou seulement espagnols et antibasques, n’a pas non plus été réduit par assimilation ni modification des comportements identitaires. Si on ajoute enfin le problème majeur posé par les actions armées de l’ETA, on comprend la dégradation de la situation politique et, au vu de l’impasse du statut d’autonomie, la demande d’une réforme constitutionnelle émanant de la majorité des organisations politiques, syndicales et sociales basques.
5. L’impasse de Ia lutte armée
L’impasse de la lutte armée conduit également la société basque, les partis et les syndicats abertzals à rechercher une issue par le dialogue et la négociation. L’assassinat du conseiller du Parti populaire à Ermua et les mobilisations contre l’ETA en juillet 1997, marquent un point de rupture dans la dégradation politique du conflit basque. Toute la société basque, unanime, la droite comme la gauche, les nationalistes comme les non-nationalistes, est descendue dans la rue dans une mobilisation générale sans précédent contre l’ETA. Contrairement à ce qui se passait jusque-là, tout le monde percevait que l’ETA avait dépassé les frontières du tolérable dans sa stratégie de « socialisation de la douleur ». Dans cette mobilisation, les mots d’ordre de la lutte contre Ia dictature franquiste ont été retournés, et ce cri unanime du peuple basque contre les forces de répression du franquisme, ce fameux « qu’ils partent » l’a été alors lancé contre l’ETA, symbole de l’exaspération et de la condamnation par la majorité sociale de cette « dérive vers la barbarie », selon les termes de certains dirigeants reconnus du nationalisme basque. La contradiction béante entre le discours d’une organisation qui justifie sa violence politique par la volonté de libérer son peuple de l’oppression nationale, et le fait que ce même peuple lui lance au visage son rejet unanime de ses méthodes d’action violente, ont même conduit la majorité des électeurs de Herri Batasuna à mettre en cause la pertinence de la lutte armée. Pour les dirigeants du nationalisme radical, ces événements politiques ont été une véritable gifle : cela revenait à se faire expulser par sa propre famille (le peuple basque) de sa propre maison (l’Euskadi). Pour les dirigeants les plus lucides du nationalisme radical, il fallait à l’évidence imprimer un changement de direction à la stratégie générale du mouvement de libération nationale. Le PNV a également mesuré le risque d’une involution politique avec les événements de juillet et la poursuite de la lutte armée dans ce contexte. Et ces facteurs convergents ont créé des conditions propices à une modification générale de toutes les stratégies politiques en présence.
6. Une nouvelle direction politique
Une nouvelle direction politique est en gestation dans le syndicalisme basque. L’alliance entre le syndicalisme d’origine PNV (ELA) et le syndicalisme lié à l’ETA (LAB) a dessiné la possibilité d’une issue au moment opportun, quand la dégradation de la situation politique atteignait son point culminant et que le statut d’autonomie comme la lutte armée de l’ETA étaient dans I’impasse. Cette possibilité s’appuie sur des espaces de négociation ouverts par le mouvement social (ELKARRI) et l’affirmation d’un courant d’opinion majoritaire qui rejette aussi bien la violence de l’ETA que le corset centraliste qui bride le Pays Basque. Ils ont l’avantage de formuler ce sentiment citoyen en termes très clairs et avec la légitimité que leur confèrent leur condition de syndicalistes et leur influence majoritaire au sein du mouvement ouvrier organisé.
Les idées force qu’ils ont dégagées pour mettre en ceuvre cette solution politique sont saisissantes :
1 — Le statut d’autonomie est une impasse, et il faut une nouvelle impulsion en matière de souveraineté pour achever le processus de construction nationale.
2 — L’ETA est une entrave car elle crée plus de problèmes qu’elle n’en résout, elle pervertit l’éthique du mouvement de libération nationale basque, et elle bloque le potentiel d’initiative politique de la majorité sociale.
3 — Mais tout autant que l’ETA, la constitution centraliste est une entrave. Le problème national et le problème de la violence se situent à des niveaux distincts mais corrélés. Prétendre en finir avec la violence par des moyens policiers est non seulement vain mais antidémocratique. ll faut une solution négociée pour construire un nouveau consensus national sur les droits historiques du peuple basque, qui permettra de résoudre à la fois le problème national et celui de la violence politique.
Ces idées force expriment bien le rapport de forces politiques actuel en Euskadi, et elles attestent implicitement que la construction de la nation basque ne peut pas être menée à bien actuellement par les méthodes révolutionnaires de la rupture avec l’État central. Elles reflètent pourtant l’opinion majoritaire du peuple basque et montrent la possibilité d’avancer maintenant dans une perspective d’affirmatron de la souveraineté par des réformes constitutionnelles. Cette volonté de mettre la politique au poste de commande pour impulser la participation citoyenne pose à son tour la nécessité de former des alliances politiques nouvelles (un nouveau consensus national) où la bourgeoisie basque peut prétendre à la consolidation de sa domination politique sur le Pays Basque par la participation active du PNV.
7. L’alliance nationale
L’alliance nationale proposée par les syndicats basques n’implique pas leur renoncement à la lutte de classes, ni à l’objectif d’une « nation basque souveraine et socialiste », parce qu’ils incarnent par ailleurs la lutte contre les politiques néolibérales du gouvernement basque. Ce front de lutte politique contre la bourgeoisie basque par les mobilisations sociales contre le chômage et la pauvreté (partage du travail et redistribution générale des richesses) est aujourd’hui plus ouvert que jamais. Mais ce n’est pas un obstacle à l’incorporation active du PNV au consensus national pour une issue négociée au problème basque. Le plan de paix présenté par le président du gouvernement basque ressemble beaucoup à celui des syndicats, même si les « bases politiques pour la paix » restent en débat, ce qui témoigne du niveau politique d’une classe sociale fortement préoccupée par son pays et ses affaires. Le plan Ardanza (lehendakari basque) résume bien l’évolution d’une bourgeoisie basque qui cherche à s’unifier nationalement dans le cadre d’un projet consensuel. La violence politique et l’impasse du statut d’autonomie ne permettent pas de construire une nation intégrée. Elle a besoin d’un climat de normalisation politique avec une plus grande vertébration économique entre les différents terçitoires basques, une articulation des infrastructures qui facilite son intégration dans les circuits européens, et une souveraineté partagée dans les relations de l’État espagnol avec l’Union européenne. Plus de 40 % de la production industrielle du Pays Basque et de la Navarre est exportée vers l’Europe. Si dans le passé, c’est la perspective du « marché national espagnol » qui a poussé la bourgeoisie basque à rompre les barrières intérieures (abolition du régime foral avec les guerres carlistes), le marché de l’industrie et de la finance basques tend à se déplacer aujourd’hui vers l’Europe et l’Amérique latine [6]. Ces tendances poussent vers l’intégration économique des deux entités (intérêts économiques partagés), la recherche de formules mixtes de collaboration sur le plan politico-institutionnel (Conseil ou Diète Pays basque-Navarre à l’image de la tentative récente des deux gouvernements autonomes), la création d’une banque nationale basque (proposition du PNV) et l’ouverture de « délégations commerciales » à l’extérieur pour consolider ou élargrr les marchés internationaux (reconnaissance d’une réalité de fait derrière la formule de « représentaIion exterieure partagée ») L’alliance politique qui s’ébauche entre le PNV et la Convergence démocratique de Navarre de l’ancien président de la communauté forale, Juan Cruz Alli, pointe vers cette perspective, mais elle ne se consolidera que dans la mesure où se présenteront des formules d’unité territoriale du Pays Basque qui respectent les spécificités de la Navarre. Les bases politiques du plan Ardanza semblent conçues pour construire cette nouvelle alliance nationale dans le nouveau concert des « États et régions » de l’Union européenne.
8. Les difficultés du consensus national
Les difficultés pour construire ce nouveau consensus national ne sont pas minces.
8.1 Le nationalisme espagnol
Le nationalisme espagnol, en tout premier lieu, semble avoir fait de « l’esprit d’Ermua » son cheval de bataille. ll a mis à profit les mobilisations anti-ETA et il regroupe la majorité des partis espagnols, le Parti populaire, le PSOE, certains dirigeants de la Gauche unie, les syndicats (Commissions ouvrières et UGT), les moyens de communication de l’État, et la majorité des « travailleurs de la culture », pseudo-intellectuels qui se nourrissent à sa mangeoire. Les idées force de ce fameux « esprit » ont de quoi atterrer quiconque est démocrate : « Il n’y a pas de problème national basque, il y a seulement un problème terroriste qu’il faut résoudre par l’union de tous les démocrates pour soutenir les solutions policières. » « La gauche aberzale est un mouvement fasciste qui met en danger les libertés démocratiques en Espagne, et si le nationalisme modéré du PNV est comme il le prétend, une option politique démocratique, il doit défendre le statut des autonomies contre le totalitarisme de l’ETA. » « L’identité nationaliste du PNV le conduit à des positions ambigues qui servent de couverture au terrorisme, et son aspiration à la construction nationale basque le conduit à un fondamentalisme idéologique, à l’exclusion de ceux qui ne sont pas nationalistes, et à s’ingérer dans les affaires de la Navarre. » L’antibasquisme est devenu une idéologie de la raison d’État, une sorte d’acte sublime de la démocratie qui identifie démocratique et espagnol, et terroriste et basque. ll s’agit d’une vulgaire manipulation de sentiments collectifs aussi diffus que celui de la « solidarité nationale entre les peuples d’Espagne », avec l’idée de promouvoir sur la base du relet de la violence un mouvement régénérateur de l’idée de l’Espagne, qui compense par l’affirmation de l’unité intérieure la perte de souveraineté politique extérieure avec la participation à l’Union européenne. Les nationalismes européens peuvent se nourrir de la peur d’une perte d’identité culturelle, et ont trouvé dans l’immigration africaine et est-européenne un bouc émissaire. Mars le nationalisme espagnol de cette fin de siècle s’alimente au vertige produit par la perte de souveraineté « par en haut » (l’Europe) et la peur de la désagrégation nationale de l’État « par en bas » (constructions nationales différenciées en Euskad et en Catalogne).
8.2 Le discours nationaliste basque
Le discours nationaliste basque, sa façon de répondre à cette idéologie de résistance nationale espagnole, seront déterminants dans le processus qui s’ouvre aujourd’hui. Une autre difficulté apparaît, qui est endogène au nationalisme basque, et pour la résoudre correctement il faudra introduire des changements importants dans le projet national, de sorte qu’il intègre les différentes identités nationales présentes en Euskadi. ll faut pour cela substituer à l’idéologie de l’affirmation nationale une politique d’intégration citoyenne. Si on veut avancer résolument vers l’unité territoriale, il faut désamorcer I’idéologie de résistance antibasque des Navarrais. Cela implique de reconnaître la spécificité de la Navarre dans une formule d’alliance institutionnelle entre les deux territoires et de construire une identité nationale nouvelle (Pays Basque-Navarre). ll en va de même avec les problèmes identitaires dans la société basque et leur rapport avec l’exercice du droit d’autodétermination nationale. La reconnaissance de ce droit est une chose, et autre chose son exercice pratique. ll est aisé de construire un consensus largement majoritaire sur la reconnaissance constitutionnelle du droit à l’autodétermination (qui, soit dit en passant, est la condition sine qua non de la solution du problème basque), mais il est tout aussi aisé de prévoir que son exercice pratique produira de profondes divisions poli- tiques au sein du peuple basque. Tous les sondages d’opinion confirment l’évidence : aucune des options possibles n’obtiendrait la majorité dans un référendum. Le Pays Basque n’a pas aujourd’hui une cohésion nationale suffisante pour que les solutions à la question nationale recueillent un consensus majoritaire. ll faudra donc en passer par une phase transitoire où s’appliqueront d’autres solutions complémentaires (qui recueillent, elles, un consensus majoritaire), telles que les formules de souveraineté. L’expérience concrète montre indiscutablement que les mêmes personnes qui se prononceraient contre l’indépendance nationale, s’opposent également aux ingérences centralistes dans les décisions relevant des institutions basques. L’exercice de la souveraineté politique (prise unilatérale de décisions politiques, exercice du droit de veto sur les réglementations centralistes, etc.) permet de régler le conflit des identités nationales et les craintes collectives d’une assimilation nationale des parties en présence : la peur basque d’une assimilation espagnole, la peur de ia Navarre d’une assimilation basque, et la peur de l’immigration espagnole de perdre son identité originelle. L’exercice de la souveraineté apparaît alors comme la seule voie qui permette d’unifier le peuple basque.
9. Trêve et négociation
Tout paraît indiquer que le nationalisme basque est entré dans une phase d’adaptation de son projet national aux fractures que présente aujourd’hui la société espagnole. On peut en attendre la proposition de bases politiques communes pour une solution négociée de la violence, et on peut s’attendre à ce qu’eiles rallient la majorité du Parti socialiste basque. Même ainsi, il n’y a aucune garantie que les partis espagnols en Euskadi (ou tout au moins certains d’entre eux) abandonnent la « guerre de tranchées » où ils sont embourbés. La stratégie de négociation conçue pour y répondre est aussi audacieuse qu’imprévisible. Deux initiatives tactiques semblent s’esquisser au terme des négociations en cours. D’une part, une trêve illimitée décrétée par l’ETA sans que soient déposées les armes. D’autre part, l’organisation sous l’égide des autorités basques d’un référendum populaire sur les bases politiques de la négociation préalablement convenues (proposition ELKARRI). On peut en prévoir sans peine le résultat : la mobilisation unanime d’une société qui veut la fin de la violence, l’isolement de toutes les résistances qui obstruent actuellement Ie chemin du dialogue, et la mise en difficulté du gouvernement central qui n’aurait plus d’autre argument que la raison de la force. Un problème reste posé à moyen terme, celui de la poursuite de la lutte armée de l’ETA et de la répression policière. Les conversations engagées entre le PNV et Herri Batasuna reièvent d’un choix : « se blinder » face à la poursuite des violences. Au lendemain du récent attentat commis par l’ETA et de l’arrestation presque simultanée par la police basque de l’un de ses commandos (avec mort d’homme dans chaque cas), le ministre de l’lntérieur du gouvernement basque a vanté les mérites de la « méthode du blindage » en citant Yitzhak Rabin : « ll faut négocier même s’ils continuent de tuer et les pourchasser comme s’il n’y avait pas de négociations. » Une aspiration à la paix est si forte en Euskadi et si présente « l’école jésuite » sur les terres de son fondateur que tous approuveront le « moindre mal » de cette méthode de négociation si elle permet de hâter la fin des violences. Mais si les négociations politiques n’avancent pas au rythme des nécessités, si les délais s’étirent au-delà de ce que la société basque est prête à supporter, alors la spirale de violence qu’elle renferme peut finir par dévorer le dialogue en cours.
10. La gauche espagnole
Le rôle de la gauche espagnole peut à son tour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, mais les courants qui la portent ne sont guère encourageants. Le procès contre le PSOE pour ses responsabilités dans l’organisation du « terrorisme d’État » (les GAL) révèle une opinion publique favorable à la « persécution des terroristes par tous les moyens », tout en se refusant de pardonner ses mensonges au PSOE, son refus de reconnaître l’évidence. S’opposer à ce sentiment majoritaire, c’est courir le risque de se minoriser électoralement, et si l’on ajoute que la solution du problème basque exige des modifications constitutionnelles, il est aisé de comprendre le scepticisme de la gauche espagnole à ce sujet. Tout le monde est conscient grâce à la configuration future de l’État espagnol dans le concert de l’Union européenne se joue actuellement en Euskadi, parce que toute modification de la constitution espagnole aurait des effets en cascade sur les autres nationaiités (Catalogne, Galice, Îles Canaries) et des réactions jacobines au sein du nationalisme espagnol, à l’image de ce qui se passe dans la directron de la Gauche unie, ou certains n’hésitent pas à accuser de « manquement à la solidarité nationale » tout mouvement de rupture avec l’État centraliste. lls creusent ainsi la tombe de ieurs propres libertés : c’est ce que leur ont dit en toute clarté les signataires du manifeste madrilène pour une solution politique négociée au conflit basque. lls ne sont encore qu’une goutte d’eau dans un désert d’incompréhension, mais ils incarnent cette valeur inestimable de l’engagement éthique pour la démocratie et la liberté. La perspective d’une trêve militaire au lendemain d’un accord politique entre les forces basques devrait donner l’occasion à leur semence de germer dans l’opinion publique de la gauche espagnole.
Encart 1 — Le procès contre les GAL
Le procès en cours contre les ravisseurs de Segundo Marey, un citoyen français confondu avec un responsable de l’ETA par un commando des GAL et détenu en captivité en décembre 1983 dans des conditions particulièrement dures, met en lumière la responsabilité écrasante des plus hautes autorités du gouvernement de Felipe Gonzalez dans l’organisation des GAL. C’est le procès du terrorisme d’État.
Pour Melchor Miralles, journaliste, auteur d’un livre d’enquête sur les GAL, ce procès marquera une époque de l’histoire de l’Espagne, au même titre que le procès de Burgos sous la dictature franquiste, qui avait vu des militants pour l’indépendance du Pays basque échapper de peu à la mort, ou le procès des putschistes du 23 février 1981.
Face aux juges, l’ancien responsable des services secrèts de l’Armée, Emilio Alonso Manglano, a révélé le plan de lutte contre le terrorisme qu’il avait présenté à l’époque aux autorités gouvernementales, et qui devait conduire à la création des GAL, chargés d’assassiner des militants nationalistes, notamment des responsables présumés de l’ETA réfugiés en France.
Les faits, connus depuis longtemps, et la responsabilité du gouvernement socialiste de l’époque sont aujourd’hui confirmés par certains des responsables mêmes de cette sale guerre. ll faut tout le cynisme d’un Felipe Gonzalez pour maintenir une ligne de defénse où le mensonge d’État vient au secours du terrorisme d’État, et affirmer qu’il s’agit d’affabulations visant à discréditer politiquement le PSOE.
Encart 2 — ELA et le syndicalisme basque
Les syndicats abertzales ELA, LAB, ESK, STEE, Ezker Sindikala, etc., représentent 61 % du total des délégués syndicaux sur le territoire basque (y compris la Navarre). Les Commissions ouvrières et l’UGT, syndicats espagnols en Euskadi, en représentent 37 %, les 2 % restants se répartissant entre différents courants minoritaires.
ELA a été créé à l’initiative du PNV pour faire contrepoids au syndicalisme de classe (socialiste, communiste et anarchiste). D’orientation démocrate-chrétienne (doctrine sociale de l’Eglise), c’était un syndicat jaune dans les années 30. La résistance au franquisme l’a conduit lentement vers des positions de gauche, sans jamais rompre avec le PNV. L’institutionnalisation de l’autonomie basque, avec la mise en place du statut, a provoqué une prise de distance avec le PNV (autonomie et rupture des rapports de dépendance), et l’abandon net des thèses interclassistes. Le nouveau cycle de politiques néolibérales l’a définitivement convaincu d’incorporer la lutte des classes à ses références indépendantistes.
C’est l’un des syndicats les mieux organisés d’Europe. Avec plus de 90 000 affiliés (davantage que les Commissions d’ouvrière et l’UGT réunies), une caisse de résistance de plus d’un milliard de pesetas et et un système de cotisations qui représente 87 % de ses ressources. C’est le seul syndicat majoritaire dont le fonctionnement ne dépend pas des subventions de l’Etat, ce qui lui confère une indépendance totale dans ses rapports avec l’administration publique.)]
Encart 3 — Le plan de paix du gouvernement basque
Le plan Ardanza peut être résumé en cinq points.
1 — Une victoire policière sur le terrorisme n’est pas réaliste et penser que l’ETA renonce volontairement à la lutte armée, ou que Herri Batasuna se désolidarise de l’ETA pour s’intégrer aux institutions démocratiques n’est pas raisonnable. Il est nécessaire de chercher une solution négociée à la violence.
2 — Aucun gouvernement démocratique ne négocie avec les terroristes. La négociation doit donc être menée par les partis politiques. L’ETA doit déléguer à Herri Batasuna sa représentation politique, et décréter un cessez-le-feu illimité après l’accord entre les partis politiques.
3 — Les bases politiques pour une solution négociée doivent s’appuyer sur le statut d’autonomie, pour en résoudre les carences : transfert de toutes les compétences au gouvernement autonome, y compris celles qui relèvent de la sécurité sociale et de l’organisation d’une banque nationale basque, reconnaissance du droit du peuple basque à décider librement de son destin national, et ouverture d’un processus d’unité territoriale avec la Navarre sous la forme d’une coordination institutionnelle librement accordée par les deux parties.
4 — La constitution espagnole doit être interprétée avec flexibilité pour faire place à ces réformes nécessaires, qui seront adoptées par le Conseil d’État après avoir recueilli l’accord majoritaire du peuple basque lors d’un référendum.
5 — Les actions armées de l’ETA sont une entrave à la réalisation de ce nouveau consensus national. L’ETA devrait
faciliter un accord politique en annonçant une trêve militaire unilatérale. Le préalable n’est pas de déposer les armes, mais des gestes d’apaisement qui facilitent le consensus. Le PNV prend la responsabilité d’engager les discussions politiques avec Herri Batasuna et les autres partis politiques, quand bien même l’ETA poursuivrait ses actions militaires. Le « réalisme politique » prend le pas sur le discours critique de la violence, et les discussions politiques sont blindées face aux avatars de la violence.)]
Encart 4 — Manifeste pour une solution négociée dans le conflit basque
Ce manifeste, impulsé par nos camarades de la Gauche alternative de Madrid, organisation affiliée à la IVe Internationale, a reçu le soutien d’une centaine d’intellectuels, de certains dirigeants locaux de la Gauche unie, de certaines personnalités politiques qui avaient travaillé auprès du ministre de la Justice du dernier gouvernement socialiste, comme Margarita Robles et d’autres, et qui ont révélé la participation de responsables militaires de la Garde civile dans l’organisation des GAL. Le général Galindo est l’un des détenus en attente de jugement.
Il repose sur trois idées simples :
1 — Il n’y a pas de solution policière à un problème d’essence politique. L’État espagnol doit faire siennes les exigences de paix et de cohabitation majoritaires au sein de la société, en prenant en charge une solution négociée à la violence.
2 — Pour mettre fin aux souffrances et aux atteintes aux droits humains, il ne faut pas attendre que l’ETA décide de déposer les armes. Il faut des gestes d’apaisement comme le rapprochement des prisonniers basques de leur lieu d’origine, et il faut ouvrir un dialogue et des négociations sans conditions.
3 — L’ETA devrait décréter une trêve des actions armées pour faciliter le démarrage des conversations pour une paix négociée.)]