Dès son premier livre, Fétichisme et société (Anthropos, 1973), la lecture de Marx proposée par Jean-Marie Vincent se situait en dehors d’un paysage polarisé à l’époque par un jeu de miroirs entre les auteurs se réclamant d’Althusser et les tenants de l’Humanisme (avec un grand H) marxiste. Il mettait au centre de sa réflexion la théorie marxiste du fétichisme de la marchandise développée dans Le Capital. Alors que, en fait, elle était évacuée par les partisans de ces deux camps qui n’y voyaient que le simple prolongement de la thématique de l’aliénation des textes de jeunesse ; soit pour le condamner, soit pour s’en réjouir. Jean-Marie Vincent se démarquait de la mécanique conceptuelle abstraite des althussériens, mais sans dissoudre la rigueur du travail conceptuel dans les catégories fourre-tout d’aliénation et de praxis.
Une trajectoire particulière
Se jouait avec ce travail une réactualisation du marxisme comme théorie critique qui ne s’en tienne pas à une simple répétition d’Histoire et conscience de classe de Lukacs, publié en français uniquement en 1960. Un ouvrage remarquable et incontournable, mais de part en part discutable. En France, Lucien Goldmann en donnait une version sociologique plus « raisonnable », moins marquée par la figure du prolétariat comme sujet démiurgique de l’histoire. Ses textes étaient très stimulants, mais, pour ce qui me concerne [1], sa problématique me semblait trop marquée par les philosophies de la conscience et du sujet. Pour expliquer cette préoccupation, il faudrait revenir aux années précédant 1968 durant lesquelles mes lectures, un peu éclectiques, me poussaient dans ce sens. Et, au-delà de la mode « structuraliste », cela reste pour moi un acquis. D’une part, Althusser me paraissait (avec raison) incontournable pour qui voulait travailler sur Marx ; et je prenais au sérieux la théorie freudienne de l’inconscient, via l’éclairage donné par Lacan [2]. D’autre part, ma lecture d’Histoire et conscience de classe était marquée par deux livres : Marxisme et structuralisme (Payot, 1964), de Lucien Sebag, et Les Aventures de la dialectique de Maurice Merleau-Ponty (Gallimard, 1955). J’ajoute que ce dernier livre me semblait (et me semble toujours) poser quelques questions essentielles au marxisme. [3]