Le Parti de la refondation communiste (PRC) a été soumis à une rude épreuve tout au long de la campagne électorale et dans les jours qui ont suivi l’annonce des résultats. Les porte-parole de l’Olivier, des journalistes soi-disant démocratiques et/ou de gauche, des intellectuels maîtres à penser ont rivalisé dans une sorte de chasse aux sorcières contre le PRC et plus particulièrement son secrétaire Fausto Bertinotti, dénoncés comme coupables d’avoir aidé Berlusconi à devenir Premier ministre. En fait, consciemment ou non, tous ces braves gens ont révélé ou confirmé une conception de la politique qui n’a absolument rien de principiel. Les idées, les programmes, les projets ? Tout cela à la poubelle ! L’essentiel est de gagner des voix, des sièges, des postes ministériels. Pourtant, le candidat de l’Olivier lui-même, Francesco Rutelli, avait dû l’admettre : un accord politique avec le PRC était strictement impossible et à plus forte raison il aurait été impossible de gouverner ensemble...
Qui plus est, non seulement l’Olivier a préparé sa défaite cinq années durant par sa politique néolibérale et pro-impérialiste, mais, en oubliant sa défaite de l’année dernière lors du référendum en matière électorale, il s’est obstiné à maintenir un système fondamentalement antidémocratique, voire démentiel. Il n’a même pas voulu corriger le système en vigueur pour le Sénat, et, en ce qui concerne la Chambre des députés, il a eu recours, en accord avec le parti de Berlusconi, à une véritable escroquerie en ignorant les mises en garde du président de la république. Bref, tous les accusateurs de Refondation se gardent bien de prendre note d’une donnée élémentaire : si on avait introduit un système proportionnel, comme le PRC le demandait, Berlusconi n’aurait pas obtenu la majorité. Finalement, rien ne prouve que, s’il y avait eu un pacte électoral, on aurait tout simplement additionné les voix de l’Olivier et ceux du PRC ; fort probablement, une partie des électeurs du PRC se seraient abstenus et une partie des électeurs de l’Olivier se seraient déplacés vers le centre-droit.
Il faut souligner, par ailleurs, que le PRC a subi les attaques non seulement de secteurs d’une gauche DS, au demeurant politiquement assez fantomatiques, mais aussi d’une partie de la gauche dite radicale qui avait constamment critiqué les gouvernements du centre-gauche. Ces gens ont été assez magnanimes en invitant à voter PRC pour le quota proportionnel (25 % des sièges) à la Chambre des députés, mais, en oubliant que notre décision de ne pas nous présenter à l’élection à scrutin uninominal à la première chambre (75 %) permettrait à l’Olivier de remporter une trentaine de sièges de plus, ils ont appelé à ne pas voter en notre faveur pour le Sénat. L’auteur de cet article a été l’objet d’une attaque dans le quotidien Il Manifesto. Ce quotidien, après avoir refusé la publication d’un court appel des candidats sénateurs du PRC à Rome, à la veille du scrutin, c’est-à-dire lorsqu’il était désormais impossible de riposter sous quelque forme que ce soit, a publié toute une page sur le vote à Rome en expliquant notamment qu’il ne fallait pas voter pour Livio Maitan ni pour un autre candidat de Refondation, mais pour des candidats de l’Olivier. En l’occurrence, mon concurrent était un ministre du gouvernement Amato, appartenant au DS, qui avait approuvé toutes les décisions prises par la coalition, aussi bien socio-économiques que politiques (guerre au Kosovo y comprise) [1].
Une image d’opposition radicale
Malgré ces campagnes, le PRC a tenu le coup : 5% des voix aussi bien à la Chambre (11 élus) qu’au Sénat (4 élus), le seul parti en dehors d’une coalition ayant atteint le quorum de 4 % nécessaire pour participer à la distribution des sièges. Il faut ajouter que des partis membres des deux coalitions n’ont pas atteint le quorum non plus et ne seront représentés que par des élus des coalitions au scrutin uninominal. Les Verts ont connu un sort particulièrement lamentable : la liste commune (baptisée tournesol) qu’ils avaient présentée avec une petite formation socialiste, affiliée à l’Internationale socialiste, n’a remporté que 2,9 %. Le parti de Cossutta, issu de la scission du PRC d’octobre 1998, a été tout simplement balayé (1,7 %) et ne survit qu’en tant que cinquième roue des DS qui lui ont octroyé quelques députés (au scrutin uninominal) et quelques sénateurs, les uns et les autres élus dans les rangs de la coalition...
Cela dit, il faut quand même admettre que le résultat du PRC n’est satisfaisant que dans le contexte donné. On ne saurait oublier qu’en 1996 Refondation avait obtenu 8,6 % (en revanche, elle n’avait obtenu que 4,3% aux européennes de 1999). La conclusion unanimement partagée est que le PRC est toujours, fondamentalement, un parti d’opinion qui obtient des suffrages grâce à son image d’opposition radicale, ayant une influence de masse, mais dépourvu d’un véritable enracinement social, à quelques exceptions près. La campagne électorale, menée dans l’autonomie la plus complète, a été caractérisée surtout par les interventions radicales de Fausto Bertinotti, dont les meetings ont le plus souvent attiré de nombreux jeunes. L’initiative, qui a représenté sans doute le plus grand succès, s’est déroulée à Rome avec la participation de nombreux intellectuels et dans une atmosphère très chaleureuse. Ce sont les passages les plus combatifs du discours qui ont été particulièrement applaudis dont le suivant : « La nouveauté c’est que le capitalisme et l’innovation sont désormais séparés du progrès social et sont en train de révéler des contradictions radicales : mais, alors, la politique n’a un sens qu’à la condition de s’avérer capable de critiquer la logique du marché et de l’entreprise, de recommencer de son point le plus haut, la révolution ».
Les débats du PRC
L’instance la plus large du parti, le Comité politique national, réunie les 26 et 27 mai, a tiré le bilan des élections. En fait, elle a en même temps ouvert le débat pour le prochain congrès qui aura lieu au printemps 2002. Les sensibilités différentes qui existent, y compris dans le secrétariat, se sont manifestées cette fois aussi sous des formes camouflées ou très nuancées notamment sur l’attitude à avoir à l’égard des DS ou de la gauche dite libérale et sur des problèmes organisationnels. Il est clair pour tout le monde qu’il faut poursuivre une construction autonome du parti. Mais des ambiguïtés, voire des divergences, existent sur l’orientation dans la phase actuelle. Un courant, qu’on pourrait appeler « continuiste », pour qui le PCI reste toujours un point de référence, semble miser, non pas sur une régénérescence (pourtant le mot a été utilisé dans un débat à la direction), mais sur une réorientation des DS, qui préparent à court terme un congrès s’annoncant très chaud . Au delà de toutes les nuances, le dilemme reste, pour les DS, le suivant : soit construire une sorte de parti démocrate incluant l’Olivier dans son ensemble (Veltroni), soit maintenir l’Olivier comme une coalition au sein de laquelle les DS joueraient le rôle d’un parti social-démocrate, lié au « socialisme européen ».
Il va de soi que le PRC a tout intérêt à éviter tout réflexe ou repli sectaire et à entretenir un dialogue avec ce qu’on appelle la gauche modérée ou libérale. Bertinotti avait avancé depuis un certain temps la perspective d’une « gauche plurielle ». Mais, alors qu’auparavant il faisait explicitement référence à l’expérience française, maintenant il semble plutôt proposer une hypothèse de travail. Dans ses conclusions il a mentionné en passant les difficultés du PCF et en même temps le rôle joué par la LCR et Lutte ouvrière. Il a même improvisé une réflexion qui n’est pas dépourvue de fondement : des mouvements et des sensibilités qui existent en France sous des formes spécifiques, en Italie se retrouveraient, grosso modo, à l’intérieur du PRC [2]. En conclusion, il a esquissé les thèmes à débattre en vue du congrès : une analyse systématique de la phase actuelle au niveau aussi bien national qu’international ; la définition d’objectifs susceptibles de propulser une dynamique brisant la logique de la globalisation néolibérale ; la construction du (ou d’un ?) mouvement Seattle-Porto Alegre dans une telle optique.
Pour notre part, nous avons partagé une telle approche qui amène à aborder, fondamentalement, ces mêmes problèmes que nous discutons dans notre mouvement international [3]. Toutefois, nous avons souligné encore une fois le hiatus énorme qui existe entre de telles approches politiques et la réalité du parti. La dernière campagne a révélé encore une fois des pratiques minables, des conceptions électoralistes et opportunistes tout court et des comportements, y compris de la part de quelques dirigeants, en contradiction avec non seulement les statuts mais aussi les normes de conduite fixées pour la campagne électorale. Il est assez déroutant que lorsqu’on avance de telles critiques dans les instances de direction, personne ne les conteste, quelqu’un donne prudemment l’impression d’être d’accord et le problème continue d’être esquivé. Pourtant, le congrès devra finalement en débattre sous peine d’avaliser des dérives dangereuses.
La Direction du parti a accompli sa tâche statutaire d’élire les présidents des deux groupes parlementaires. A une très large majorité, elle a confirmé pour la Chambre de député Franco Giordano. Mais la nouveauté a été l’élection à l’unanimité pour le Sénat de l’élu milanais Gigi Malabarba, trotskiste, militant ouvrier d’Alfa Romeo, licencié illégalement par Fiat et l’un des principaux dirigeants de la Confédération unitaire des Cobas qui a été fondée le premier mai dernier. Dans les couloirs du sénat notre camarade aura l’occasion de rencontrer Gianni Agnelli, le patron de Fiat . Il a gagné deux fois une plainte contre Fiat pour son licenciment abusif . On attend encore le verdict de la Cour de Cassation. Cet illustre aréopage confirmera-t-il les deux verdicts favorables à Gigi ou avalisera-t-il le licencement d’un ouvrier-sénateur ?